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Plongée dans les carrosseries Tesla

Publié le 29 novembre 2023

Par La Rédaction
11 min de lecture
Le constructeur américain fait figure d’exception dans le domaine de la distribution automobile, comme de l’après-vente. Opérant l’ensemble de son réseau en propre pour l’entretien, la marque dirigée par Elon Musk a établi un partenariat avec des ateliers agréés pour les réparations de carrosserie. Un système unique, dont les rouages semblent bien huilés.
Tesla après-vente
Pour les réparations en carrosserie, les clients de la marque américaine peuvent se rendre chez l’un des carrossiers "approuvés par Tesla" sur le territoire français. ©Tesla

Depuis le mois de juil­let 2023, Tesla a franchi la barre des 100 000 vé­hicules livrés dans l’Hexagone. 100 000 modèles électriques qui font désormais partie du parc roulant français et qui vont nécessiter en­tretien, maintenance et réparation.

 

Pour la gestion de son après‑vente, la firme dirigée par Elon Musk se démarque. Tout comme sa distribu­tion s’opère sans réseau commercial, l’entretien et la maintenance ne font pas appel à des réparateurs agréés. Les conducteurs peuvent pour 80 % des opérations solliciter l’équipe Service Mobile de la marque, qui intervient directement sur le lieu de préférence du propriétaire du vé­hicule.

 

Pour le reste, les automobi­listes sont invités à se déplacer dans l’un des centres Tesla présents sur le territoire. Ainsi, la marque continue d’accroître son maillage et comptera bientôt 24 succursales en France, couvrant l’ensemble des régions.

 

Investissement et formation

 

Pour ce qui est de la réparation des véhicules en cas de choc ou d’accident, le constructeur a dé­veloppé en parallèle un réseau de carrossiers agréés, répartis, là aussi, partout en France.

 

Pour devenir "carrossier approuvé par Tesla", de nombreux critères sont à rem­plir, qui nécessitent bien évidem­ment des investissements, comme l’explique Thomas Alunni, un des directeurs du groupe Albax‑Lecoq, qui compte trois sites agréés Tesla et fi­gure parmi les premiers partenaires de la marque américaine en France : "L’obtention de l’agrément Tesla, c’est un lot d’outillages, des formations à la fois en ligne et en présentiel, puis de la formation continue, un certain niveau d’infrastructures, des process à respecter et des interfaces spéci­fiques et dédiées. Pour les agréments, nous sommes mesurés sur des KPI assez communs aux autres construc­teurs, même si chaque marque a sa particularité, la philosophie géné­rale est semblable, Tesla ne fait pas exception."

 

Un investissement qui se situe entre 100 000 euros et 200 000 euros, se­lon le niveau d’équipement de dé­part de la carrosserie. "Ce qui nous a permis d’obtenir l’agrément Tesla, c’est l’aire aluminium que nous avons créée en 2019, lors de la construction de notre site. Nous avons dédié un espace au traitement de l’aluminium avec notamment des outils parti­culiers, comme des aspirateurs, des postes à souder, ainsi qu’un nouveau système de marbre. Par exemple, les poussières produites par le meulage et le polissage des pièces en aluminium possèdent des caractéristiques d’ex­plosivité, que l’aspirateur dans lequel nous avons investi permet d’éviter. Il y a enfin de l’outillage spécifique à Tesla", complète Philippe Swaene­poel, directeur général du groupe Saint‑Christophe, basé à Reims (51) et Nancy (54).

 

Au‑delà du matériel, la formation est un élément incontournable pour devenir carrossier Tesla. En effet, plusieurs sessions sont nécessaires sur les process de réparation propres à la marque, dont la plupart s’effec­tuent en anglais.

 

Le nombre de tech­niciens formés dépend du volume de l’atelier. "Nous nous sommes dé­placés en Allemagne et aux Pays‑Bas pour être formés sur tout ce qui est méthodologie de réparation, notam­ment sur les techniques de soudure de l’aluminium. Il y a également des process spécifiques sur comment dé­monter les Tesla et les remonter, com­ment les réparer, les mettre en sécu­rité pour éviter d’avoir des problèmes avec l’électricité, car ce sont des véhi­cules avec des puissances électriques énormes, il y a donc des process à respecter quand nous intervenons dessus", décrypte Olivier De Stefa­no, dirigeant de la carrosserie ODS à Gennevilliers (92).

 

Logistique en progrès

 

Pour ce qui est du quotidien, les car­rossiers disposent d’une plateforme dédiée, ouverte à tous les répara­teurs, où ils peuvent commander les pièces nécessaires aux réparations. À noter que les pièces des structures peuvent uniquement être ache­tées par les partenaires carrossiers agréés. Selon les carrossiers interro­gés, à l’unanimité, l’expérience utili­sateur est satisfaisante.

 

"Une fois que notre dossier est créé dans le système Tesla, il faut entrer le numéro de châssis et nous pouvons sélectionner les pièces spécifiques au véhicule. C’est un portail où l’on peut à la fois gérer les pièces, les for­mations, avoir de l’information sur les véhicules et les réparations. C’est très complet. Seul bémol, cela néces­site encore une bonne maîtrise de l’anglais car les traductions restent parfois approximatives. Ensuite, la commande se passe comme lorsqu’on réalise un achat en ligne, il suffit de valider son panier et nous sommes livrés, avec des délais variables selon la disponibilité des pièces", confie un carrossier qui a souhaité conserver l’anonymat.

 

Et concernant les délais, là aussi, la marque a fait de gros progrès, puisqu’à ses débuts en France, ces derniers étaient pointés du doigt. "Le délai est très aléatoire, sur des accidents moyens, cela peut être une ou plusieurs semaines et pour de pe­tits chocs urbains, certaines pièces arrivent en deux à cinq jours, le reste géné­ralement n’excédant pas deux semaines, sachant qu’il n’y a pas pour le mo­ment de magasin central de pièces détachées en France, contrairement à la majorité des autres marques. Cela s’est significativement amélioré au fil des années. Bien évidemment, sur des pièces très techniques ou de sellerie, les délais sont plus impor­tants, mais c’est la même chose pour toutes les marques", rappelle Tho­mas Alunni.

 

"Le délai est actuel­lement d’environ une à deux semaines en moyenne, en fonction des pièces. Ce qui est raisonnable. C’est aujourd’hui une plateforme logistique située aux Pays‑Bas qui dessert l’Europe, mais d’autres pourraient voir le jour, no­tamment en France", ajoute Chris­tophe Montmartin, dirigeant de la carrosserie Montmartin à Clermont-Ferrand (63).

 

Les trois sites du groupe de Thomas (à gauche) et Max Alunni, ici devant une Tesla Model X, traitent une centaine de Tesla par mois. ©Cathy Dubuisson

 

Une rémunération intéressante

 

Du côté du prix des pièces, là encore, contrairement aux idées reçues, les tarifs se situent dans la moyenne. Une étude menée en 2022 par SRA (Sécurité et Ré­paration Automobiles), qui comparait le coût de réparation de véhicules ther­miques et électriques de même gamme, n’avait d’ailleurs pas mis en avant de diffé­rences probantes.

 

Ainsi, le coût des pièces en base 100 d’une Tesla Model 3 était de 64 quand celui de la Volvo V60 II était de 91 et celui de la BMW Série 3 VII de 128, pour un coût global de réparation respec­tif en base 100 de 93, 103 et 121.

 

Pour les carrossiers, la marge dégagée est également intéressante et le système est simplifié : "Nous avons une marge de 25 % quelle que soit la pièce, c’est un sys­tème qui nous apporte une meilleure visi­bilité dans notre facturation par rapport à d’autres marques qui nous accordent des remises différentes de 5, 8, 23 ou 32 %, selon les familles de pièces. Mais surtout, travailler avec Tesla nous assure un taux de main-d'œuvre économiquement viable. Ce dernier est quasiment deux fois plus élevé que lorsque nous travaillons avec des agré­ments d’assurances, précise un carrossier. Cela me fait donc réfléchir à un change­ment de stratégie pour ma carrosserie, en privilégiant de plus en plus la qualité à la quantité et je pourrais envisager, à terme, de sortir de ces agréments."

 

Même son de cloche pour Christophe Montmartin qui confirme "des marges et un taux de main-d’œuvre économiquement intéressants".

 

Une accidentologie Tesla ?

 

En ce qui concerne les chocs et ac­cidents des Tesla, rien à signaler. Il n’existe pas d’accidentologie Tesla. "Alors que nous traitons environ une centaine de Tesla par mois au bas mot sur nos trois sites et que nous sommes à la fois réparateurs toute marque et également spécialisés sur le haut de gamme, je ne perçois pas sur une vision macro de particularités avec Tesla. Comme tout véhicule, elle entraîne des dommages à des endroits particuliers, mais nous observons ça sur chaque modèle, plutôt en fonc­tion de son gabarit. Il n’y a rien de spécifique à Tesla, il y a tous les types de chocs : avant, arrière, latéraux ou encore des roues arrachées", détaille Thomas Alunni.

 

Seule différence notable dans la réparation, certains éléments ne se réparent pas, comme l’évoque Olivier De Stefano : "La seule spécificité, c’est l’aluminium, ça ne se répare pas forcément, par­fois, ça se remplace. Par exemple, les ailes et les portes peuvent se redres­ser, mais le châssis ne se redresse pas, nous en remplaçons alors des parties, c’est assez spécifique aux véhicules très modernes, très haut de gamme et en aluminium." (Lire ci-dessous, 3 ques­tions à Mathieu Séguran).

 

Côté logiciel et mise à jour, là aussi, tout semble fonctionner sans em­bûches, les mises à jour s’effectuant lorsque le véhicule entre à l’atelier agréé, qui dispose des logiciels né­cessaires pour les faire. Quand il en ressort, tous les défauts sont réglés.

 

L’un des carrossiers inter­rogés ajoute : "Nous réparons entre 12 et 13 véhicules par jour, toutes marques confondues, et il n’y a pas un véhicule qui dispose d’un système d’information aussi performant que celui de Tesla. Même le conducteur peut consulter les défauts de sa voi­ture, c’est très évolué. De notre côté, en atelier, nous avons accès aux codes de ces derniers, aussi bien sur le véhi­cule que sur notre ordinateur et nous avons pour obligation de résoudre les problèmes avant de le restituer."

 

Même si l’investissement de départ peut donc s’avérer substantiel, les carrossiers sont unanimes sur le retour sur investissement, ainsi que sur l’efficacité de fonctionnement du modèle Tesla. "En comparaison avec d’autres marques, l’agrément de Tesla n’est pas spécialement contrai­gnant, bien évidemment, ils ont aus­si besoin de nous car ils constituent leur maillage et leur réseau", ana­lyse ce dernier. Seul l’avenir per­mettra de confirmer la viabilité de ce modèle, qui semble aujourd’hui s’imposer comme un partenariat gagnant‑gagnant.

 

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3 questions à

 

Mathieu Séguran délégué général de la Feda

 

"Le gigacasting, ce n’est pas le sens de l’histoire"

 

 

Quelle est la technique du gigacasting ?

Le gigacasting, c’est un process qui vise à produire le châssis d’un seul tenant, au moyen de gigapresses. C’est la phase d’après le mégacasting, qui permet déjà d’utiliser de grands mou­lages d’éléments structurels en aluminium afin d’éviter l’assemblage de dizaines de pièces, lors de la production des véhicules.

Aujourd’hui, le gigacasting est une réalité pour Tesla. Ce process est utilisé pour fabriquer le châssis arrière de la Model Y. Les équipes Tesla mettent notamment en avant des économies substantielles de l’ordre de 40 % sur la production de châssis avec cette méthode. C’est à ce jour le seul constructeur à l’utiliser, mais Volvo vient également d’investir dans cette techno­logie pour sa flotte électrique et d’autres, comme Toyota et Hyundai, sont aussi intéressés.

 

Vous avez alerté les pouvoirs publics, notamment vis‑à‑vis des coûts de réparation qui risquent de gonfler ?

Ce que l’on craint, c’est la hausse des coûts que cette pratique va engendrer pour la réparation des véhicules. Nous sommes en lien avec les assureurs mutualistes et nous avons mené une étude virtuelle qui met en avant un choc arrière sur une 2008 où le châssis est endommagé. Nous avons comparé le temps et le coût d’une réparation classique avec ceux d’une réparation sur un châssis mégacasté. Les résultats démontrent que l’on passe de 6,5 jours de réparation à 11 jours et que le coût s’envole avec une inflation de 27 %. Mais ce n’est pas tout ! Les consé­quences écologiques sont aussi indéniables, puisque la fonderie d’aluminium est bien plus émissive de CO2 que celle de l’acier.

 

Si ces pratiques se généralisent chez les constructeurs, quel avenir se dessine pour l’automobile ?

Nous pensons qu’avec ces process, nous créons des "voitures Kleenex, des voitures jetables". Il ne faut pas oublier que lorsque l’on a un choc sur de l’acier, nous pouvons souder et réparer, alors que l’aluminium lézarde, c’est‑à‑dire qu’il se brise, un peu comme de la porcelaine. Res­souder est donc extrêmement difficile, pour ne pas dire impossible et l’on ne sait pas garantir la solidité du véhicule. La réalité aujourd’hui, c’est que sur un véhicule mégacasté, il est encore possible de réaliser des réparations, mais avec le gigacasting, dans certains cas, le véhicule ne sera plus réparable. Aux États‑Unis, par exemple, l’assureur Allianz a créé une division spéciale pour la Tesla Model Y, car la batterie est incorporée directement au châssis. S’il y a un choc arrière, la voiture ne peut donc tout simplement pas être réparée : écologiquement et économiquement, c’est une aberration. Les primes d’assurance vont également subir des hausses monumentales si les véhicules ne sont plus réparables. Ce que l’on souhaite défendre devant Clément Beaune, ministre délégué auprès du ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires chargé des Transports, c’est que le gigacasting va à l’encontre de toutes les politiques mises en place jusqu’ici (loi climat et résilience, injonction à la réparation quand cela est possible). Ce n’est pas le sens de l’histoire.

 

Par Élodie Fereyre

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