Malgré la crise des start-up, l’économie circulaire a le vent en poupe
D’une économie linéaire à une économie circulaire, le chemin est long et coûteux. Pour autant, dans un contexte où les investisseurs sont de plus en plus frileux, les start‑up de l’économie circulaire arrivent à les séduire.
"Il faut le dire, la croissance des start‑up liées à l’économie circulaire est tellement incroyable que personne n’aurait pu imaginer mieux que la réalité des chiffres", raconte, presque bouche bée, Clément Guillemot, directeur des programmes start‑up et de l’écosystème chez Via ID, l’accélérateur de start‑up de Mobivia.
Les investisseurs ont été impressionnés par la forte dynamique d’innovation des jeunes pousses dans le recyclage et le réemploi dans le secteur de la mobilité et de l’automobile. Alors qu’elles étaient quasi inexistantes il y a cinq ans, les levées de fonds dans l’économie circulaire automobile n’ont cessé de croître depuis : trois millions d’euros en 2019, douze millions en 2021… avant d’exploser pour culminer à 100 millions d’euros en 2023.
Comment l’expliquer alors que les autres sous‑segments, comme le commerce automobile et la distribution d’énergie, connaissent des chutes drastiques dans les montants levés (‑44 % entre 2022 et 2023) et que l’environnement global de financement des start‑up est à la décroissance (‑75 % pour celles de la fintech, ‑64 % pour l’immobilier par exemple entre 2022 et 2023) ?
Cet intérêt soudain ne doit rien au hasard selon Julie Sadaka‑Entringer, directrice du pôle solutions de mobilité de Mobilians et auteure avec Clément Guillemot de l’étude Observatoire des start‑up de la mobilité 2023. "Il est remarquable que l’explosion survient à partir de 2022 et cela s’explique par l’affirmation d’une tendance business et sociétale débutée avec la loi d’orientation des mobilités (LOM), la loi antigaspillage pour une économie circulaire (AGEC) et la loi climat résilience promulguée en août 2021", raconte‑t‑elle.
Un enjeu de souveraineté
Qu’est‑ce qui pousse les investisseurs d’aujourd’hui dans les bras de ces start‑up ? Premièrement, l’économie circulaire apporte des réponses à des problématiques que la France et l’Europe ne sont pas parvenues à résoudre entièrement.
Sur les métaux rares, l’Europe préfère ainsi parier sur la récupération, notamment des batteries électriques, pour éviter de tout miser sur des projets miniers (polluants et chers). C’est un enjeu de souveraineté critique au moment où la Chine contrôle l’essentiel des gisements de ces matières premières. Même schéma du côté des problématiques de stockage d’énergie. Dès lors, les marchés anticipent un important soutien public de ces start‑up qui apportent des solutions innovantes.
C’est ainsi que Mecaware a réussi à lever 40 millions d’euros en 2023. La société est devenue incontournable dans l’économie circulaire grâce à sa technologie d’extraction sélective de métaux critiques dans les batteries électriques. "Cette thématique monte crescendo et apparaît comme un enjeu de souveraineté sur fond de politique internationale. C’est l’attente politique de gagner en autonomie sur ces matériaux critiques, de ne plus dépendre de l’Asie qui fait grimper l’intérêt autour des solutions qui peuvent être proposées, la nôtre, c’est du recyclage, indique Arnaud Villers d’Arbouet, cofondateur de Mecaware. L’Asie a développé des technologies et a la maîtrise des flux matériels. Ils se sont saisis de la question des batteries et donc des métaux rares très tôt et en Europe, ça nous a filé entre les doigts."
L’industrie européenne redécouvre ainsi le besoin de travailler sur ces thématiques‑là avec des capacités industrielles faibles. Pour combler son retard, la France a décidé d’investir dans Mecaware via son plan France 2030. "Il faut bien l’avouer, quand France 2030 te soutient, ça attire le reste", conclut le patron de Mecaware.
Le bon produit
Un autre atout de séduction des start‑up de l’économie circulaire, c’est de se positionner dans l’économie de l’environnement. Que ce soit au niveau de l’Union européenne ou de la France, ce sujet‑là est extrêmement discuté et aujourd’hui, "il existe de fortes incitations publiques et privées à financer ce secteur‑là, le secteur de la décarbonation, de l’environnement, de l’économie circulaire, il n’y a plus besoin de prouver l’impact positif, ça attire l’argent", explique Alban Regnier, président de VoltR, start‑up créée en 2022 et spécialiste de la récupération de cellules de batteries.
"Nous sommes dans un temps particulier dans lequel, c’est assez rare, il y a un alignement entre les décideurs politiques et industriels et la société et cela contribue forcément au fait qu’on ait réussi à se financer jusque‑là sur un marché, celui de la batterie au lithium, qui est déjà gros mais n’a pas encore explosé", expose Alban Regnier.
Selon Clément Guillemot, les start‑up sur ce créneau ont clairement flairé la bonne affaire. Il explique que la demande est importante et "portée en particulier par des consommateurs attirés par des produits et des services, envieux de mener à bien leur devoir de citoyen, idem pour les entreprises". L’inflation est passée par là également et a joué sur la popularité de ces produits moins chers que le neuf.
"Sur le thème de l’automobile, il y a un sujet supplémentaire qui est très conjoncturel mais qui reste intéressant à noter, ce sont les problèmes récents de production de véhicules neufs. Il y a des comportements qui se sont créés lors de la pénurie et qui perdurent aujourd’hui", ajoute‑t‑il, justifiant ainsi la pérennisation de ces start‑up.
Miser sur l’économie du réel
L’économie circulaire profite également d’une tendance dans les investissements où les entreprises développant du software sont moins en vue qu’auparavant. Clément Guillemot, en contact constant avec tout type d’investisseurs, l’affirme : "Nous sommes passés d’une époque où les investissements étaient très portés sur le digital, la deeptech, à une autre, où pour diminuer le risque, les investisseurs cherchent à investir dans des produits, ils ont besoin de se rebaser dans l’économie du réel et l’économie circulaire en fait partie." Alban Regnier, fondateur de VoltR et d’une autre start‑up auparavant, a également observé ce changement au profit d’une économie "plus réelle, qui sort des produits".
"Nous avons eu une grande phase d’investissement où les fonds allaient sur tout ce qui était la partie software, parce que c’était ce qu’ils appelaient « scalable » (le fait de pouvoir dupliquer en des milliers d’exemplaires un logiciel par exemple et donc d’en multiplier les revenus, NDLR). Il y a eu une grosse dévaluation de ces sociétés et l’argent est arrivé dans l’économie circulaire qui est une économie du réel avec des produits et des projets industriels."
Une start‑up comme VoltR est labélisée deeptech, mais met l’intelligence artificielle et les algorithmes dans son usine, ce qui a attiré l’argent selon Alban Regnier. D’ailleurs, le programme Première usine de la Banque publique d’investissement est dédié à ce genre de projets et subventionne à hauteur de plusieurs millions d’euros les start‑up qui veulent ouvrir des usines. Un soutien de taille qui participe à rassurer les investisseurs potentiellement intéressés.
Les bons soutiens
D’autres soutiens viennent appuyer la crédibilité de ces start‑up de l’économie du réemploi. Pour la plupart, elles ont un point commun : elles signent des partenariats stratégiques très tôt dans leur développement.
Quand une entreprise déjà implantée s’intéresse à une start‑up, cela apporte une confiance bienvenue auprès des investisseurs. Clément Guillemot porte même ce critère comme première force des jeunes pousses de réemploi dans l’automobile, "ces start‑up, ce qu’elles savent bien faire, c’est nouer des partenariats solides et nouer ce genre de partenariats est le meilleur moyen de réduire le risque aux yeux des investisseurs, cela leur montre aussi qu’il y a un sujet, une demande".
Par exemple, l’acteur du rétrofit de véhicules utilitaires légers, Tolv, s’est associé à Renault assez rapidement. "Nous avons passé l’homologation du Renault Trafic rétrofité en 2020. En 2022, Renault Group a fait le choix d’être le premier constructeur à se lancer dans le rétrofit en passant par un partenariat externe avec nous", expose Wadie Maaninou, fondateur de TOLV (ex‑Phoenix Mobility).
Et le fait d’avoir les portes de la Refactory ouvertes a permis à Tolv de finaliser son kit pour les Renault Master et lui assure également des débouchés, ce qui a facilité sa levée de 9,5 millions d’euros en 2023 et l’aide à accélérer le processus d’électrification des flottes.
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Mecaware a également joué sur ce tableau. Un de ses deux pilotes pour le recyclage des déchets de batteries se monte avec Verkor. Ce projet commun, soutenu par France 2030, se concentrera sur les rebuts de production du fabricant de batteries.
Un gisement relativement simple, car uniforme. Mecaware envisage d’installer son pilote directement dans le laboratoire de Verkor à Grenoble (38), mi‑2025. Si tout se déroule bien, la suite du projet prévoit que la start‑up passe à l’échelle industrielle et implante une usine sur le site de Verkor à Dunkerque (59) et qui doit entrer en production fin 2026.
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Le développement de ces start‑up par différents moyens les rend donc incontournables aux yeux des investisseurs et bientôt à ceux des consommateurs, "d’autant plus qu’aujourd’hui, l’innovation a tellement poussé l’économie circulaire que parfois, nous arrivons même à faire des produits reconditionnés plus performants que le neuf" comme l’a indiqué Alban Regnier.
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