Les carrosseries en quête d’efficience énergétique
Avant que les coûts de l’énergie ne flambent, principalement depuis la crise ukrainienne, la question du poste énergétique dans les carrosseries n’était pas la priorité des professionnels. Pourtant, cette augmentation forte et rapide des prix du gaz et de l’électricité a rappelé son impact direct sur la rentabilité des ateliers de carrosserie.
En effet, bien qu’il soit difficile d’établir avec précision le coût du poste énergétique d’une carrosserie, tant celui‑ci est lié à des caractéristiques propres à chaque atelier : taille, chiffre d’affaires, emplacement, volume de véhicules traités, etc., "nous considérons qu’il représente en moyenne 3 à 4 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2023, contre 2,5 % en 2021, détaille Pascal André, country sales manager vehicle refinishes France chez AkzoNobel. Alors que certains ont vu leurs factures être multipliées par 7 voire par 10 en fin d’année dernière, la tendance aujourd’hui se situe autour de x 1,5 à x 2. Toutefois, heureusement, la plupart des carrossiers, qui avaient renégocié leurs contrats avant la crise, ont été relativement épargnés."
Nous considérons que le poste énergétique représente en moyenne 3 à 4 % du chiffre d’affaires de l’entreprise en 2023
Côté fabricants de peinture, c’est d’ailleurs bien avant le conflit ukrainien que cette question de la réduction de la consommation d’énergie s’est posée et que des solutions ont été mises au point. "Nous nous basons encore aujourd’hui sur un document réalisé par le CNIDEP (Centre national d’innovation pour le développement durable et l’environnement dans les petites entreprises) en 2009. Il y a 14 ans, la réduction de la consommation énergétique était donc déjà d’actualité et côté produits, les innovations ont au moins 4 à 5 années de développement avant de sortir sur le marché, ce qui montre que le sujet n’est pas nouveau pour nous", indique Thierry Leclerc, responsable du département technique Europe de l’Ouest -BASF Coatings.
Un avis partagé par Pascal André qui rappelle que le premier vernis à séchage UV d’AkzoNobel a été conçu en 2007 : "Cela ne date pas d’hier, nous avions même remporté le prix de l’innovation du salon Équip Auto à l’époque, mais le produit n’a pas eu le succès escompté, car à ce moment‑là, le contexte était différent, il y avait beaucoup de travail et le coût de l’énergie n’était pas aussi important, les carrossiers n’étaient donc pas forcément très attirés par ces nouvelles technologies."
Des innovations produits
Qui dit coûts de l’énergie dans une carrosserie, dit évidemment cabine de peinture, considérée comme le poste le plus énergivore. Avant cela, il y a toutefois une donnée souvent omise : le chauffage des bâtiments, comme le rappelle Thierry Leclerc : "Le chauffage des locaux, c’est environ 41,5 % de la consommation énergétique totale d’une carrosserie. Et c’est un poste qu’il est plus difficile de réduire sans un gros investissement." Pour diminuer la facture énergétique, il est donc nécessaire de jouer sur l’élément clé qu’est la cabine de peinture. Cette dernière pèse, côté équipements, pour près de 70 % de la consommation énergétique productive d’une carrosserie.
Tous les fabricants ont donc développé des innovations technologiques en ce sens. "Sur le cycle d’application de la peinture, très sincèrement, il est difficile d’intervenir. En revanche, sur la partie étuvage, d’importantes économies peuvent être réalisées en réduisant, d’une part, le temps de séchage et de l’autre, la température de séchage", ajoute Thierry Leclerc.
Ainsi, de nouvelles formules voient le jour, comme l’explique Jean‑Marc Pettinotti, senior business solutions manager, PPG Industries Automotive Refinish France : "Nous proposons des vernis ultrarapides qui sèchent en 5 à 10 min à 60 °C, assurant ainsi des économies de 23 % de gaz et d’électricité par rapport à un vernis standard. Ce sont des produits particulièrement adaptés aux petites réparations (spot repair), qui sont de plus en plus présentes dans les ateliers du fait du développement des Adas."
Mais les industriels travaillent également sur d’autres alternatives pour réduire l’utilisation de la cabine. Parmi les articles "stars", nous retrouvons les produits à séchage UV proposés par l’ensemble des fabricants (apprêts, vernis) et qui ont l’avantage de présenter un très faible investissement (en moyenne 2 500 euros pour l’achat d’une lampe UV).
Sur le cycle d’application de la peinture, il est difficile d’intervenir. En revanche, sur la partie étuvage, d’importantes économies peuvent être réalisées
Autre innovation, les produits à séchage à l’air, à l’instar de l’apprêt Sikkens Autosurfacer Optima d’AkzoNobel, qui diminue de 80 % les temps de process et de 85 % l’énergie consommée. Idem chez Axalta avec la technologie FCLE, Fast Cure Low Energy, produit qui peut être séché à des températures de cuisson plus basses ou à des températures de séchage à l’air de 20 °C.
Cette technologie "permet de réduire d’environ 75 % les coûts énergétiques liés à l’utilisation d’une cabine de peinture à alimentation directe au gaz, sur la base d’un cycle de séchage type de 30 min à 60 °C", souligne Romain Autret, technical manager refinish France d’Axalta. Même son de cloche chez BASF et PPG qui proposent eux aussi des process à "énergie froide", avec séchages à température ambiante.
Enfin, autre point de vigilance mis en avant par Thierry Leclerc : "Le poste air comprimé est non négligeable, c’est aujourd’hui l’énergie la plus chère qui puisse exister. Et l’on peut très facilement remplacer une ponceuse pneumatique par une ponceuse électrique par exemple."
Un accompagnement nécessaire
Au‑delà des produits et des nouvelles technologies développés à l’attention des carrossiers, c’est avant tout sur l’accompagnement et la formation que les fabricants ont décidé de miser. Car les produits, s’ils sont plus chers à l’achat, peuvent augmenter la rentabilité des professionnels.
Encore faut‑il pouvoir les convaincre en proposant des solutions sur mesure. "Nous avons déployé le CO2 repair calculator. C’est un fichier qui permet de comparer une gamme traditionnelle et notre gamme de combinaisons de produits à séchage rapide, sans forcément utiliser la cabine. C’est très visuel et l’on sait immédiatement ce que l’on gagne en temps, en économies d’énergie, mais aussi en rejets de CO2 et de COV. Nous sommes également capables de connaître l’économie moyenne dégagée sur l’année en fonction de nombreux paramètres : nombre de véhicules traités, factures énergétiques, investissement demandé si switch de technologie, comme l’achat de lampes UV par exemple. Et même si chaque cas est différent, les carrossiers peuvent arriver à près de 30 % d’économies d’énergie (gaz + électricité) en suivant nos recommandations", témoigne Pascal André.
Thierry Leclerc complète : "Nous sommes en cours de déploiement d’un outil d’audit avec des rubriques entières consacrées à la durabilité et, bien évidemment, un volet énergie. Nous vérifions l’isolation des bâtiments, l’éclairage et bien sûr les équipements et les produits. Il est aussi important de rappeler les bonnes pratiques dans un atelier, comme le fait de mutualiser les réparations et de ne pas faire fonctionner la cabine s’il n’y a qu’un seul parechoc à traiter par exemple."
Et comme le panel de produits est large, chacun peut puiser dans les gammes de ses fournisseurs en fonction de ses besoins : "La notion de flux est très importante, par exemple, les vernis à séchage ultrarapide sont idéaux pour ceux qui ont un fort volume de véhicules à traiter, de 30 à 70 OR par jour. Alors que les produits à séchage à l’air s’adaptent parfaitement aux petits volumes, quand il est possible d’immobiliser la cabine, sans incidence sur les délais de livraison", décrypte Jean‑Marc Pettinotti.
En parallèle de ces services et des formations sur le terrain, c’est aussi l’optimisation du poste peinture qui peut faire la différence. PPG propose, par exemple, une offre liée à la digitalisation pour gagner du temps dans l’identification des teintes ou encore son appareil Moonwalk, conçu pour fabriquer une très petite quantité de produit.
De son côté, Axalta vient de lancer une nouvelle solution : "Les carrossiers se tournent de plus en plus vers la gestion numérique des couleurs et une automatisation du processus de préparation de la peinture, ce qui permet de minimiser le temps de travail des employés et d’augmenter la productivité de l’atelier. Cette solution DCM (Digital Colour Management), appelée Axalta Irus, comprend la machine de préparation de peinture entièrement automatisée la plus rapide au monde, Axalta Irus Mix, et qui peut faire économiser plus de 60 % du temps de travail d’un carrossier par rapport à un mélange manuel. Celle‑ci assure un dosage de produit exact à 100 %, ce qui réduit également le gaspillage", conclut Romain Autret. Les carrossiers ont donc toutes les cartes en main pour faire évoluer leurs process et s’engager dans un cercle de réparation plus durable et vertueux.
3 questions à
Gilles Menard, directeur pièces et service du groupe Genin
"Toutes les innovations sont profitables , à conditions de revoir nos process"
JA. : Comment avez‑vous été impacté par la hausse des coûts de l’énergie et quels sont, selon vous, les process les plus énergivores dans les carrosseries ?
G.M. : Dans nos trois carrosseries, Valence (26), Aubenas (07) et Sablons (38), qui font respectivement 800, 200 et 160 entrées de client par an, nous constatons une forte hausse du coût de l’énergie, mais nous avons pu la lisser grâce à nos contrats. De plus, nous travaillons sans agréments d’assurances depuis de nombreuses années, ce qui a pour avantage de pouvoir réviser nos taux horaires et d’ingrédients de peinture en rapport à nos coûts de fonctionnement. L’aire de préparation peinture est effectivement un poste énergivore dans le process de réparation de carrosserie. Il y a des phases de ponçage qui, selon les outillages utilisés, sont consommatrices d’air comprimé en quantité importante. Cela demande d’avoir un compresseur de forte puissance et donc consommateur de kilowatts électriques. Lors de la création de la carrosserie de Valence, j’avais opté pour des aires de préparation avec des ponceuses électriques, ce qui nous a permis de réduire la puissance du compresseur d’air avec un agrément supplémentaire pour l’opérateur.
JA. :Qu’avez‑vous mis en place, au sein du groupe Genin, pour tenter de réduire la facture énergétique et avec quels résultats ?
G.M. : Depuis l’année dernière, nous sommes passés à un nouveau vernis de chez Spies Hecker avec la technologie Fast Cure Low Energy, qui réduit le temps de séchage et la température de la cabine pour une économie de 25 % de gaz. Nous considérons qu’un degré de moins en cabine, c’est 7 % d’économies. Nous venons aussi de tester la pulvérisation à l’azote et c’est une option qui va être retenue. Enfin, nous allons installer des ombrières photovoltaïques sur les parkings du site de Valence pour 183 000 kW/an, qui seront autoconsommés à 75 %, afin de réduire notre facture énergétique. Une autre réflexion, plus globale, porte sur l’amélioration du poste peinture puisque les coûts d’achat ne cessent d’augmenter.
JA. :Avez‑vous bénéficié d’un accompagnement pour la mise en place de ces solutions ?
G.M. : Nous avons bien évidemment été accompagnés : en local, par notre fournisseur (EPS Peinture) sur les formations à l’application des produits de peinture, mais aussi sur les conseils d’investissement dans les matériels adaptés dans la recherche d’économies d’énergie (gaz et électricité), le fabricant nous accompagne également à travers son distributeur (EPS Valence). Nous avons aussi adhéré au "label carrosserie" du groupe Volkswagen France, afin de bénéficier d’un coaching spécifique sur la gestion du poste carrosserie peinture. Toutes ces innovations sont profitables, à condition de revoir nos process. Ce sont des projets collaboratifs et l’implication des équipes sera la clé du succès. Aujourd’hui, je ne constate pas de perte de productivité au sein des carrosseries, au contraire, elles sont plus performantes en 2023.
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