Financement automobile : de la guerre des taux à celle des loyers
Le secteur du financement automobile connaît une croissance rapide, avec une production atteignant 16,4 milliards d'euros. À l'exception de l'année 2020, où le commerce a été interrompu pendant plus de deux mois en raison de la pandémie, le marché n'a cessé de croître. Selon l'ASF (Association française des sociétés financières), il s'agit du seul secteur du crédit à la consommation en progression, dans un contexte global de baisse de 2,3 %, pour atteindre 47,9 milliards d'euros.
L’automobile pèse un tiers de ce secteur contre 30,8 % en 2022. Mais surtout, entre 2018 et 2023, la valeur de ce marché a augmenté de 20,1 %. L'année 2023 a été qualifiée d'exceptionnelle par les acteurs du marché, avec des chiffres d'affaires historiques. Cette performance est largement attribuée à la location avec option d'achat (LOA), dont la part dans les financements globaux continue de progresser.
Faibles marges
Désormais, celle‑ci pèse 66 % de la valeur totale du marché avec 10,8 milliards d’euros. Une croissance qui s’explique également par la hausse des prix des véhicules neufs atteignant en moyenne 35 474 euros en 2023, toutes motorisations confondues, selon les données d’AAA DATA et même 41 994 euros en isolant les seules ventes de modèles 100 % électriques.
Pourtant, derrière ces résultats, la sérénité n’est pas de mise. Les marges générées restent à un faible niveau. Bridées entre les taux de refinancement et le commissionnement des distributeurs, celles‑ci n’ont pu être redressées.
"Pour limiter ce problème, nous avons dirigé nos partenaires vers des offres locatives (NDLR : non soumises au taux d’usure), accompagnées d’assurances complémentaires. De plus, Crédit Mutuel Arkea a réalisé une augmentation de capital de 130 millions d’euros, ce qui a permis une certaine détente sur le refinancement et sur l’amélioration de nos marges", avance Jean Achard, directeur réseau et développement pour les marchés auto moto et loisirs de Financo.
Un taux d'usure pour la LOA
De fait, le leasing possède de nombreuses vertus : il fidélise, augmente le panier moyen, améliore les marges notamment grâce à l’ajout de services complémentaires comme l’entretien ou l’extension de garantie et permet d’échapper à ce plafond du taux d’usure. En tout cas, jusqu’au début de l’année 2026.
À cette date, la directive sur le crédit à la consommation sera transposée en droit français et entrera en application. C’est désormais certain, la location avec option d’achat sera également bridée par ce taux d’usure. Une spécificité française qui bloque les taux d’intérêt, selon le calcul établi par la Banque de France sur la base d’une moyenne des taux pratiqués sur les trois derniers mois.
"Mécaniquement, nous allons assister à une accélération des constructeurs sur une communication en location longue durée pour rester dans une stratégie de loyer et surtout ne pas revenir à une guerre des taux, comme nous l’avons connue par le passé. Par ailleurs, le marché est plus mature car beaucoup de clients sont passés à la LOA sans actionner l’option d’achat en renouvelant leur véhicule tous les trois ans. D’ailleurs, beaucoup d’entre eux sont en réalité déjà passés à la LLD en basculant sur le véhicule électrique. La technologie électrique est encore évolutive et les clients ne sont pas dans l’optique de garder un VE", fait observer Guénaël Geffroy, directeur général front office de Volkswagen Financial Services France.
Transferts vers la LLD
Sur le marché des particuliers, la LOA demeure encore aujourd’hui le produit phare. Elle pourrait le rester. Mais lorsque le taux sera visible, celle‑ci pourrait perdre de la vigueur et être remplacée par la LLD qui permet de garder une attention sur le loyer. Une aubaine pour tout l’écosystème, y compris les distributeurs qui, dans le cas d’une location longue durée, ne portent pas le risque d’une valeur résiduelle déconnectée de la réalité du marché. Le risque sera donc porté par les captives. Un mouvement de balancier qui pousse les acteurs qui n’étaient pas encore présents sur le marché de la location longue durée à particulier à peaufiner leur offre. Financo devrait présenter une première version de son offre en 2025 pour être prêt avant l’entrée en vigueur des nouvelles règles.
Au‑delà de ce mouvement qui sera progressif, le marché du financement subit par ricochet les soubresauts du secteur automobile. L'année 2024 pourrait être plus difficile. "La croissance du marché automobile est trompeuse et il s’agit de bien l’interpréter, car nous savons d’ores et déjà que les carnets de commandes sont en baisse de 9 %. Nous serons très challengés sur la capacité des distributeurs et des marques à garder des cycles courts sur les leasings réalisés sur les véhicules", prévient Jean‑François Marchand, directeur des marchés et du marketing de CGI Finance.
Danger sur l'occasion
Ce sera sans doute tout l’enjeu de cette année. Les premiers vrais retours de location des véhicules électriques sont là. Mais à des niveaux de prix parfois en inadéquation avec la réalité du marché. Pour masquer les tarifs trop élevés des véhicules électriques, les constructeurs ont parfois joué avec des engagements de reprise trop élevés pour afficher des loyers plus supportables par les clients.
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Des valeurs qui entrent aujourd’hui en concurrence avec les tarifs de véhicules électriques neufs dont l’autonomie est plus élevée. "C’est vrai, nous assistons aux retours des buy‑backs de véhicules électriques de première génération avec ce risque de concurrence entre le VO et le véhicule neuf. Je partage bien sûr l’inquiétude des distributeurs, mais nous ne sommes qu’au début de l’électrification du parc automobile et surtout, les offres ne sont pas encore légion", fait remarquer Étienne Royol, directeur général de CA Auto Bank France.
Mais cette exposition en frontal des prix des véhicules d’occasion et des véhicules neufs fait peser une réelle menace sur les distributeurs. "Le marché s’enflamme sur des valeurs résiduelles trop importantes et certains constructeurs font prendre des risques importants aux distributeurs. Le constructeur joue sur son propre business model qui dépasse le seul cadre du financement", reconnaît Jean Achard.
Des valeurs résiduelles trop hautes
Mauvais momentum pour le secteur qui subit de plein fouet la hausse des taux d’intérêt. Les rotations des stocks de VO chez les distributeurs sont plus faibles. Les véhicules dans les parcs VO s’empilent et doivent parfois être sacrifiés sur l’autel du besoin en fonds de roulement des entreprises. "Le marché du véhicule d’occasion revient aux basiques. Les stocks tournent moins vite, les marges vont baisser, mais elles restent positives. Le problème est que tous les professionnels se sont habitués à des niveaux de marge qui étaient anormaux. Le plus gros danger repose sur la trésorerie et le besoin de fonds de roulement, car les frais financiers vont exploser. Il va falloir vendre vite les stocks", observe Christophe Michaëli, directeur du marché automobile de BNP Personal Finance.
Ce jeu de la subvention du loyer par des engagements de reprise trop élevés est aujourd’hui l’apanage des constructeurs qui jouent sur tous les tableaux pour abaisser les loyers d’accès aux véhicules neufs mais aussi d’occasion. Un pilotage auquel ne peuvent souscrire les sociétés de financement indépendantes.
Un match entre captives et acteurs indépendants
Plus que jamais, le marché devient multimodal et mélange allègrement les acteurs indépendants du financement, les partenaires des distributeurs, les captives en marque blanche de distributeurs ou de constructeurs et les filiales de constructeurs. "Nous assistons à un mouvement de concentration des acteurs du marché et nous devons être en capacité d’accompagner ces évolutions. C’est une opportunité pour les sociétés de financement", avance Fabrice Perina, directeur général de CGI Finance, qui précise qu’un tiers de la production de la filiale de la Société Générale provient des accords de marques contre deux tiers du marché libre. "Il y a toujours eu cet effet de complémentarité et le contexte actuel renforce la pertinence de cette stratégie. Mais dans tous les cas, le distributeur reste clé dans la prescription du financement sur le lieu de vente."
À moins que la stratégie de financement de tous les cycles de vie du véhicule ne vienne rebattre les cartes. Ce principe, baptisé "full cycle management", repose sur une détention de la valeur du véhicule tout au long de ses multiples vies. En neuf d’abord, puis par le biais de ses différents possesseurs en occasion, jusqu’à son recyclage final. "Nous poussons le leasing sur le véhicule d’occasion, notamment pour ces raisons, reconnaît Laurent Aubineau, directeur général de Banque Stellantis France. L’objectif du constructeur est de pouvoir financer trois ou quatre clients sur la durée de vie du véhicule."
Détention du véhicule durant toute sa vie
Après une hausse de 30 % de la production financière liée au véhicule d’occasion, la captive du groupe Stellantis travaille désormais à ce troisième cycle de vie. Garder le client dans la sphère de la marque est une chose. Amortir des valeurs résiduelles trop hautes sur plusieurs cycles de vie en est une autre. Sans compter la volonté d’absorber toute la valeur du financement et de l’entretien dans l’écosystème de la marque. Le risque de voir se restreindre le champ d’action existe pour les sociétés indépendantes qui n’ont pas l’intention de laisser le client aux constructeurs.
"Le seul décisionnaire reste le client et personne n’a le monopole de la relation avec lui, fait remarquer Christophe Michaëli. Nous avons de gros atouts à défendre. Nous connaissons déjà le client qui vient acheter une voiture en concession, parce qu’il est sans doute également client de la banque lorsqu’il réalise un achat, par exemple, dans des enseignes d’ameublement ou d’autres secteurs. Et je ne vois pas pourquoi cette relation serait moins forte que celle que veut instaurer le constructeur avec sa captive. "
En attendant, les filiales de banques multiplient les casquettes. Elles se positionnent dans les appels d’offres des constructeurs pour agir en marque blanche et auprès des distributeurs. En jouant sur tous les tableaux, ces dernières acquièrent une connaissance de l’intérieur des mécanismes de promotion des constructeurs. Elles adaptent leurs instruments et leurs processus de digitalisation pour en faire bénéficier les réseaux. Un jeu d’équilibriste en somme. "L’idée du constructeur est de garder le client dans son univers. Enchaîner les cycles de vie est une très belle manière de reprendre le pouvoir auprès des distributeurs. Mais sans entrer en guerre avec les captives des constructeurs, notre objectif est de donner la possibilité aux distributeurs de conserver leur indépendance", poursuit Étienne Royol.
Générateur de données
La force des filiales bancaires repose sur cette captation de données du client à 360°. A contrario, la faiblesse des captives réside, dans une relation purement automobile.
Un positionnement qui donne clairement un avantage aux sociétés indépendantes. Même si la liberté des distributeurs automobiles pourrait se restreindre avec les nouveaux cadres contractuels proposés par certaines marques. Pour Christophe Michaëli, ce traitement de la donnée devrait améliorer le suivi du cycle de vie du client.
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