Bruno Jamet, Pôle véhicule du futur : "L'hydrogène est plus pertinent pour les usages lourds et intensifs de la mobilité"
Le défi de l'hydrogène pour la mobilité nécessite une approche réfléchie, entre la transition vers des sources d'hydrogène plus vertes et une adaptation des infrastructures pour répondre aux besoins croissants. La route vers l'hydrogène en tant que source d'énergie pour les véhicules est parsemée de défis et de promesses, et son avenir dépendra de la capacité à relever ces défis avec succès.
Le Journal de l’Automobile : Le véhicule particulier peut-il être une voie de développement des motorisations à hydrogène ?
B.J. : Le véhicule particulier ne semble pas être une cible à court et moyen terme pour l’hydrogène. Notamment parce que le véhicule électrique à batterie pourra répondre à la plupart des usages. En revanche, l'hydrogène est plus pertinent pour les usages lourds et intensifs où la batterie remplit mal l’objectif de mobilité. La réponse ne tient pas forcément en termes de types de véhicule mais plutôt d’usages. Si le véhicule est léger, mais qu’il doit fonctionner toute la journée ou qu’il est difficile à arrêter pour être rechargé, comme les taxis ou les engins de manutention, l’hydrogène a toute sa pertinence. De la même manière, l’hydrogène est pertinent pour les poids-lourds et sera massivement utilisé. Faire rouler un camion avec une batterie est un non-sens. Elle prendrait trop de place et la recharge serait trop longue.
J.A. : La baisse du prix de revient de la pile à combustible qu’engendrera la hausse de la production peut-elle inverser cette règle ?
B.J. : Étendre l’hydrogène aux véhicules particuliers pourraient augmenter les volumes de production des fabricants de piles à combustibles et faire baisser leurs coûts. C’est certain et c’est le choix qu’ont fait les Japonais et les Coréens notamment avec la Toyota Miraï et la Hyundai Nexo (avec de l’hydrogène gris, Ndlr). Mais l’électrique à batterie gardera un temps d’avance. Cette filière a grandi très vite ces dernières années et la baisse des prix de revient est déjà constatée.
JA : Les infrastructures de recharge pour l’hydrogène se déploient lentement en Europe. Sont-elles viables économiquement au vu du peu de véhicules qui roulent aujourd’hui ?
B.J. : Dans le monde, en 2022, 1 000 stations étaient opérationnelles dont plus de la moitié se situent en Chine, au Japon et en Corée. 1 000, c’est aussi l’engagement de la France en 2030. Actuellement, 40 existent sur le territoire mais toutes ne sont pas publiques. Certaines sont réservées à des flottes captives. Les objectifs sont énormes et nous savons qu’il y aura une forte croissance du nombre de stations de ravitaillement hydrogène. Celles-ci pourront d’ailleurs prendre plusieurs formes : fixes ou mobiles, certaines seront productrices d’hydrogène tandis que d'autres ne feront que du stockage.
Mais compte tenu du faible nombre de véhicules particuliers roulant à l’hydrogène, celles-ci ne seront pas viables. Nous allons donc cibler le véhicule utilitaire léger qui offre de multiples cas d’usage. Par exemple, les artisans sont productifs et roulent beaucoup sur une même zone. Cela peut être un modèle pour faire vivre une station. En 2030, on estime que la France disposera d'environ 750 stations pour les VUL et 170 pour les poids-lourds. Avec des formats différents.
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J.A. : Qu’entendez-vous par formats différents ?
B.J. : Nous pouvons créer de grosses stations qui vivront grâce à des mécanismes de soutien. Mais nous pouvons aussi faire des stations amovibles de 40 kilos/jour d’hydrogène comprimé. Des entreprises françaises comme Atawey se développent sur ce secteur. Le mieux, c'est un modèle semi-centralisé avec de gros hubs qui produisent l’hydrogène en lien avec les sites industriels décarbonés à hauteur de 50, 100 ou 200 mégawatts par an. Ces grosses stations feront baisser le prix de l’hydrogène. Ainsi, des camions roulants eux aussi à l'hydrogène pourront le distribuer dans un rayon raisonnable. De cette manière les stations ne coûteront plus plusieurs millions d’euros mais peut-être moins de 100 000 euros.
JA : La production d’hydrogène vert est-elle suffisante pour ce que nous comptons en faire dans les dix ou quinze prochaines années ? Faudra-t-il l’accompagner d’autres sortes d’hydrogène ?
B.J. : Je pense que le « tout hydrogène vert » sera très compliqué voire impossible à cette échéance. Produire l’intégralité de notre hydrogène à partir d’énergies renouvelables n’est pas une voie exploitable. Il faudrait qu’en plus de la production d’électricité verte pour notre usage classique, la France augmente ses capacités pour fabriquer l'hydrogène vert. Cela voudrait dire la construction de nouveaux panneaux solaires, de nouvelles éoliennes etc. (en sachant qu’un kilogramme d’hydrogène vert se produit par électrolyse avec 55 kWh d’électricité, soit six jours de production par panneaux solaires pour une maison, Ndlr).
En France, nous avons cet avantage d’avoir un mix électrique décarboné avec du nucléaire, du renouvelable et un petit peu de charbon et de gaz que l’on prévoit de couper.
Cela doit nous permettre de décarboner à partir de technologies mûres comme l’électrolyse. L’électricité utilisée par cette technologie doit sans aucun doute venir d’énergies vertes tant qu’il y en a. Elle devra aussi venir d’énergies décarbonées comme le nucléaire. Le nucléaire est un bon entre deux. C’est une bonne spécificité française qui nous permettra d’avancer dans cette voie.
J.A. Quelles sont les autres formes d’hydrogène et leurs caractéristiques ?
B.J. : L’hydrogène issu du nucléaire est une solution et dans le pire des cas l’hydrogène gris. Ce sont des solutions de transition le temps d’augmenter notre capacité de production d’hydrogène vert. Mais il faut que cela soit une transition.
L’hydrogène naturel a tous les attributs de la solution miracle mais il ne faut pas trop miser dessus. Nativement chacun des continents dans le monde a de quoi alimenter plusieurs fois la consommation mondiale. Il suffirait de capter quelques pourcents des gisements probables et nous arriverions à alimenter nos usines et nos véhicules mais c’est encore extrêmement incertain.
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