Lubrifiants : Toujours la tendance baissière
Moins 5,7 % en 2012, - 4,2 % en 2013, et - 2,8 % en 2014. Voilà résumée très prosaïquement la tendance relative au marché des lubrifiants sur ces trois dernières années. Avec au global 287 000 tonnes de lubrifiants automobiles commercialisés sur le marché intérieur de source CPL (Centre professionnel des lubrifiants), l’exercice 2 014 s’est effectivement conclu par une régression de 2,8 % par rapport à l’exercice précédent. Un moindre mal, diraient certains. Sur ce volume, donc, les moteurs de voitures de tourisme pèsent à eux seuls 157 000 tonnes, dont 124 440 tonnes pour le segment essence et mixtes, et 28 200 tonnes pour le segment spécifique Diesel tourisme. Première réaction à ce niveau, celle de Thierry Martin, coordinateur marketing opérationnel chez Motul, société qui, pour sa part, a réalisé “une année record” en 2014 avec de la conquête de parts de marché. “Bien que porteur d’espoir, le résultat enregistré l’an passé ne doit pas faire oublier la réalité de la situation, note-t-il. En effet, le retrait moindre sur 2 014 vient s’ajouter à la courbe de fléchissement plus marquée sur les années passées.”
Une chose est certaine. Ce ne sont pas les premières données du marché 2015 qui prêtent à l’optimisme. En effet, toujours de source CPL, les deux premiers mois de l’exercice en cours se sont soldés par une régression de 6,2 %, avec un volume cumulé de 46 850 tonnes. En année glissante (soit du 1er février 2014 au 31 janvier 2015), le recul s’établit à 4,2 % (avec 283 950 tonnes), soit exactement le même retrait que sur l’année 2012. Pure coïncidence que celle-ci ? “Pour ma part, je ne vois pas d’indicateurs rationnels qui expliqueraient ces variations marché d’une année sur l’autre, concède Thierry Martin. Selon moi, les indicateurs rationnels tels que les intervalles de vidange, le renouvellement du parc ou encore le kilométrage moyen parcouru ont plutôt une influence sur le moyen terme ou le long terme, dans le cadre d’une baisse structurelle et naturelle du marché de l’ordre de 2 à 3 % par an, bon an mal an.” Effectivement, les propos d’Eric Candelier, directeur commercial de Yacco, vont dans le même sens. “Plus le parc se rajeunit, plus l’espacement de vidange est important. Mais, pour ce qui est de notre parc, l’âge moyen aurait plutôt tendance à augmenter d’année en année, relève-t-il. Un indicateur qui, à l’instar du poids du parc en lui-même, n’explique pas les variations actuelles du marché.”
L’indice de confiance des ménages a globalement perdu des points
Une précision. Au 1er janvier 2015, le parc VP se chiffrait à 30,7 millions de véhicules, dont 63 % de Diesel et 37 % d’essence. Evidemment, celui-ci demeure intimement lié aux immatriculations. Dans ce registre, toujours pour ce qui est des VP, les ventes de VN se situent en dessous des deux millions d’unités (presque 1,8 million d’unités en 2014) pour la troisième année consécutive. Quant à la moyenne kilométrique annuelle, celle-ci se situe à quelque 13 000 km. Ainsi, selon Thierry Martin, la vérité réside sans doute dans les statistiques de l’Insee. En effet, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques, l’indice de confiance des ménages a globalement perdu des points entre 2007 et 2014, atteignant son pic le plus bas en 2013 (seuil de 80 contre 92 début 2015). “Or, c’est précisément ce facteur de confiance en l’avenir qui détermine la consommation des ménages”, souligne Thierry Martin. Certes, à l’instar du taux de croissance (+ 0,6 %), en avril, l’indice de confiance des ménages s’est amélioré pour le troisième mois consécutif. Néanmoins, il reste en dessous de sa moyenne sur une longue période. Pour Christophe Guillaumenq, directeur commercial Lubrifiants (marché professionnels) au sein de BP France qui distribue Castrol, l’indice de confiance a une incidence majeure sur l’après-vente en général dans la mesure où le secteur engendre généralement des dépenses subies, souvent mal perçues par le consommateur. “Une sorte de réticence d’autant plus marquée en période de crise, sans parler du fait que le consommateur a des priorités”, fait-il remarquer.
Une situation confortée par une enquête du Gipa menée en 2015 puisque, selon celle-ci, la vidange demeure la première prestation reportée au maximum pour un peu plus de 30 % des conducteurs, devant la révision. “Au contraire du pneumatique avec lequel il est difficile d’enfreindre les règles, ne serait-ce qu’en raison de l’aspect réglementaire et répressif, il est facile d’augmenter l’espacement de vidange de 5 000 à 8 000 km, en réalisant un appoint, pense Eric Candelier. La tentation peut être grande pour certains consommateurs en délicatesse avec leur budget.” Conséquence directe, le nombre de consommateurs effectuant l’opération chaque année se situerait légèrement au-dessus de la barre des 60 %, contre près de 80 % il y a cinq ans. Un constat synonyme d’une perte de quinze points. Pire, ainsi que nous l’avions déjà mentionné l’an passé, une certaine tranche de consommateurs n’hésiterait pas à mettre en péril la garantie constructeur en repoussant l’opération, sachant aussi que les risques de problème durant la période de garantie demeurent minimes compte tenu de la fiabilité des véhicules actuels. “Aujourd’hui, le phénomène demeure réel, mais il ne semble pas s’être amplifié”, relativise Christophe Guillaumenq.
Autre aspect du problème, l’augmentation des intervalles de vidange ces dernières années, sur les véhicules neufs. “Un intervalle qui n’augmente plus aujourd’hui et qui, dans certains cas bien particuliers, en fonction du type de carburant utilisé (notamment le carburant bio, N.D.L.R.) et du régime moteur, est même revu à la baisse par certains constructeurs”, explique Eric Candelier. Effectivement, le cap des 15 000 km peut très bien être prescrit. Reste que, en moyenne, les intervalles de vidange sont stabilisés entre 20 000 et 30 000 km pour la majorité du parc européen essence et Diesel, sachant que la plupart des constructeurs plébiscitent également une équivalence dans le temps, soit un an.
Sans surprise, le secteur des MRA enregistre la plus forte progression
Côté distribution, plusieurs constats. Sur le plan de la délégation, le centre-auto a tendance à marquer le pas (15 % des parts), face aux spécialistes de la réparation rapide et aux pneumaticiens toujours en légère progression (respectivement 6 et 9 % des parts), ces derniers faisant de la vidange et de l’entretien auto en général leur nouveau cheval de bataille avec, notamment, le respect de la garantie constructeur. Mais, surtout, et ceci à l’instar de 2013, le MRA est le secteur en plus forte progression avec désormais 26 % des parts, contre 32 % pour le canal des constructeurs (RA1 + RA2). Sur ce point, Christophe Guillaumenq tient à apporter une précision : “Les MRA d’aujourd’hui ne sont plus les mêmes que ceux que l’on connaissait il y a dix ans. Ceux-ci se structurent désormais sous des enseignes de types Eurorepar, Motrio, Motorcraft, etc., et dans ce registre, ce sont souvent d’anciens agents qui ont perdu leur panneau pour X raisons (volonté de devenir multimarques, etc.). Une situation qui explique aussi le fait que les agents perdent des parts au profit des MRA.” Ainsi, selon lui, ce secteur se caractérise actuellement par une professionnalisation qui se renforce.
Par ailleurs, une question s’impose : que pèse véritablement le e-commerce au niveau des lubrifiants ? Difficile de s’avancer sur le sujet en l’absence de chiffres vraiment fiables. Pour ce qui est du BtoB, principalement représenté par Oil Factory, la démarche en est à ses balbutiements. Au niveau du BtoC, les deux principaux acteurs ont pour nom Oscaro et plus récemment Amazon. “Sur le marché du ‘do it yourself’ uniquement, les ventes en ligne doivent peser quelque 5 %, dans le cadre d’une croissance assez forte, indique Thierry Gourault, directeur Lubrifiants au sein de la direction Lubrifiants France de Total. Néanmoins, le développement des ventes sur Internet ne se traduit pas par un redéploiement du ‘do it’ au détriment de la vidange réalisée par un professionnel.” En d’autres termes, selon lui, dans un marché du “do it” en baisse, les ventes en ligne auraient plutôt tendance à croître au détriment des acteurs traditionnels du “do it”, à savoir la grande distribution (GMS…), les boutiques des centres-autos, voire même les distributeurs stockistes traditionnels via leurs ventes au comptoir. Un élément d’importance s’il en est ! En fait, selon une étude récente du Gipa réalisée sur un panel de près de 600 conducteurs, l’achat d’huiles sur Internet ne se positionnerait qu’au sixième rang, juste derrière les bougies.
Prix du baril, une variable relative
Autre interrogation en tout point légitime : la baisse du coût du baril de brut ressentie ces derniers temps (coût quasiment divisé par deux en l’espace de six mois) a-t-elle eu un impact sur le niveau de prix du lubrifiant ? Sur ce point, la réponse comporte plusieurs facettes. D’abord, Eric Candelier apporte une précision d’importance. “Sur le premier trimestre, le point assez spectaculaire en termes d’évolution des ventes réside au niveau du mix produit, explique-t-il. Celui-ci continue de progresser de façon très marquée. En ce qui nous concerne, le grade 30 en 0W ou en 5W a progressé de 20 % sur le premier trimestre et représente désormais plus de la moitié de nos ventes aux professionnels, tous confondus.” Ainsi, l’IG vend aujourd’hui à ses clients deux fois plus de 0W-30 que de 15W-40.
Le lien avec l’aspect coût ? Au vu de sa formulation, réalisée généralement avec des huiles de base de Groupe I, donc “basiques”, une huile de grade 15W-40 bénéficie de manière plus sensible de la baisse du baril de brent au niveau de son prix de revient. “En revanche, toutes les huiles de nouvelles générations, de grades 5W-30, 0W-30, 0W-20, Low SAPS ou non, etc., sont des huiles formulées avec des huiles de base de Groupe III et/ou de PAO (PolyAlphaOléfines, N.D.L.R.), reprend Eric Candelier. Or, pour ces dernières, éléments clés de la chimie, la demande demeure supérieure à l’offre. D’où le fait que la baisse en matière de coût se révèle nettement moins sensible.” En outre, il faut savoir que les additiveurs ne s’inscrivent pas dans un trend baissier, loin s’en faut, les additifs pouvant constituer 30 % de la composition du produit, et bien plus en valeur. Un autre élément entre également en ligne de compte, la parité euro/dollar. “Certes, le coût du baril en dollars a considérablement baissé mais, dans le même temps, l’euro a perdu plus de 30 % de sa valeur face au dollar, souligne Eric Candelier. Aussi, une partie du gain potentiel réalisé sur le coût du baril a été gommée par la baisse de l’euro face au dollar.” Bref, au final, la baisse des coûts se révèle bien plus significative sur les produits… les moins commercialisés aujourd’hui !