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Industrie

La batterie européenne traverse la vallée de la mort

Publié le 13 mars 2025

Par Catherine Leroy
5 min de lecture
Avec la mise en faillite de Northvolt, c'est toute l'industrie européenne de la batterie qui tremble. Trois ans après les promesses d'implantation de gigafactories un peu partout sur le continent, le bilan est préoccupant pour les industriels qui traversent une phase critique de leur développement.
Avec la mise en faillite de Northvolt, c'est toute l'industrie de la batterie européenne qui tremble.
Avec la mise en faillite de Northvolt, c'est toute l'industrie de la batterie européenne qui tremble. ©Northvolt

Sans surprise, Northvolt a jeté l'éponge le 12 mars 2025, six mois après s'être placé sous la protection du chapitre 11 de la loi des faillites. Northvolt constituait la plus grande initiative européenne de l'industrie de la batterie.

 

Le groupe avait levé des sommes considérables (15 milliards d'euros), mais l'activité n'était pas au rendez-vous. La production a pris énormément de retard, au point que certains clients ont résilié leur contrat. En juillet 2024, c'est BMW qui a dénoncé un contrat de deux milliards d'euros avec le groupe suédois.

 

L'échec est cuisant. Mais avant Northvolt, d'autres projets sur les 38 annonces de gigafactories ont été abandonnés. Au Royaume-Uni, la société Britishvolt avait fait faillite début 2023 avant de parvenir à lancer son énorme usine de batteries, faute d'avoir levé suffisamment de fonds. Début 2024, le fabricant chinois Svolt a également annoncé qu'il renonçait à sa deuxième usine européenne en Allemagne à cause d'oppositions locales et après le retrait d'une commande importante.

 

De son côté, ACC, le plus sérieux concurrent de Northvolt sur le continent, ne cache pas ses difficultés. En octobre 2024, Yann Vincent, son directeur général, avouait au Journal de l'Automobile la complexité d'une production de masse de batteries pour véhicules électriques.

 

 

La traversée de la vallée de la mort

 

"L'un des plus grands écueils dans cette industrie, c'est la collision entre le long et le court terme", reconnaît Gilles Normand, aujourd'hui à la tête de la société de conseil EVTechConsulting. Auparavant, Gilles Normand a été président de Prologium Europe, l'un des champions de la batterie solide, mais aussi responsable de la business unit véhicules électriques de Renault.

 

Pour ce spécialiste, les difficultés actuelles se concentrent sur cette phase de construction d'une industrie, très gourmande en ressources financières et très lente en apprentissage pour limiter les taux de rebuts. "Les champions de la batterie tels que LG ou encore CATL ont plus de 20 ans d'expérience dans ce process de fabrication. Et au bout de dix ans de production, leur taux de rebus atteignait toujours 15 %", fait remarquer Gilles Normand.

 

 

Cette phase, les industriels de tous secteurs l'appellent "la vallée de la mort" ! Sinistre appellation qui prend tout son sens avec Northvolt. C'est justement la période où la production n'est pas encore optimisée et où les centaines de millions, voire les milliards d'euros, sont engloutis. Sous l’œil de plus en plus sévère des marchés et des actionnaires qui s'agitent en voyant les ventes de véhicules électriques patiner. "On met des contraintes financières énormes sur des entreprises qui démarrent tout juste. C'est un peu comme si on arrêtait un réacteur au moment du décollage d'un avion", schématise cet expert.

 

L'histoire semble lui donner raison. En France, ACC a ouvert sa première usine de batteries en mai 2023 à Douvrin (Nord). Mais deux autres usines prévues à Termoli en Italie et à Kaiserslautern en Allemagne ont d'ores et déjà été mises en pause.

 

L'Europe a pris le chemin de la batterie à l'envers

 

Face à ce long apprentissage, les industriels européens ont tenté de griller les étapes. Mais selon les experts, la chaîne de valeur de la batterie doit respecter six étapes : la maîtrise de l'extraction des minéraux, le raffinage, la fabrication des électrodes, l'installation de gigafactories, puis celle des usines d'assemblage des véhicules et enfin le recyclage. En Europe, les industriels ont commencé par la production de voitures électriques, l'étude du recyclage et enfin les investissements pour les usines de batterie.

 

"En moins de dix ans, l'industrie a pu mettre sur le marché une offre qui répond à une partie de la demande", reconnaît Gilles Normand. "Mais les clients qui sont plus rationnels veulent aujourd'hui des batteries de nouvelles générations qui offrent plus de sécurité et plus d'autonomie.

 

De plus en plus de constructeurs, comme BYD, adoptent des batteries de technologie LFP (lithium-fer-phosphate), une option moins chère, plus durable, mais moins puissante. Stellantis a choisi de lancer la construction en Espagne d'une usine de batteries LFP détenue à 50/50 avec le géant chinois du secteur, CATL.

 

Selon le lobby environnemental T&E (Transport et Environnement), au moins 100 gigawattheures de capacité de production de batteries prévus en Europe ont été annulés en 2024 "en raison des difficultés des producteurs européens à lutter contre la concurrence mondiale, contre les subventions accordées ailleurs et contre l'absence de règles équitables".

 

Début mars 2025, dans son plan d'urgence au secteur automobile, la Commission européenne a déclaré qu'elle étudiait la possibilité de soutenir financièrement la production de batteries dans l'UE et d'introduire des obligations de contenu local. "Mais c'est trop peu et trop tard", selon T&E. Selon l'Agence internationale de l'énergie, interrogée par l'AFP, l'Europe doit d'abord s'assurer d'une forte demande pour les batteries électriques (et donc pour les voitures) "pour donner aux fabricants le temps de perfectionner les processus de production et de développer des écosystèmes industriels régionaux solides".

 

Mais l'Europe doit se battre depuis avec un plan de réarmement et de défense évalué à 800 milliards d'euros. Difficile de croire qu'elle aura les moyens de subventionner la production des batteries pour réduire les coûts et laisser le temps aux industriels de solidifier leur modèle.

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