E-carburants : la Commission tentée par un 49.3 version européenne ?
Le doute n'est plus permis : la Commission européenne va bel et bien procéder à la rédaction d'un projet de règlement délégué incluant les carburants de synthèse. Divulgué le 21 mars 2023 par Reuters, le texte prévoit clairement la possibilité d'autoriser la vente de véhicules thermiques après 2035 à condition qu'ils roulent exclusivement avec des carburants de synthèse, neutres en carbone.
Une autorisation qui donne à la Commission européenne une porte de sortie pour une ratification définitive de son règlement sur l'obligation de vente de véhicules à zéro émission en 2035. Une décision que l'Allemagne a décidé de rejeter au début de mois de mars 2023. Le gouvernement fédéral, outre-Rhin, conditionne son accord à la possibilité d'utiliser des carburants synthétiques.
Ces carburants sont facilement substituables aux carburants conventionnels, fossiles. Ils ne nécessitent pas de changement des infrastructures de recharge, ni d'adaptation de la logistique de transports. De plus, ils sont acceptés sans modification par les moteurs thermiques actuels, y compris les modèles déjà en circulation.
D'où viennent les e-carburants ?
Les e-carburants sont fabriqués à partir de CO2, puisé dans l'atmosphère, combiné à de l'hydrogène. "Le bilan carbone de ces e-carburants va dépendre du mix électrique utilisé pour produire l'hydrogène. Ce mix est très variable selon les pays. En Allemagne par exemple, plusieurs études académiques prouvent que le bilan carbone de ces e-carburants est supérieur à celui des véhicules électriques et même des véhicules thermiques. Il s'agit là d'une demande qui vise à freiner l'électrification et maintenir des véhicules techniques. Mais cela ne peut pas être une solution à grande échelle", éclaire Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports.
En France, ces e-carburants sont utilisés notamment dans des flottes de poids lourds et de bus. SP3H, société basée à Aix-en Provence (13), a fait de ces carburants son fer de lance. Celle-ci a mis au point un capteur électronique qui permet de s'assurer que les véhicules roulent effectivement avec des e-carburants. "C'est un petit boîtier qui pèse 350 g et qui scanne les molécules de carburants et vérifie la signature moléculaire du e-carburant", explique Alain Lunati, président-directeur général de la société.
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C'est justement à partir d'un capteur tel que celui de SP3H que la Commission européenne conditionne son exemption. L'exécutif européen indique clairement dans son texte délégué que les moteurs thermiques ne devraient fonctionner exclusivement qu'avec ces e-carburants, sans possibilité de tromperie.
"Bercy, en France, octroie des avantages fiscaux sous forme de sur-amortissement pour les flottes qui utilisent ces e-carburants, qui peuvent aller jusqu'à 160 % du prix du véhicule. La fraude n'est donc pas permise", ajoute Alain Lunati, qui assure que dès que son capteur détecte l'emploi d'un carburant fossile classique, le véhicule est très rapidement bridé à 20 km/h et donc impossible à utiliser.
Batailles d'experts
Ce dernier précise également que les e-carburants de synthèse de première génération produits à partir d'huiles usagées émettent jusqu'à 83 % de CO2 en moins par rapport aux carburants conventionnels. En prenant en compte le CO2 puisé dans l'atmosphère, le bilan carbone devient donc positif.
Des arguments que réfutent cependant des associations telles Transport & Environment mais aussi Karima Delli, députée européenne en charge de la commission Transport, qui cite une étude de l'Ademe selon laquelle les carburants de synthèse génèrent 53 % de CO2 de plus qu'un véhicule électrique. "Sans compter les émissions d’ammoniaque mais aussi de monoxyde de carbone", ne décolère pas la députée européenne. "Le texte qui a été voté par le Parlement européen donne l'obligation de 100 % de véhicules zéro émission. Ce sont les constructeurs de voitures de luxe qui souhaitent tordre la loi. Or l'élite ne peut s'affranchir de la loi."
Un prix au litre multiplié par deux
Transport & Environment évoque également un prix supérieur de 50 % à la pompe pour les carburants synthétiques. Pour Alain Lunati, le coût de fabrication, actuel, supporte un facteur de 2 à 3 en comparaison avec les carburants fossiles. Ainsi, hors charges et taxes, un litre de carburant synthétique revient entre 1 et 1,50 euro, contre 50 centimes pour le gazole ou l'essence.
Bilan mitigé pour les constructeurs
Si les constructeurs allemands comme Porsche et BMW montrent plus que de l'intérêt face aux e-carburants, les français attendent une meilleure visibilité. "Renault Group est engagé dans la décarbonation. De ce fait, en plus de l’objectif affiché d’électrification, le groupe étudie toutes les opportunités et les développements de technologies bas carbone avec une vision à long terme, avec une approche des émissions du berceau à la tombe, ou même du berceau au berceau", indique un porte-parole du groupe en France.
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Cependant, le constructeur français, qui vient d'intégrer le pétrolier Aramco dans sa branche Horse dédiée aux motorisations thermiques, voit une possibilité de développement. "Aramco apporte à Renault Group un savoir-faire unique pour développer des innovations de rupture en matière de carburants synthétiques. Dans cette optique, les carburants synthétiques ou e-fuels peuvent représenter une option intéressante y compris face aux véhicules électriques – notamment ceux dotés de grosses batteries. Les e-fuels ou carburants synthétiques ont un autre intérêt significatif : ils sont compatibles avec les voitures thermiques actuelles ou plus anciennes ; ils se mettent directement dans les moteurs existants et pourraient donc permettre de décarboner rapidement tout le parc automobile", ajoute le constructeur.
Bras de fer entre la Commission et le Parlement
Reste aujourd'hui à connaître l'avenir de ce texte délégué. Karima Delli promet une bataille rangée au Parlement européen, une fois le texte publié au Journal officiel européen. Car la stratégie utilisée par la Commission européenne peut s'assimiler au 49.3 largement utilisé par le gouvernement français. L'engagement de la responsabilité de la Commission en moins !
La procédure de l'acte délégué que va utiliser Bruxelles permet à un groupe d'experts mandaté par la Commission de se prononcer sur les normes techniques avant une publication au JO, sans passer par la case vote au Parlement.
"Mais une fois publié, le Parlement disposera de deux mois pour s'en saisir. La bataille ne fait donc que commencer. Il ne faut pas que ce processus créé des précédents. Derrière, les conséquences seraient terribles", assure la députée.
Acte prémédité de l'Allemagne ?
Cette procédure assez inédite a été rendue possible grâce au considérant ajouté par le gouvernement allemand lors du trilogue européen. Les bruits de couloirs à Strasbourg parlent même d'une préméditation de l'Allemagne.
Peut-être mais, en attendant, il faudra une majorité absolue au Parlement européen contre l'acte délégué. Ce qui n'est pas encore gagné !
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