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Distribution

Réseau Renault : entre satisfactions et crispations

Publié le 13 mai 2020

Par Alice Thuot
7 min de lecture
Si, durant les premières semaines du confinement, la réactivité et la flexibilité du groupe Renault ont été saluées par le réseau, plusieurs sujets soulèvent des craintes. Parmi eux, des objectifs jugés ambitieux, le manque de visibilité pour les mois à venir et la peur de la dégradation des marges dans un univers concurrentiel agressif.
Le réseau Renault souligne la rapidité avec laquelle le groupe a réagi à la crise, mais confie ses inquiétudes pour la suite.

 

Tout va bien à première vue dans le réseau Renault : les livraisons ont repris, les plannings après-vente sont bien remplis et la bienveillance du constructeur durant le confinement a agréablement surpris le réseau. "Renault nous a effectivement très bien accompagné dans la gestion de la crise, confirme Olivier Ertel, directeur général du groupe Michel, distribuant également les marques du groupe PSA. Contrairement à d’autres constructeurs qui nous ont fixé des objectifs de livraisons pendant le confinement, nous n’avons eu aucune pression."

 

Pourtant, derrière ce constat positif se cachent quelques inquiétudes, notamment concernant les objectifs de vente. Des aménagements ont été fait pour tenir compte des semaines de fermeture. Ainsi, les deux premiers objectifs trimestriels ont été fondus pour ne garder qu’un objectif semestriel. Une manipulation qui permet de "diluer", les faibles performances de mars, avril et, en partie mai, mais toutefois jugée insuffisante. Pour définir l’objectif semestriel, le groupe a pris notamment en compte le portefeuille à livrer lors de la fermeture des showrooms, les immatriculations réalisées, les prises de commande sur le marché français. "De ces calculs mathématiques pas vraiment cohérents ont émergé des objectifs ambitieux", estime un premier distributeur.

 

Inquiétude du côté des objectifs

 

Ces objectifs reposent en effet sur deux variables jugées trop incertaines : le portefeuille des concessionnaires et l’évolution du marché. "Ce portefeuille est très variable d’un distributeur à un autre et peut donc être impacté par la crise très différemment, dans le bon ou le mauvais sens. Certains clients flottes ont pu par exemple massivement annuler leur commande", souligne un concessionnaire. S’ajoute l’incertitude la plus totale sur l’atterrissage du marché au 1er semestre. "Disons que le constructeur a tendance à voir le verre à moitié plein tandis que les distributeurs le voient à moitié vide", illustre-t-il. Renault table ainsi sur un marché à environ -40 % sur la première partie de l’année. Optimiste, pour cet investisseur, après des mois à -72 et -88 %. "Surtout que juin 2019 avait été marqué par un haut niveau de tactiques dans le réseau, glisse-t-il. Ce qui ne pourra pas se reproduire cette année, les distributeurs n’en ont clairement pas les moyens."

 

"Il était certain que Renault n’allait pas donner les primes volumes sans conditions. Pour le groupe, si son réseau n’a pas de carotte, il n’ira pas se battre pour aller chercher du volume", souligne un autre investisseur. Un raisonnement normal pour Olivier Ertel, qui nuance la crainte de volume non atteint. "Il y a une interrogation énorme concernant le marché : ni Renault, ni son réseau n’avons de visibilité. Je pense qu’à un moment, il faut se dédouaner du constructeur, surtout lorsque les réseaux se plaignent de ne pas être indépendants. Il est normal qu’un constructeur fasse en sorte que nous allions chercher de la performance. Ces objectifs seront de toute façon ajustables et ajustés, dans la mesure où l’intérêt de Renault n'est pas de faire plonger son réseau. Ceci dit, il n’y en aura pas pour tout le monde et seuls ceux qui ont atteint la performance auront des résultats." Rien de nouveau sous le soleil donc.

 

Manque de visibilité sur l’avenir

 

Les investisseurs, appuyés par leur groupement, souhaiteraient des objectifs basés sur des parts de marché régionales voire locales. Un système plus juste, qui pourrait permettre de tenir compte des particularités locales, notamment en termes de clientèle mais aussi de modalité de confinement. "Si ces objectifs sont réactualisés par part de marché, ils seront à la baisse", affirme ce distributeur. Du point de vue qualitatif, pour le premier trimestre, une rémunération minimum a été assurée jusqu’à mars, "pas loin de zéro", reprend ce dernier. "Le groupe n’a pas dû dépenser beaucoup de sous. Mais le climat est compliqué pour les constructeurs, notamment Renault, qui n’est pas au meilleure de sa forme", nuance le distributeur, toujours en attente de l’animation sur ces items qualitatifs et liés aux PR pour le semestre entier.

 

Il déplore plus globalement, un flou dans la vision du constructeur à court et moyen terme. Une situation, provoquée certes par le contexte inédit et accentuée, selon le groupement, par le manque d’un capitaine à la barre du navire. "Nous avons besoin de visibilité. Fin juin, c’est demain. Il faut que nous puissions faire face aux échéances financières, maintenir notre trésorerie, notre résultat d’exploitation et que les pertes soient les moins importantes possibles, car derrière, nos capitaux propres sont en jeu." Les distributeurs réclament ainsi une simplification de l’animation cette année, concentré sur le VN, le VO et les pièces de rechange. "Nous n’avons ni le temps ni l’énergie de nous plonger dans de nombreuses animations modifiées tous les 15 jours", conclut un investisseur.

 

La question du stock sous haute surveillance

 

Mais la plus grande crainte des distributeurs réside bien dans la remise en marche des outils industriels qui pourrait rendre insoutenable financièrement le portage financier des stocks de véhicules. Le réseau admet d’ailleurs ressentir un certain soulagement à constater la laborieuse reprise de la production "La pire des situations serait de se retrouver sans visibilité et de s’engager sur un volume important. Nous préférons avoir des problèmes de disponibilité que des surstocks, surtout si le phénomène est généralisé à grande échelle", explique un concessionnaire. Une inquiétude partagée par le groupement des concessionnaires. "La plus grosse charge est bien sûr celle du stock. Le constructeur doit comprendre, lorsqu’il sera tenté de décharger des VN son dans réseau pour alimenter son free cash flow, qu’il n’est pas viable d’avoir un stock surdimensionné en concession par rapport à la demande", détaille Dominique Didier.

 

Un stock coûte cher en termes de financement, avec des taux d’ailleurs en augmentation, en termes de place, de frais de transport… Cette sonnette d’alarme est tirée dans un contexte où le volume de VN en stock est jugé certes un peu plus élevé que l’an passé mais bien composé. "Le stock est dimensionné pour répondre à un certain niveau de demande et peut donc devenir très problématique si le flux de vente s’affale de 30, 40 %", appuie l’un des distributeurs. "Dans le même temps, on ne sait pas quand les usines pourront de nouveau fonctionner. Donc on peut très bien se retrouver avec un pénurie de VN", nuance, prudent, un investisseur.

 

Le VO récent et la question des marges

 

Ce délicat équilibre entre l’offre et la demande, ses conséquences sur les prix, et donc les marges, concerne aussi le VO récent. Disponible actuellement en très grande quantité, avec des restitutions de loueurs courte durée anticipée, ces modèles pourraient faire l’objet d’une guerre des prix, pas vraiment bénéfique pour leur marge. "Même si la cote des VO a été gelée, nous nous doutions bien qu’à la réouverture du réseau, les besoins en trésorerie allaient déclencher une bataille", confirme Dominique Didier. Pour qui il faut alors distinguer la situation actuelle à une situation où il pourrait vraiment exister un problème de rotation du stock. "Certes ces VO ont pris 60 jours, mais c’est le cas chez toutes les marques, toutes les concessions. Ce n’est donc pas pour autant qu’il faut s’empresser de brader à grand renfort d’offres commerciales agressives, donc en dévalorisant les stocks. Attendons de voir comment va se comporter la demande. Pour rappel, nous avons quand même besoin de marge pour fonctionner", confirme un investisseur.

 

De potentiels problèmes de rentabilité qui pourraient accentuer selon Olivier Ertel le phénomène de contraction. "Il pourrait y avoir de la casse cette année particulièrement pour ceux qui ont grossi trop vite", prédit-il. Même si, pour le groupement, le risque de faillite de grande ampleur est faible. "Le réseau Renault est bien capitalisé, souligne Dominique Didier. Mais il ne faudrait pas que la situation dure. Sur l’aspect rentabilité, il faudra de toute façon que le réseau se prenne en main en faisant des efforts notamment sur l’immobilier ou en adaptant le personnel", prévient-il.

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