Quand les distributeurs Ford s’interrogent sur leur avenir
Amsterdam, 6 septembre 2012. Dans la ville néerlandaise, Ford Europe, avec en guest star Alan Mullaly, P-dg du constructeur, avait réuni tout son monde, dirigeants, journalistes et plus de 2 500 distributeurs, pour présenter dans un show à l’américaine le Go Further Plan. Ce dernier, devant durer cinq ans, jusqu’en 2017, consiste à lancer 15 nouveaux modèles mondiaux et à profiter de la croissance européenne, laquelle était estimée à l’époque à 20 % les prochaines années. Ces modèles, parmi lesquels les nouvelles Fiesta, Mondeo, mais aussi le Kuga 2e génération ou encore l’EcoSport, sont destinés à devenir les fers de lance de la marque. Tout comme la gamme des utilitaires sur laquelle Ford compte en élargissant son offre avec les Transit et autres Tourneo, sans oublier, histoire de relancer son image, de réintroduire la Mustang sur le Vieux Continent. En plus de cet aspect produit, le Go Further doit aussi permettre aux opérateurs européens de renouveler leurs points de vente “en redonnant aux concessions des aspects plus chaleureux et en impliquant tous les membres d’un point de vente dans la vie d’un site”, était-il précisé à l’époque. Au sortir de cette gigantesque convention européenne, on se souvient de l’enthousiasme généré auprès des distributeurs, qui saluaient “la débauche d’efforts du constructeur pour relancer la marque”.
Un enthousiasme retombé
Janvier 2014. Un an et demi plus tard, cet enthousiasme est quelque peu retombé. A l’image des immatriculations VP de la marque en France, lesquelles ont terminé l’année 2013 à 76 470 unités, en retrait de 17,3 % quand les VUL régressaient de leur côté de 8,4 %, à 16 929 unités, sur un marché hexagonal respectivement en repli de 5,7 % (VP) et de 4,4 % (VUL). Si le contexte actuel et la crise économique peuvent expliquer ces difficultés, ces éléments ne sont pas les seuls à être en cause. “Ford a péché notamment sur les ventes à sociétés, mais également diminué sa présence auprès des loueurs tout en éradiquant les ventes tactiques. En outre, la contraction des volumes n’a pas été compensée par les ventes VO”, explique un ancien cadre, qui souligne toutefois que “les ventes auprès des particuliers n’ont que très peu baissé”. De son côté, Francis Bartholomé, dirigeant du Garage Saint-Christophe, rappelle que le constructeur a “subi de plein fouet la crise en Europe, avec notamment la fermeture de l’usine de Genk, les conflits sociaux, ce qui n’a pas été sans conséquences sur la livraison des véhicules. Il faut parfois sept mois pour une Focus, c’est trop !”. De l’avis de nombreux distributeurs, l’exercice 2013 fut compliqué : “Je veux bien parler du Go Further, mais j’attends encore ses effets car, pour l’heure, aucun des véhicules promis n’est encore présent dans nos showrooms et ce dont nous avons besoin, ce sont des voitures à vendre, et vite”, s’impatiente un autre distributeur. Outre la baisse des ventes, le réseau Ford en France a également été confronté “à un taux d’absorption des services insuffisant et à une baisse du chiffre d’affaires de l’activité VO”, rapporte encore un fin connaisseur de la situation. En 2012, le taux de couverture moyen des frais fixes par l’après-vente n’atteignait que 49 % (pour une moyenne France de 58 %, N.D.L.R.) et le CA moyen d’un site Ford dans l’Hexagone se chiffrait, toujours en 2012, à 16,44 millions d’euros, en retrait de 8,67 %. Au regard du dernier exercice écoulé et des difficultés traversées, peu de chance que la rentabilité moyenne du réseau à l’ovale bleu, de - 0,3 % en 2012, se soit améliorée. S’il est encore trop tôt pour connaître celle de 2013, la plupart des concessionnaires interrogés s’accordent à dire qu’elle se situera entre “- 0,5 % et - 0,8 %”.
Un réseau remanié ?
Un chiffre inquiétant pour le réseau alors que se préparent bon nombre de défis pour les distributeurs. En 2013, certaines affaires ont vacillé, à l’image du groupe Ginisty ou du groupe Schwaller. “D’autres sont également menacées et pourraient mettre la clé sous la porte en 2014”, prévient un distributeur. “C’est vrai que nous avons plus pensé à protéger nos affaires qu’à développer notre business”, résume de son côté Jean-Yves Rouzès, directeur général du groupe Behra. C’est une épée de Damoclès qui plane au-dessus des distributeurs Ford, surtout depuis la fin de l’année dernière, quand, à Barcelone, les grands dirigeants européens avaient prévenu : “Compte tenu de la baisse du marché en Europe de 20 %, il faudrait peut-être adapter les réseaux de la marque sur les différents marchés.” Quelques distributeurs français croient en une réduction de la taille réseau et voient déjà une restructuration se profiler : “On confierait alors des territoires plus grands aux opérateurs les plus solides tout en éliminant les plus faibles quand, parallèlement, le nombre de points services ou de réparateurs agréés serait augmenté”, croit savoir une source proche du dossier. Aujourd’hui, le réseau Ford se compose de 304 concessions primaires, de 469 SRA et de 96 investisseurs. Combien seront-ils à terme ? “Je pense que 10 % du réseau aura disparu d’ici quelque temps. Une sélection naturelle aura lieu en plus d’une marche forcée à l’américaine”, ironise un autre distributeur.
Quelle politique commerciale ?
Autant d’éléments qui inquiètent alors que se profile la première convention réseau de l’année (le 17 janvier dernier, N.D.L.R.) au cours de laquelle les distributeurs vont rencontrer pour la première fois leur nouveau dirigeant, l’Anglais Paul Flanagan, qui a remplacé en fin d’année dernière Jean-Luc Gérard. Un remplacement qui a d’ailleurs fait grincer des dents au sein du réseau : “On nous parle de proximité, mais si je n’ai rien contre Paul Flanagan, celui-ci ne parle pas français, comment compte-t-il nous rassurer ?”, se demande un dirigeant d’un grand groupe de concessions. En plus de regretter le départ de Jean-Luc Gérard, les distributeurs craignent aussi la future politique commerciale du constructeur. Surtout depuis que certains bruits ont filtré d’une première rencontre entre Paul Flanagan et le Forami (groupements des concessionnaires Ford), lesquels faisaient état d’une nouvelle rémunération au sein de laquelle “la partie variable serait augmentée tout en demandant aux distributeurs d’accélérer le processus de remises aux normes et d’application des standards dans un contexte économique peu évident”, nous a-t-on expliqué. “Aujourd’hui, 25 % du réseau ne serait pas aux normes et les Américains ont décidé d’en terminer avec cela en reprenant en main la distribution”, ajoute un autre opérateur.
Un optimisme de mise
Malgré ce “flou artistique” décrié dans le réseau, les distributeurs Ford, très attachés à leur marque, préfèrent voir la suite avec optimisme. “Le constructeur a perdu beaucoup d’argent dans le passé, il en regagne aujourd’hui et ne veut plus vivre ces heures sombres. Il est logique qu’il veuille désormais faire avancer les choses”, tempère ainsi Francis Bartholomé. “Les nouveautés et le déploiement de la nouvelle gamme se feront tout au long de l’année, ce qui, inévitablement, portera ses fruits à terme”, espère Jean-Yves Rouzès. “Attendons de faire connaissance avec notre nouveau dirigeant, de voir les engagements qui seront pris par Ford France tout en sachant qu’il n’y a rien de dramatique. Oublions 2013, regardons 2014 avec optimisme et renouons avec les 5 % de part de marché”, conclut enfin Gérald Richard.
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