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Distribution

Marc Bruschet, Mobilians : "Le leasing social pour ne pas exclure les Français de la mobilité"

Publié le 25 mars 2022

Par Catherine Leroy
5 min de lecture
[Abonnés] L'accumulation des crises et les hausses de tarifs des constructeurs risquent d'empêcher une bonne partie des Français d'avoir un accès à la mobilité. Pour Marc Bruschet, président des distributeurs de véhicules particuliers au sein de Mobilians, la mise en place d'un leasing social permettrait d'aider la transition énergétique des clients et d'empêcher la chute des prises de commandes.
Marc Bruschet, président des distributeurs de véhicules particuliers au sein de Mobilians.

J.A. : La guerre en Ukraine vient accentuer les tensions dans la filière automobile. Quelles en sont les conséquences à terme ?

Marc Bruschet : Nous vivons une accumulation de crises qui complique l’équation avec des risques importants et de nouvelles contraintes d’approvisionnement, des tensions fortes sur les prix et à terme un réel problème d’indépendance de l’industrie automobile européenne face aux sous-traitants et fournisseurs de matières premières. Quelle que soit l’issue de la crise ukrainienne, mis à part évidemment l’utilisation de la force nucléaire, mais ce sera un autre problème, tout va dépendre de la résistance ukrainienne et de la tactique de l’armée russe. La crise va durer et elle aura des répercussions sur le long terme et des implications que l’on ne voit pas encore de manière directe. Nous vivons déjà des problèmes d’approvisionnement sur le gaz néon, le palladium… sans compter une désorganisation complète de la logistique qui, dans l’automobile, est très compliquée.

 

J.A. : La production sera fortement impactée mais la vente également. Quelles sont les conséquences que vous prévoyez sur le marché français ?

M.B. : Nous assistons déjà à des tensions inflationnistes très fortes, qui ne vont pas ménager le prix des voitures. Et lorsque l’on sait que la crise du marché du véhicule neuf est due à la déconnexion entre le prix catalogue et le pouvoir d’achat, on peut dire que les choses ne vont pas s’arranger. Donc je suis très prudent sur le niveau du marché en 2022 en France. Avant l’invasion de l’Ukraine, je prévoyais un marché autour de 1,7 million de voitures neuves. Il n’est pas improbable que le marché s’effondre sous la barre des 1,5 million d’unités. Mais les prévisions sont impossibles à modéliser à ce jour. De mémoire, nous n’avons jamais connu trois ans de crise, y compris pendant le premier choc pétrolier.

 

J.A. : Quel sera l'impact sur les réseaux de distribution ?

M.B. : Les réseaux primaires vont connaître une forte détérioration de leur rentabilité. Même si de grandes dispersions se font sentir selon les marques, tout va devenir compliqué car l'évolution des prises de commandes est négative depuis le début de cette année. D'ailleurs, cette forte chute des commandes, on parle de -30 % dans certaines marques, va se voir très rapidement dans les portefeuilles de commande qui vont se dégonfler très vite.

 

J.A. : La tension est-elle toujours aussi forte sur les délais de livraison ?

M.B. : Il faut bien comprendre qu'aujourd'hui, les distributeurs ne peuvent commander des véhicules s'ils ne sont pas déjà affectés à un client final. Sans parler d'un réel problème d'organisation industrielle chez certaines marques où des voitures arrivent sans les options demandées ou avec des équipements qui n'étaient pas demandés. Plusieurs constructeurs ne disposent pas d'une organisation très fiable. Certains anticipent et préviennent les réseaux mais souvent, le distributeur découvre la voiture et sa finition au moment de la livraison au client !

 

On a une application aussi intempestive qu’inamicale du "en même temps" mais en revanche, on a bien compris que nous devrions nous passer du "quoi qu’il en coûte".

 

J.A. : Vous avez déjà évoqué le problème de l'acceptation sociale du prix des voitures neuves, fin 2021. La baisse des prises de commande depuis le début de l'année est-elle la concrétisation de ce phénomène ?

M.B. : Bien sûr que ce soit au sein de la baisse des immatriculations depuis plusieurs mois et des prises de commandes aujourd'hui. C’est bien le canal des particuliers qui est le moteur de la décroissance du marché. On retrouve ce phénomène dans les immatriculations et dans les commandes. Mais jusqu’à présent, les carnets de commandes tenaient aussi par la demande émanant des sociétés. Aujourd'hui, les moyens commerciaux alloués par les constructeurs sont de plus en plus faibles, y compris pour les sociétés. La hausse des tarifs explique en partie les excellents résultats des constructeurs, y compris chez les marques généralistes. Comment peut-on afficher ces résultats avec un taux d’occupation des usines qui est en moyenne inférieur à 60 % ?  Il y a bien eu quelque part un effort réalisé par l'État et donc financé par les contribuables. En 2020, les réseaux en ont profité avec le système de chômage partiel. Le problème est que le dispositif n’a pas été renouvelé en 2021. Nous avions demandé chez Mobilians à ce qu’il soit reconduit, ce que le gouvernement n’a pas voulu. On vit un empilement des crises et on a une application aussi intempestive qu’inamicale du "en même temps" mais en revanche, on a bien compris que nous devrions nous passer du "quoi qu’il en coûte". On ne peut imaginer une troisième année de crise sans casse sociale dans les réseaux.

 

J.A. : Quelles pourraient être les solutions pour faire repartir la demande ?

M.B. : Il faut trouver une solution pour casser cette spirale entre la hausse des prix catalogue et la baisse du pouvoir d’achat. Le problème structurel que nous devons affronter est bien la transition dans les dix années à venir. Transition pendant laquelle le prix d'un véhicule électrique restera plus élevé qu'un véhicule thermique. Il va falloir trouver, des bonus, des primes à la conversion efficaces, mais ce ne sera pas suffisant car l'inflation des prix catalogue est trop importante. Il va falloir mettre en place du leasing social et pas seulement sur les modèles électriques. Cela demandera une collaboration entre l’État, les établissements financiers et les constructeurs. Il faudra, pour que le système puisse fonctionner, que les constructeurs consentent des tarifs négociés. Ce n’est pas au contribuable de payer la totalité de la facture et il ne faut pas le réserver uniquement aux ménages les plus modestes. Vu le dévissage du marché des particuliers, nous sommes en train de perdre une partie des classes moyennes. Si on ne corrige pas ce phénomène, nous aurons d’énormes problèmes d’ordre social et politique. On ne peut pas exclure de la mobilité une partie de la population française.

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