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Distribution

Marc Bruschet, CNPA : "La marge de la distribution est avant tout la rémunération d'un service"

Publié le 20 juillet 2021

Par Catherine Leroy
13 min de lecture
Le nouveau représentant des distributeurs au sein du CNPA inaugure son mandat avec de nombreux challenges. Jamais la distribution n’a dû relever autant de défis avec une controverse de taille : la volonté des constructeurs d'en réduire le coût. Entretien avec Marc Bruschet.
Marc Bruschet, président des concessionnaires VP au CNPA.

 

Journal de l’Automobile : Dans quel état se trouvent les réseaux de distribution après un an de crise sanitaire ?

Marc Bruschet : Les réseaux de distribution ont montré une extraordinaire capacité de résilience. Et ils l’ont fait avec un choc monstrueux, de la même ampleur que celui de la crise pétrolière de 1973. Force est de constater qu’il n’y a pas eu de dépôts de bilan. Mais il faut bien comprendre également que les conséquences de cette crise ne sont pas terminées. Nous devrions assister à une nécessaire épuration dans les réseaux, mais qui sera minime. Beaucoup de groupes du secteur ont demandé et obtenu un PGE (prêt garanti par l’État) mais pour une part non négligeable d’entre eux, ne l’ont pas décaissé et ne l’ont pas consommé sous forme de cash. Beaucoup de chefs d’entreprise ont gardé cet argent en cas de détérioration plus forte que prévu du marché ou au cas où la reprise serait moins franche qu’envisagé. Pour l’instant, nous tenons !

 

J.A. : Quelles conséquences aura cette crise sur ce tissu d’entreprises en matière d’emploi ?  

M.B. : Les groupes de distribution pèsent 13 000 sociétés dont 6 000 concessions et 7 000 agents, dans les grandes masses. Et nous employons environ 150 000 salariés. Le risque est important en matière d’emploi, mais je ne pense pas qu’il soit suffisant pour mettre au tapis un nombre significatif de structures de réseaux primaires. Je crains plus un choc exogène lié au reformatage des réseaux. Pour le réseau primaire, 51 % des concessions sont situées dans des zones inférieures à 100 000 habitants et 31 % dans des zones inférieures à 50 000 habitants. La composante distribution automobile est un élément assez central de l’emploi dans les territoires et de l’aménagement de ce dernier. D’autant que ce ne sont pas des emplois délocalisables.

 

J.A. : Le groupe Stellantis a résilié l’ensemble de ses réseaux de distribution avec un effet au 31 mai 2023. Que vous inspire cette décision ?

M.B. La réorganisation de la représentation des marques est une conséquence à la fois logique et anticipable de la fusion des marques du constructeur. Mais la résiliation de l’ensemble de ses réseaux (primaires et secondaires) en Europe, telle qu’annoncée par Stellantis le 19 mai, est inutilement brutale et particulièrement inopportune. L’argument juridique de se mettre en conformité avec l’échéance réglementaire de la Commission européenne ne devait pas générer cette soudaineté, puisque Bruxelles vient à peine d’achever sa phase de consultation. Et elle n’a pas encore commencé à rédiger ne serait‑ce que les grandes lignes du futur règlement. De plus, l’autre argument utilisé, dont l’intention est louable, est de préparer les réseaux à l’évolution induite par l’électrification des gammes et par la tendance du consommateur à se tourner vers l’achat en ligne. Mais si ces deux migrations sont inéluctables, elles ne se feront pas tout de suite et certainement pas avant deux ans.

 

J.A. : Comment analysez‑vous l’évolution de la transition énergétique et du comportement du client ?

M.B. Si l’on observe les immatriculations : avec un total du marché de 7 % de véhicules électriques et de 7,5 % d’hybrides rechargeables, la transition est loin d’être bien entamée. D’autant que ce sont des immatriculations et non des ventes à client final. Quant au comportement d’achat du consommateur, l’expérience du confinement, en novembre 2020, avec le click & collect a montré une "digital limit", comme le dit Xavier Horent, délégué général du CNPA. En novembre, les immatriculations ont baissé de 24 % et les commandes de plus de 50 %. S’il est nécessaire de préparer dans le calme la transition, il s’agit bien d’une évolution sur moyenne ou longue période et non d’une disruption à effet immédiat. Donc, nous avions le temps. Cette résiliation instaure un climat profondément anxiogène dans un contexte de crise économique qui l’est déjà suffisamment. Cette annonce va remettre en cause la fiabilité des structures qui ne seront pas retenues et par voie de conséquence, la pérennité de l’emploi sur les territoires, comme je l’ai déjà démontré. Une autre répercussion sera sans doute de remettre en cause la qualité du service. La réorganisation des réseaux passera par une concentration des investisseurs et des locaux car ce sont les seuls moyens d’écraser les coûts fixes, via l’apport de business additionnels induit par la représentation d’autres marques appartenant au groupe. En l’état, je ne vois pas comment la mise en œuvre de ce schéma n’impacterait pas la capillarité du réseau. Or, c’est un pilier essentiel du service de proximité auquel le consommateur est particulièrement attaché. Pour information, ce dernier accepte un temps de trajet de 53 min pour aller acheter un véhicule, mais 35 min seulement pour son entretien. L’ampleur du défi à relever aurait mérité une véritable co-construction (constructeur‑réseau), sans tabous, des grandes lignes du nouveau format de distribution avant la résiliation.

 

 

 

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J.A. : Comment se passent les relations avec les autres constructeurs ?

M.B. Avec les autres constructeurs, et de manière globale, les relations sont plutôt apaisées. Même si nous ne sommes pas toujours d’accord, nous ne connaissons pas véritablement de tensions. Beaucoup sont très pragmatiques et ne recherchent pas systématiquement le conflit avec leur réseau. Beaucoup ont une vraie perspective de long terme.

 

J.A. : Que pensez‑vous d’un statut d’agent qui semble avoir la préférence de certaines marques et même de la Commission européenne ?

M.B. Nous pourrions sortir du cadre contractuel actuel et explorer la voie qui est offerte par le contrat d’agent commercial. Cela ne me choque pas à condition qu’il s’agisse d’un vrai contrat d’agent commercial. Mais il implique que le constructeur supporte le risque lié au stock et que l’on règle deux questions : quid des reprises VO et des buy‑backs et quid du financement de ces véhicules ? Mais ce contrat suscite aussi d’autres interrogations. Dans le contrat d’agent commercial, l’agent ne peut pas revendiquer la propriété d’une clientèle puisqu’il agit comme simple mandataire d’un constructeur. Donc, le basculement d’un contrat de concession vers un contrat d’agent ne peut se concevoir sans que le distributeur au moment de ce basculement ne soit indemnisé au changement de statut ou au pire en fin de contrat. Le système peut présenter quelques avantages puisque dans ce cas, le concédant doit assurer une fixité des prix. Pour le concessionnaire, il ne porte plus les stocks et à la fin du contrat, l’agent a droit à une indemnité compensatrice du préjudice subi. Ce droit à indemnité est d’ordre public, c’est‑à‑dire qu’il prime sur toute disposition contractuelle qui en exclurait le principe ou en réduirait le montant. Je n’ai pas de tabous, mais à condition que ce changement soit bien fait et qu’il ne débouche pas sur un système hybride au seul bénéfice du constructeur. BMW avait testé d’ailleurs ce système d’agent commercial au moment de la sortie de l’i3. Au regard de la réticence du réseau, le constructeur avait créé ce statut, portait financièrement les stocks du véhicule électrique, y com‑ pris les modèles de démonstration et rémunérait les distributeurs à la commission en fonction de la complétude ou pas de l’acte de vente. Le système a donc été expérimenté.

 

J.A. : La Commission européenne va bientôt communiquer sur les grandes lignes du futur contrat de distribution. Mais est‑ce véritablement le contrat ou les conditions commerciales qui posent problème, comme l’a souligné la Cour des cartels en Autriche dans sa décision qui opposait un concessionnaire à Peugeot ?

M.B. Dans le cadre d’un réexamen du contrat européen, nous avons des problèmes au niveau du contrat lui‑même et nous souhaiterions voir évoluer les choses. Mais il est juste de dire que le jugement de la Cour suprême autrichienne ne porte que sur la politique commerciale, qui a été mise à part des contrats. La Cour a condamné des clés d’accès aux primes du type enquête de satisfaction client, la fixation irréaliste d’objectifs de vente et l’insuffisance du taux de remboursement des travaux effectués sous garantie eu égard aux charges supportées par les distributeurs. Et là, nous sommes clairement dans la politique commerciale. Mais sur les contrats, nous avons quand même quelques demandes comme notamment un encadrement des ventes directes qui sont la négation du système de distribution sélective. Deuxième sujet brûlant : les ventes en ligne. Sur ce point, nous souhaiterions qu’elles soient aussi encadrées et qu’elles permettent au distributeur de faire à ses clients les mêmes conditions que celles proposées par le constructeur. Enfin, nous souhaitons également la motivation des résiliations, tout comme la liberté de cession. L’argument des constructeurs pour maintenir l’absence de liberté de cession, c’est de dire que le contrat de concession est intuitu personae. Ce sont des demandes de bon sens. Cela ne veut pas dire que le constructeur perdrait sa liberté d’organiser son réseau. Il pourrait obtenir un droit de préemption et conserve‑ rait la maîtrise de la composition de son réseau. La Commission ne voit le contrat que sous l’angle de la concurrence. Toute discussion portant sur un statut du distributeur qui permettrait de rééquilibrer les deux plateaux de la balance est sans objet. Mais les choses peuvent être améliorées en droit interne. Des dis‑ positions existent dans certains pays qui sont plus protectrices que les nôtres, puisqu’en France, nous n’en avons pas !

 

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J.A : Mais visiblement, et au regard des derniers écrits de la Commission européenne, celle‑ci estime que le règlement actuel fonctionne. Quels sont les risques pour la distribution si Bruxelles ne fait pas évoluer son point de vue ?

M.B. Je ne sais pas ce qu’il ressortira de toute la période de consultation. Mais la Commission a soulevé certains points que l’on demandait à voir amender. Mais cela ne veut pas dire que nous aurons satisfaction mais au moins, il y a une interrogation. Certains constructeurs dénoncent les coûts de distribution trop importants.

 

J.A. : Quelle est votre réaction et quelle analyse faites‑vous de ces coûts ?

M.B. Cette hypothèse qui a été largement médiatisée souffre de deux vices rédhibitoires. Nous avons un niveau de coût à géométrie variable. Dans un premier temps, un taux de 30 % a été évoqué, avant de re‑ descendre assez rapidement et de manière assez raisonnable à 10 %. Mais la réalité est sans doute même très inférieure à 10 %. Il est difficile aujourd’hui d’avancer des chiffres précis, mais l’écart entre ces deux pourcentages s’explique principale‑ ment par le poids des remises commerciales, qui sont répercutées au client final. Ce poids doit s’expliquer au moins en partie par la différence entre le prix catalogue du véhicule et celui d’acceptation du client. Deuxième vice selon moi : cette présentation est faite uniquement sous l’angle du coût, alors qu’il s’agit de la rémunération d’un double service qui est rendu par le réseau. D’une part, au constructeur, puisque le réseau porte les stocks. Et d’ail‑ leurs, ce principe a été l’élément qui a conduit au début du XXe siècle General Motors à créer le modèle de la concession. Schéma validé par la crise de 1929 car Ford, dont son dirigeant avait une vision très intégrée du métier, a plus souffert de la crise que General Motors. Le système de la concession a joué le rôle d’amortisseur de crise. Mais nous rendons aussi des services au consommateur. Avec la création du dossier administratif, nous lui assurons également une sécurité juridique, le financement et la reprise de son ancien véhicule. Nous garantissons le lien entre la vente et l’après‑vente et nous assurons également la garantie du constructeur. Enfin, nous avons un rôle de conseil vis‑à‑vis du client final qui est d’autant plus important dans cette période de transition énergétique. Les distributeurs ont un vrai rôle de prescripteur, sans parler de la gestion des aides de l’État en réalisant l’avance des bonus versés au consommateur. Donc, nous présenter sous l’angle des coûts est juste une présentation médiatique mais complètement biaisée.

 

J.A : Comment se répartit la structure des coûts d’un groupe de distribution ?

M.B. Nos sorties de trésorerie, en premier lieu, restent les approvisionnements vis‑à‑vis du constructeur. Viennent ensuite les salaires et, enfin, le coût de la structure immobilière. L’assurance est également un poste important. Or, nous voyons bien que deux de ces coûts sont issus de nos relations avec les constructeurs. Nous disposons de très peu de marge de manœuvre. Et sur les autres postes (les frais de personnel par exemple), les économies ont déjà été réalisées.

 

J.A : Les constructeurs veulent limiter l’empreinte immobilière des concessions, après avoir demandé de construire des cathédrales : comment rentabiliser ces surfaces existantes ?

M.B. À moyen terme, c’est‑à‑dire dans 5 ans, nous allons baisser cette empreinte. Car de nouvelles technologies vont nous permettre de présenter des véhicules sans les avoir physiquement dans le hall. Nous allons donc vers cette réduction qui sera gérable à condition que l’on ne confonde pas vitesse et précipitation et que l’on nous laisse du temps. Ce qui ne sera pas le cas des réseaux de Stellantis. Que vont faire les groupes qui ne seront pas retenus dans le futur schéma de distribution ? Recommercialiser nos locaux actuels qui ont tout d’une cathédrale dans un délai de deux ans, et dans un contexte de crise économique, c’est intenable. Nous pouvons y réfléchir en nous donnant un calendrier avec un échéancier dans le temps.

 

J.A : Pourquoi le secteur de la distribution génère‑t‑il des marges aussi faibles ?

M.B. Du côté des distributeurs, deux phénomènes expliquent cette faible marge. D’un point de vue qualitatif, nous avons vécu un basculement des marges sur factures vers des marges variables qui ont été conditionnées à des clés d’accès. Nous avons assisté à une érosion de nos marges depuis 4 ou 5 ans. Et en réalité, nous sommes entrés progressivement dans un système structurel de crédit de TVA. Clairement, nous vendons les voitures à client final moins cher que nous les achetons. L’écart est ensuite compensé par des marges arrière qui sont versées hors taxes.

 

 

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J.A. Quelles conséquences anticipez‑vous avec l’arrivée massive des véhicules électriques dans votre business ?

M.B. Je considère que le pire n’est jamais sûr. Il n’est pas inenvisageable que la raison finisse par l’emporter. Actuellement, le droit français ou même européen ne s’occupe que des véhicules neufs. On traite les flux et non le stock. En France, il se vend 2 millions de véhicules sur le marché VP et 600 000 VU. Or, nous avons 6 millions de VO. Seuls ces 2 millions sont considérés alors que le parc roulant est de 38 millions de voitures. Si on agit de manière dogmatique et uniquement sur les flux, le souci des stocks ne sera pas résolu. Et nous avons quand même un problème d’acceptation sociale. Le besoin de mobilité n’est pas simplement fonctionnel, mais c’est aussi une partie de notre liberté. En 2020, la pandémie a renforcé, et on le voit sur le marché du VO ancien, la volonté des Français d’avoir un mode de transport individuel. Il faut aussi tenir compte de la façon dont le territoire est aménagé et parfois, les Français n’ont aucun autre choix que la voiture. La France ne se résume pas à Paris. La fracture sociale va s’accroître car le véhicule électrique, au moins jusqu’à ce que nous produisions plus de batteries, est plus cher.

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