Les Garages Chaigneau et Toyota, une histoire qui dure
Au fil des années, il est un fait avéré : le monde de la distribution automobile se médiatise. De plus en plus de groupes structurent leurs équipes pour apprendre à maîtriser l’art de la communication avec pour enjeu de construire une marque employeur crédible. Certains concessionnaires accomplissent ce travail de fourmi dans un style plus feutré. À une échelle plus locale. Au point de ne paraître exister que pour les populations de leur territoire.
La rencontre avec Les Garages Chaigneau relève alors presque du hasard. De celui qui se manifeste aux visiteurs d’une région. Pourtant, les vitrophanies décorant les concessions rappellent l’antériorité de l’entreprise. Fondée en 1972 par le couple André et Marie‑Bernard, elle vient de franchir le cap du demi‑siècle d’existence.
Et là aussi, le hasard a fait son œuvre. Un temps malheureux, il a fini par sourire à celui qui se destinait à une carrière dans l’agriculture. "Mon père a un rapport très fort à la terre, raconte Sylvain Chaigneau, aujourd’hui à la tête du groupe dont il a hérité. À sa retraite, il y est d’ailleurs retourné. L’automobile ne le faisait pas rêver, mais sa force de conviction lui a permis de bâtir ce projet."
En effet, André Chaigneau aurait suivi un autre parcours si son père n’avait pas perdu la vie tragiquement. À l’époque, il vient de souffler ses 17 bougies et l’argent pourrait venir à manquer dans le foyer. Pour aider sa mère, il enfile la blouse et s’engage dans une formation de mécanicien. L’apprentissage lui réussit et à la fin de son parcours initiatique, il décide d’ouvrir son propre établissement, une carrosserie à Cheffois, en Vendée.
Une histoire exclusive
À l’aube des années 1970, cette commune compte moins de 800 habitants. Guère besoin à l’époque d’un système de notation en ligne pour que la qualité des prestations délivrées par André et Marie‑Bernard Chaigneau devienne rapidement une référence de notoriété publique. Le couple attire donc l’attention de constructeurs opportunistes à l’affût de partenaires capables d’étoffer leur réseau.
Avant tout le monde, Toyota flaire la piste. "Mon père a été démarché par ce que l’on appelait à l’époque un prospecteur qui avait vu le grand garage", partage l’anecdote Sylvain Chaigneau. L’affaire se conclut et l’aventure de la famille Chaigneau débute avec une marque Toyota pleine d’ambition.
Cinq décennies plus tard, le groupe compte six affaires. Elles se répartissent toutes sur deux départements. En plus de Cheffois, le distributeur s’est installé à Fontenay-le-Comte et à Pouzauges, en Vendée, ainsi qu’à Bressuire, Parthenay et Niort, dans les Deux‑Sèvres. Pour la petite histoire, le site de Bressuire a été repris à Rémy Baudry qui avait été nommé en même temps qu’André Chaigneau, dans une logique de séparation intelligente des zones d’influence.
Et jamais le distributeur n’a envisagé d’autres partenaires que le constructeur japonais. "Le multimarquisme ne présente aucun intérêt à notre échelle, se dit convaincu le président. Toyota est une marque agréable et performante. Tout complément ajouterait de la complexité plus que du bénéfice." Même le panneau Lexus a été écarté. La famille Chaigneau n’y voit pas de rentabilité eu égard aux investissements à consentir. Le concessionnaire se limite donc à proposer des modèles d’occasion et des véhicules de démonstration immatriculés par le groupe RCM pour réaliser ses 1 000 transactions annuelles.
Au‑dessus de la mêlée sur ses zones de chalandise
Se considérant comme un "artisan passionné par le commerce plus que par l’automobile", Sylvain Chaigneau a noué des relations solides avec les confrères de son voisinage. Des groupes loin d’être les plus modestes du paysage français. Autour de la plaque du groupe vendéen, le duo Toyota‑Lexus s’appuie sur David Gaist, président de GCA, et Ronan Chabot donc, son alter ego de RCM. L’un réalisant pratiquement 23 000 livraisons annuelles de VN pour le constructeur japonais, l’autre approchant des 14 000 unités. Les 700 véhicules totalisés par Les Garages Chaigneau paraissent bien maigres en comparaison.
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Au jeu de la bataille des chiffres, le cadet de la fratrie Chaigneau, qui compte trois enfants, n’a pas à rougir pour autant. Toyota France connaît sa valeur et rares sont les membres du réseau à pouvoir revendiquer une performance égale à la sienne. "La marque salue régulièrement nos statistiques", apprécie Sylvain Chaigneau. Sa part de marché s’élève à 8,3 % sur sa zone de chalandise, soit aussi haute que celle de Citroën. À Cheffois, elle oscille même entre 20 et 25 %.
Il a ainsi hissé sa marque de cœur sur la première marche du podium dans la catégorie des importateurs. Volkswagen, Opel ou encore Ford ne tiennent pas son rythme. Pourtant, à Niort, par exemple, ces marques sont commercialisées par des figures telles qu’Emil Frey France et Péricaud, des membres du top 100.
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La relation client en maître mot
Toyota érige les items de la part de marché, de la satisfaction client (ISC) et de la rétention au rang des indicateurs les plus importants. Outre la pénétration, les sites des Garages Chaigneau maîtrisent la qualité de traitement des consommateurs et parviennent à les conserver dans le temps. Pour preuve, d’une part, Sylvain Chaigneau a été consacré lors de la cérémonie de remise des prix Ichiban 2012 pour son indice de satisfaction et, d’autre part, son niveau de rétention atteint un taux de 64 %, contre 50 % en moyenne dans le réseau tricolore. Maintenant que le critère du financement est pris en compte pour le calcul de l’ISC, nous ne pouvons plus prétendre figurer en haut du classement", admet le concessionnaire avec une pointe d’amertume.
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Les Garages Chaigneau ne misent pas sur le financement. La direction assume pleinement ce choix allant à l’encontre des velléités des constructeurs. L’ensemble des concessions de la plaque atteint une pénétration des formules locatives de 20 % sur les véhicules neufs, quand le réseau Toyota France fait deux fois mieux. En revanche, lors des transactions de voitures d’occasion, le groupe vendéen s’en sort davantage avec 35 % de souscriptions à une formule locative. Et Sylvain Chaigneau d’éclairer : "Je pense que ces solutions d’acquisition peuvent globalement nuire aux concessionnaires à terme, à cause des valeurs résiduelles trop élevées. Quand on place la satisfaction client au sommet des priorités, il faut savoir faire l’impasse sur certains services."
Cela vaut tout autant pour quelques‑uns des dispositifs marketing. Comme bien d’autres acteurs de la distribution automobile, l’homme de 44 ans se lasse des Journées Portes Ouvertes et autres Ventes Privées. "Les JPO ont usé des consommateurs déjà si sollicités au quotidien par toutes les entreprises commerciales. Nous jouons le jeu, mais nous ne prenons même plus la peine d’ouvrir le dimanche", reconnaît‑il.
Il s’en remet à d’autres mécanismes. Aux opérations spéciales, ils préfèrent fournir des efforts à l’après‑vente et au commerce. Ainsi, bien avant la vague de création de postes à travers l’Hexagone, le concessionnaire cheffoisien a été, au début des années 2000, l’un des premiers à embaucher un vendeur société dans son groupe. Toyota ne le réclamait pas à l’époque. Il en a tiré les pleins bénéfices.
À force de démarcher les entreprises sur son territoire, de s’inviter dans les événements d’associations ou encore de promouvoir la gamme densifiée d’utilitaires, le groupe Chaigneau a fait un bond en avant, au point de réaliser désormais 40 % de ses ventes auprès de professionnels en tout genre. "Ce qui crée une base solide de clients à l’après‑vente et favorise la conquête en VP", apprécie le président dont la stratégie fonctionne bien mieux en Vendée que dans les Deux‑Sèvres.
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Ne pas forcer la croissance
En 15 ans, le réseau Toyota est passé de 110 à 44 investisseurs. Les Garages Chaigneau sont toujours là, échappant au jeu des rachats et de la concentration. À n’en pas douter, cela signifie beaucoup pour celui qui a tout de même perdu quelque 300 unités (VN et VO compris) dans son bilan annuel après la crise sanitaire. "Je suis admiratif du succès de mes confrères, comme GCA et RCM, qui sont parvenus à construire des groupes de si grande envergure. En ce qui me concerne, affirme‑t‑il, je me plais dans cette configuration, car je reste au contact des collaborateurs et des clients." Et de s’interroger ensuite : "Faut‑il nécessairement chercher à gagner toujours plus ?" Dans cette fameuse configuration, il a trouvé un point d’équilibre et joue la carte de la compétitivité des prix. "Nous avons été forcés de nous aligner sur les taux horaires, mais nous parvenons encore à être 200 euros moins chers sur les factures d’entretien. Nous le devons aux clients qui, autrement, ne s’y retrouvent pas", soutient Sylvain Chaigneau.
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Grandir pour grandir changerait la donne, estime‑t‑il. À discuter avec ses confrères, il devine que les groupes les plus imposants jonglent avec des stocks conséquents de véhicules de démonstration. "Cela va mettre leur profitabilité à mal", regrette‑t‑il pour eux, alors qu’il garde en tête que Toyota sort de nouveaux programmes qui requièrent des investissements pouvant peser lourd, à l’instar de T25, le chantier visant à moderniser les bâtiments.
Considérer tous les scenarii… en restant vigilant
En plus, ce programme intervient en parallèle de la renégociation des contrats de distribution. "Le nouveau groupement des concessionnaires discute actuellement avec le constructeur. Une proposition nous sera faite à l’automne 2024", croit‑il savoir. Sylvain Chaigneau se montre très méfiant : il se positionne aux côtés de ses collègues pour bloquer toute tentative de mainmise sur la chaîne de valeur.
Le Vendéen se dit lucide, cependant, sur les scenarii. "Après une phase d’euphorie, les concessionnaires ont deux à trois années compliquées à venir", prophétise‑t‑il. Et d’espérer : "Les groupes de taille modeste, avec moins de complexité sur le plan des ressources humaines, auront peut‑être moins d’exposition aux risques."
Quoi qu’il en soit, le président doit organiser la suite. Il se laisse dix ans. Une période au cours de laquelle ce passionné de cyclisme et de course à pied préparera la succession. Il ne verra pas de troisième génération reprendre le flambeau. Comment procédera‑t‑il pour son groupe ? Toutes les pistes seront à envisager. Il se pourrait bien que le hasard fasse encore son œuvre.
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