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Distribution

Les centres de reconditionnement entrent dans l’ère de la maturité

Publié le 28 juin 2023

Par Jean-Baptiste Kapela
14 min de lecture
Depuis le début de la ruée vers les centres de reconditionnement en 2018, les acteurs qui ont décidé de s’embarquer dans l’aventure commencent à tirer les premiers bilans. Entre les difficultés à recruter et un marché VO complexe, ces derniers ne sont pourtant pas inquiets dans leur quête d'équilibre financier.
centre de reconditionnement VO
Chaque trimestre, un centre de reconditionnement ouvre dans l'Hexagone.

L’activité est en plein boom. Tous les trimestres, un nouveau centre de reconditionnement ouvre ses portes, selon l’Observatoire des métiers des services de l’automo­bile (Anfa). Longtemps préempté par les particuliers, le marché du VO se re­centre sur les professionnels, boostés par la pénurie de matériel. Ainsi, en 2022, selon AAA DATA, les professionnels dé­tenaient 57 % de part de marché, contre 43 % pour les particuliers, sur le marché du VO âgé jusqu’à 10 ans.

 

Si le premier centre de reconditionne­ment a ouvert ses portes en 2003 près d’Angers (49), ce dernier appartenant au groupe Gemy, l’appétence actuelle pour le véhicule d’occasion a permis aux centres de rénovation de se présen­ter comme un véritable axe de réflexion pour les différents acteurs du marché automobile. Actuellement, dans l’Hexa­gone, il existe une cinquantaine de sites. L’Anfa a publié en avril 2023 la première étude sur les centres de reconditionne­ment. Dans son enquête, l’association distingue cinq types d’acteurs.

 

Les premiers sont les groupes de dis­tribution, à l’image des groupes Emil Frey, Chopard, Dubreuil ou encore Parot. Viennent ensuite les négociants VO comme Aramis ou Ora7. Bien évi­demment, les constructeurs y ont aussi vu un intérêt comme Renault et son centre de reconditionnement de Flins (78). Les enchéristes se sont aussi po­sitionnés sur le sujet comme BCAuto Enchères. Pour finir, l’Anfa distingue une dernière catégorie : les prestataires de groupes de distribution, à l’instar du spécialiste du smart repair Dentmaster, de la start-up nantaise Stimcar (détenue par Stellantis) ou encore de Sineo, en­treprise spécialisée dans le lavage auto­mobile et qui s’est lancée dans l’activité des centres de reconditionnement.

 

Une question de volume

 

« Aujourd’hui, nous commençons à en­trer dans une ère où il y a une certaine maturité sur le reconditionnement. Les grands constructeurs ont pris une très large avance. Je pense notamment à Stellantis et Renault, qui sont parvenus à monter des usines impressionnantes. C’est aussi le cas des groupes de distribution comme Emil Frey et son CRVO », ob­serve Gilles Aubry, dirigeant et cofon­dateur de Nova MS. Avec son cabinet de conseil sur l’écosystème VO, il travaille fréquemment avec des acteurs ayant mis ou voulant ajouter un centre de recondi­tionnement dans leur portefeuille d’acti­vités.

 

Il poursuit : « Cela ne veut pas dire que c’est forcément rentable et intéressant. Ce que j’ai pu observer dans nos études, c’est que le site de reconditionnement n’est pas adapté à tout le monde. La partie volumétrique est importante. Il est incon­cevable que les centres de reconditionne­ment aient à traiter moins de 5 000 vé­hicules par an. Or, ceux qui existent sont plutôt autour de 800 et 10 000 unités par an, ce qui est une fourchette assez large. »

 

En effet, dans son étude, avant d’ouvrir un centre de reconditionnement VO, l’Anfa constate que la volumétrie est capitale dans cette activité. Selon les ac­teurs interrogés dans le cadre de l’Obser­vatoire des métiers des services de l’auto­mobile, il doit y avoir un minimum de 2 000 à 3 000 véhicules d’occasion traités par an pour amortir l’investissement initial.

 

Pour entrer dans cette logique de volume, il n’y a pas le choix, il faut quitter l’aspect artisanal du métier de carrossier pour penser la question du reconditionnement par le biais du taylorisme. Selon l’Anfa, l’industrialisation permet de « réduire les frais de remise en état par des économies d’échelle, de répondre à des volumes de VO croissants liés aux retours de LOA, de raccourcir les délais de préparation, de mieux valoriser le stock de VO et d’homogénéiser les pratiques pour répondre aux impératifs d’un label de qualité ».

 

« Aujourd’hui, les sites de rénovation VO qui ne fonctionnent pas très bien sont ceux qui n’ont pas adopté le mode usine. Il y a certains groupes de distribution qui ont fait le choix de mettre en commun des moyens techniques, des ateliers, la carros­serie, la préparation, la photo au sein de ce qu’ils appellent une usine, présente Gilles Aubry. Mais en fait, quand on regarde l’organisation de leur site, on voit que les voitures sont organisées comme pour un super gros atelier. Mais ils ne tirent pas les bénéfices d’une usine, qui correspond au découpage par étapes de la fonction reconditionnement et de la spécialisation des collaborateurs. Ainsi, je me considère comme pro-usine VO… Mais attention à ce que cela soit une vraie usine et non un superatelier. »

 

Savoir réajuster le tir

 

Le groupe Emil Frey France, situé à la première place de notre top 100 des groupes de distribution, a ouvert son premier centre de reconditionnement en 2020, à Ingrandes (86). Nommé Centre de rénovation des véhicules d’occasion (CRVO), il compte parmi les plus im­portants en Europe, avec une capacité de traitement de 20 000 unités à particuliers par an. Un premier complexe qui a suffisamment fait ses preuves pour que le distributeur décide d’en ouvrir un deuxième à Lens (62) en mars 2022, capable, lorsqu’il aura atteint son plein potentiel, de recondi­tionner 25 000 véhicules d'occasion à particuliers par an.

 

A lire aussi : Le CRVO de Lens monte en puissance

 

« Le concept du CRVO est relativement bien né dans la conception de ses process, qu’ils soient physiques ou informatiques. Nous avons eu un premier jet qui nous a permis d’atteindre rapidement les objectifs que nous nous étions fixés. Comme dans tout projet, il y a eu quelques erreurs au début que nous avons vite rectifiées avec le CRVO de Lens, assure Vincent Gorce, directeur général d’Emil Frey France. La conception d’un process industriel, ce n’est pas forcément dans nos gènes. Il y avait inévitablement quelques détails à adapter. Entre acteurs du reconditionnement, nous nous benchmarkons. Par exemple, nous sommes allés visiter l’usine de Renault de Flins récemment pour partager nos expériences. Ainsi, il y a des choses qu’ils font mieux que nous et d’autres où nous sommes meilleurs. »

 

Un besoin d’appréhender l’industriali­sation qui se traduit par le recrutement d’un directeur pour les CRVO issu du manufacturing. « Son recrutement nous permettra d’imprimer une dimension plus industrielle que commerciale. Nous sommes dans une démarche d’améliora­tion continue et nous avons encore des choses à faire », souligne le directeur général d’Emil Frey France.

 

Depuis trois ans, début de l’activité de recondi­tionnement pour le groupe, les CRVO d’Ingrandes et de Lens ont recondition­né 51 610 VO à particulier et 29 163 uni­tés à marchand. « Nous ne sommes pas en 3 x 8, mais plutôt en 2 x 8 avec des équipes de nuit pour les deux CRVO. Le plein potentiel n’est pas encore atteint, mais aujourd’hui, nous n’avons pas be­soin de passer en 3 x 8 pour arriver à l’équilibre des résultats », affirme Vincent Gorce. L’ambition d’afficher 30 000 VO reconditionnés par an, annoncée par Hervé Miralles, président d’Emil Frey France, est toujours d’actualité, garan­tit le directeur général du groupe dans l’Hexagone.

 

Un vieillissement du parc

 

Depuis 2022, le marché du véhicule d’occasion traverse une zone de tur­bulences. D’après les chiffres d’AAA DATA, en avril 2023, il est en repli de 3 % par rapport à la même période en 2022. Or, cette année-là est marquée par une baisse de VO sur le marché. Le secteur de l’occasion est toujours im­pacté par les délais de livraison rallon­gés des modèles neufs. Une situation qui tarit l’offre de véhicules d’occasion récents. Les professionnels sont donc amenés à proposer des modèles plus anciens. De fait, en se basant sur les chiffres d’AAA DATA, 48,1 % du parc de VO roulants serait composé de véhi­cules de plus de six ans.

 

Un contexte du marché de l’occasion qui impacte les centres de recondi­tionnement. « Aujourd’hui, les CRVO tournent à plein régime, mais nous de­vons être vigilants. Dans un contexte de baisse dans les marchés, de surstock dans les réseaux, les tendances à l’achat sont réduites. Comme nous sommes sur des équipes précaires, il faut que nous nous adaptions au flux d’entrée. Pour le mo­ment, tout va bien, mais il faut espérer que le marché se tienne, voire, se redresse un peu dans les mois à venir », soulève Vincent Gorce.

 

Si ce point attire son at­tention, il n’est pas inquiet pour autant. « Pour vous donner mon ressenti, mon attention est surtout portée au maillage territorial des futurs CRVO », sourit le directeur général d’Emil Frey France. En effet, comme annoncé lors de l’éla­boration du projet, le groupe prévoit la création de trois autres sites de recondi­tionnement.

 

En Bretagne, à Bruz (35), près de Rennes, le groupe Bodemer a implanté en 2020 son propre centre de recondi­tionnement. Après une année 2021 de rodage des process, le centre a recondi­tionné près de 5 800 véhicules en 2022. Pour cette année, le distributeur breton ambitionne d’arriver à un volume de 7 500 voitures reconditionnées. « Nous devrons atteindre l’objectif, mais nous serons un peu short », précise Manon Daher, directrice adjointe du groupe Bodemer. La question du vieillissement du parc n’a pas de réel effet sur le com­plexe de rénovation VO.

 

« Il y a un peu plus de délai de remise en état, mais cela n’a pas une incidence énorme. Au lieu de passer 3 h sur un véhicule, nous allons en passer 5. Outre cette question du vieillissement du parc, il y a aussi l’inflation sur les transports, sur les pneus, où il y a une petite augmentation de nos frais de re­mise en état, présente Manon Daher. Mais comme nous sommes sur une clientèle exclusivement interne, si nous avons besoin de répercuter l’inflation vis-à-vis des concessions, nous coupons la poire en deux. Notre objectif n’est pas d’être un centre de profit, c’est vraiment de servir l’ensemble du groupe. »

 

La problématique du recrutement

 

Si le contexte actuel n’est pas une source d’inquiétude, en revanche, nous ne pouvons pas en dire autant de l’aspect emploi. « 2022 fut pour nous l’année du recrutement, de la montée en cadence. Il s’agit pour nous du plus gros souci. Quand nous partons de zéro, que nous lançons une ligne, nous sommes confrontés aux mêmes difficultés de recrutement que nous avons habituellement dans nos professions. Sauf que là, nous sommes sur des volumes de recrutement bien plus importants », affirme Manon Daher.

 

Dans un souci de délai, les centres de reconditionnement ne laissent pas la place à de la carrosserie lourde et la directrice adjointe du groupe a pu constater le départ de certains jeunes, déçus de pratiquer du smart repair. Le complexe du groupe Bodemer devrait compter à terme 110 personnes. Les préparateurs esthétiques composent la majeure partie du personnel des usines VO. L’Anfa, dans son étude, recense les chiffres de Pôle Emploi – Scan Job Auto : 1,5 % des annonces Pôle Emploi des métiers des services de l’automobile en 2022 concernaient des postes de préparateur et rénovateur VO.

 

Il s’agit du 10e métier de la branche des services de l’automobile ayant fait l’objet du plus grand nombre d’offres d’emploi en 2022. « Il y a encore ce problème de ˝noblesse˝ dans le secteur de la carrosserie. Un carrossier, c’est un homme qui caresse les ailes de la voiture, il y a quelque chose de sensuel pour eux. Alors, refaire une petite bosse avec un coup de ˝pouet pouet˝, ce n’est pas très engageant pour eux. Dans les centres de reconditionnement VO, ce n’est plus de la carrosserie, mais du smart repair, ce qui est complètement différent », soulève Gilles Aubry. À noter que, par rapport à un carrossier classique, l’employé d’une usine VO a un salaire plus bas.

 

Un levier d'insertion sociale

 

Quid de la main-d'œuvre non qua­lifiée ? Les usines VO peuvent de­venir de véritables outils pour aider à l’insertion sociale. Le groupe Bo­demer propose un programme de formation. Pour ce dernier, le distri­buteur doit disposer, dans ses rangs, de « mentors », soit des collabora­teurs expérimentés capables d’enca­drer les équipes. « Nous ne pouvons pas avoir que des apprentis dans nos équipes, puisqu’il faut a minima un an et demi pour qu’un débutant at­teigne une productivité correcte », observe Manon Daher.

 

« Pour attirer plus de monde dans les centres de reconditionnement, il faut offrir à une population ce qu’elle n’a pas. Ainsi, l’usine doit proposer un revenu, une formation pour ceux qui n’ont pas de CAP mécanique ou de bac pro carrossier, assure Gilles Au­bry. Il y a encore beaucoup de monde qui n’a pas de diplôme et sans argent. Peut-être que, pour eux, redevenir un ouvrier au sens du 19e siècle, mais avec l’humain d’aujourd’hui, cela peut être intéressant. La moti­vation, ce n’est que du management. Cela peut passer par un simple baby‑foot, la semaine de quatre jours ou des horaires à aménager. »

 

Les constructeurs prennent le sujet très au sérieux

 

Si les groupes de distribution sont en première ligne du phénomène, les constructeurs ne sont pas en reste. Preuve en est, la Refactory de Re­nault située à Flins a beaucoup fait parler. Cette dernière a pour objectif le reconditionnement des véhicules d’occasion de toutes les marques issues de ses filiales Renault Retail Group franciliennes et des distri­buteurs de la région. Les volumes devraient atteindre à terme 80 000 à 90 000 unités reconditionnées par an, d’après les propos du directeur du commerce France de Renault, Ivan Segal. Un immense complexe de 11 000 m², qui commercialise les VO en « 8 jours au lieu de 21 jours sur le marché ».

 

Le groupe Stellantis, de son côté, ex­ploite une usine à Hordain (59) et une autre en Italie, à Mirafiori, l’usine turinoise de Fiat. D’autre part, Stellan­tis & You est entré au capital de Stim­car, une start-up nantaise spécialisée dans le reconditionnement. La société fondée en 2018 par deux frères, Yann et Jean-François Brazeau, a actuelle­ment le vent en poupe : depuis le dé­but d’année 2023, elle a ouvert deux nouveaux centres de reconditionne­ment VO, à Montpellier en janvier et à Lyon en avril.

 

Au total, Stimcar a inauguré neuf sites : Nantes (44), Bordeaux (33), Toulouse (31), Rouen (76), Tours (37), Lille (59), Rennes (35), Lyon (69) et Montpellier (34). « Stellantis est entré dans notre capital en nous laissant une totale autonomie. Nous n’avons pas l’obligation de traiter leur volume et eux n’ont pas l’obligation de confier leur volume, il faut les voir comme des investisseurs. Ils nous ap­portent un peu de volume et nous tra­vaillons avec eux sur certaines plaques. Ils nous permettent d’accélérer sur cer­tains points, mais il n’y a aucune exclu­sivité avec Stellantis », tient à préciser Yann Brazeau.

 

Si la start-up a des am­bitions de conquête, pour le moment, ce n’est pas une priorité. « Nous de­vons être les seuls professionnels spé­cialisés exclusivement dans le recondi­tionnement en France. Aujourd’hui, nous avons une telle demande que nous ne voulons absolument pas nous disperser et faire les choses dans l’ordre, assure Yann Brazeau.

 

Pour répondre à cette demande, Stimcar a préféré déca­ler l’exportation de sa solution en Es­pagne et compte faire évoluer ses sites français en 3 x 8. Un trop‑plein de demandes pourrait avoir des effets négatifs pour la start-up sur le long terme. « Si nous n’arrivons pas à sa­tisfaire ces clients professionnels par­ticulièrement exigeants, ces derniers pourraient se tourner vers d’autres solutions. À Toulouse, par exemple, nous ne sommes pas en capacité de prendre tous les volumes. »

 

C’est jus­tement dans la Ville Rose que l’un de ses concurrents est en difficulté. « Réussir à conditionner des véhicules en volume avec des délais très courts, c’est un nouveau métier. Alors, quand un acteur ne parvient pas à répondre à cette demande avec des moyens tra­ditionnels, cela génère de l’insatisfac­tion et ça ne marche pas », souligne Yann Brazeau.

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