Hervé Miralles, Emil Frey France : "Nous restons focalisés sur les besoins des clients"
Journal de l'automobile. Que pensez-vous des aides annoncées par le gouvernement pendant le Mondial de l'Automobile ?
Hervé Miralles : Il est toujours préférable d'avoir plus de soutien et le fait d'avoir un bonus qui va passer de 6 000 euros à 7 000 euros est une bonne nouvelle. Mais en réalité, au lieu de parler de quantité d'argent, je préfère que l'on parle de permanence dans les mesures fiscales de soutien au développement de l'électrique et de la filière au sens large. Je suis plutôt favorable à un maintien des 6 000 euros sur le reste du quinquennat que 7 000 euros pendant un an.
J.A. D'autant que ces 7 000 euros ne sont pas accessibles à tous les Français...
H.M. Effectivement, cette aide sera réservée au 5 derniers déciles des revenus des Français, ce qui est une bonne chose. Mais aujourd'hui, et nous l'avons bien vu sur notre stand au Mondial de l'Automobile, ne serait-ce que sur les véhicules d'occasion électriques, les niveaux de prix restent extrêmement élevés. Donc, cette aide va favoriser une partie de la population mais ce n'est pas ce qui va permettre la conversion du parc. Or, nous avons besoin de permanence sur les mesures car nous vivons un changement structurel avec des ventes de voitures 100 % électriques en 2035.
J.A. Que réclamez-vous ?
H.M. Il faut de la profondeur dans ces mesures de bonus, mais aussi sur d'autres sujets comme par exemple, l'avantage en nature sur les véhicules électriques mis à la route par les entreprises. Si cet avantage en nature disparaît, cela remet en cause cette politique. Donc au-delà du montant, l'important est que nous puissions nous projeter à horizon de 3 à 5 ans en donnant de la visibilité aux entreprises et aux particuliers. Il est important d'orienter le discours sur la décarbonation plutôt que sur l'électrification. Dans cette optique, avoir des mesures plus poussées sur le véhicule d'occasion qui est plus décarboné que celui détenu aujourd'hui, me semble intéressant. L'ensemble des sujets doit être traité simultanément.
J.A. Au niveau des ventes, voyez-vous une réelle appétence de la part des clients pour le véhicule électrique ou est-ce parce que la production des constructeurs porte essentiellement sur cette motorisation ?
H.M. Appétence, je ne sais pas. Même si la part de marché atteint 12,7 % des ventes depuis le début de l'année, difficile de dire la part qui vient de la demande ou de l'offre. On voit aujourd'hui que ce sont les modèles électriques qui sont les plus poussés. Mais la demande va progresser car, lorsque l'on a conduit une voiture électrique et si l'autonomie de la batterie correspond à l'usage réel de son véhicule, le plaisir de conduite est réel. Donc l'appétence des clients ne posera pas de problème. En revanche, elle peut être détruite si les problèmes de recharge persistent ou si le coût de l'électricité explose. Certes, le bouclier fiscal existe, mais toutes ces aides n'ont qu'un temps et l'on ne peut pas vivre sur le long terme avec une industrie subventionnée. Sans compter que personne ne parle du devenir de la TIPP. Ces éléments d'incertitude sèment le trouble et on y gagnerait à les lever pour passer de ce marché d'offre à une réelle appétence des clients.
J.A. L'alignement des prix entre ces deux motorisations semble s'éloigner. Est-ce un frein pour le développement de l'électrique ?
H.M. Les véhicules électriques sont globalement en moyenne entre 20 et 25 % plus chers en prix nets-nets. Nous proposions sur le stand Autosphere au Mondial deux modèles d'occasion identiques, l'un en version électrique et l'autre en thermique. Ces deux véhicules montraient un écart de prix de 10 000 euros et en loyer, le véhicule thermique s'affichait à 99 euros par mois contre 246 euros pour la version électrique. Évidemment, l'écart de prix existe même si l'on raisonne en TCO. C'est sur ce point que l'incertitude existe et pas uniquement sur le prix d'achat.
J.A. Et le TCO est justement remis en cause par le prix de l'électricité …
H.M. Oui mais pas seulement. La problématique des valeurs résiduelles est également soulevée. L'évolution technologique, très rapide, des batteries remet sur le devant de la scène ce sujet des valeurs résiduelles. Sur le Mondial, des modèles chinois d'hybrides rechargeables affichaient des autonomies de 150 km et dans ce cas, l'équation n'est pas la même. Ce paradigme est en train de se mettre en place et nous devons aller très vite. Mais, il faudra travailler la clause de revoyure en 2026, prévue par la Commission européenne. Elle est très importante.
J.A. Est-ce que la proposition de leasing social, avancée par Emmanuel Macron, peut jouer sur cette accessibilité ?
H.M. Nous allons faire un petit calcul ensemble. Si l'on prend une voiture à 30 000 euros, et une mensualité de 100 euros, il faudra de manière schématique 300 mois pour que le client finisse de payer son véhicule. Expliquez moi comment faire ? Plus globalement, cela veut dire que pour 30 000 euros, bonus déduit, vous pouvez acquérir une petite voiture électrique à condition que l'on ajoute entre 6 000 et 10 000 euros pour proposer un leasing à 100 euros pas mois. Dans un moment où les coûts de refinancement explosent, je demande à voir la construction de cette offre. C'est une promesse de campagne, mais dans cette promesse, ce qui compte, ce n'est pas l'outil mais la finalité qui est de rendre accessible le véhicule électrique. Peut être que si la France dispose de cette enveloppe budgétaire, il serait utile de comparer les différentes solutions pour pouvoir financer la transition. Financer la décarbonation ? Ou adopter des mesures qui vont favoriser l'arrivée massive de véhicules électriques qui seront éligibles ? Et ce, sans rentrer dans le débat politique de réserver ces aides à une production européenne ou non.
Nous ne pouvons pas vivre dans un monde économique où les relations sont déséquilibrées
J.A. Êtes-vous favorable à cette idée de protectionnisme européen mise en avant par Bruno Le Maire ?
H.M. Je ne souhaite pas entrer dans ce débat mais il faut quand même bien comprendre que la France n'est pas seule, et qu'elle doit donc se mettre d'accord avec l'Allemagne. Ensuite, ce n'est pas un hasard si les constructeurs chinois arrivent avec des véhicules offrant plus d'autonomie, qui sont moins chers, et donc plus compétitifs. Nous avons déjà vu dans l'histoire économique des mesures de protection. Souvenez-vous des quotas dans les années 80, de l'encadrement du crédit… toutes ces mesures n'ont pas duré.
J.A. Dans ce contexte, comment la distribution peut et doit évoluer ?
H.M. Notre métier est de nous occuper du client. Dans tous les débats actuels, un équilibre global doit être trouvé avec chaque constructeur, au niveau des réseaux et pas au niveau des groupes. Mais nous trouverons cet équilibre. Nous ne pouvons pas vivre dans un monde économique où les relations sont déséquilibrées, c'est ma conviction. Une certitude cependant concernant notre métier : nous devons nous recentrer toujours plus sur les besoins de nos clients. Je ne sais pas s'il est juste de partir du présupposé que ces derniers veulent acheter sur internet. En réalité, mon travail est d'adresser tous les clients : ceux qui vont sur internet, dans les concessions ou les deux à la fois. Si nous sommes focalisés sur le client et que nous avons cerné ses besoins, à nous de bâtir des offres autour. A un moment donné, nous devrons adresser des problématiques de mobilités, de diversification, mais qui ne seront que la conséquence de l'évolution des besoins des clients. Si l'on part du principe que demain, 40 % des véhicules seront achetés sur internet, c'est un postulat qui signifie que nous allons nous occuper des 60 % restants, ce qui n'est pas rien. Nous devrons adresser tous les besoins des clients.
J.A. Comment la distribution peut-elle se rendre indispensable pour ces clients ?
H.M. Par des réponses aux questions de micro-mobilité urbaine, de mobilité tout court. Pour l'après-vente, il s'agit de répondre aux besoins d'un parc qui va vieillir, mais aussi par une offre multimarque de pièces de rechange… tous ces sujets doivent adressés. Mais nous ne pouvons pas tout faire et avoir tous la même conception de ce qu'est la mobilité. Nous avons un avantage, c'est que beaucoup d'initiatives ont déjà court dans notre écosystème. Nous sommes un certain nombre d'acteurs autour des mêmes clients. Tout ce qui se passe, crée des opportunités stratégiques qui n'existaient pas auparavant. La désintermédiation des uns profite à certains, mais défavorise aussi. Donc des communautés d'intérêts se créent qui n'existaient pas avant. Il faut savoir les saisir, être en codéveloppement, en coproduction d'offres car le client est tellement divers que l'on ne peut pas être un spécialiste de tout. Si l'on veut répondre à tous ces besoins, il faudra un panel de services qui sera plus large.
J.A. : Certains groupes investissent dans d'autres formes de mobilité. Allez-vous également diversifier vos activités dans ce sens ?
H.M. Oui bien sûr, nous regardons et d'ailleurs nous venons d'ailleurs d'acquérir trois sites BMW Motorrad à Bordeaux (33), Anglet (64) et Pau (64). Mais avant de répondre à un besoin avec des objets que nous n'avons pas, la mobilité que nous voulons à offrir à nos clients doit aussi nous permettre de mettre en mobilité nos actifs. C'est à ce niveau que se situe l'équation économique. De la même manière, nous savons que le véhicule électrique, même moins gourmand en après-vente, consomme plus de pneumatiques et de carrosserie. Nous avons un plan pour proposer des offres de carrosseries rapides dans toute la France. Le chiffre d'affaires ne sera pas forcément au même endroit et nous devons nous remettre en question. Mais tout ne vole pas en éclat. A nous de nous réinventer car nous allons adresser une clientèle différente.
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