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Distribution

Hervé Miralles, Emil Frey France : "Le modèle économique des groupes de distribution doit évoluer"

Publié le 12 juillet 2021

Par Catherine Leroy
12 min de lecture
La stratégie initiée par le groupe lui a permis d’amortir le choc subi par le secteur. Mais les règlementations dans l’industrie et la distribution obligent les distributeurs à revoir leur modèle. Explications avec Hervé Miralles, CEO d’Emil Frey France.
Hervé Miralles, président d'Emil Frey France

 

Journal de l'Automobile. Depuis un peu plus d’un an maintenant vous avez lancé votre centre de rénovation de véhicules d’occasion à Ingrandes (49). Quel bilan dressez-vous de cette activité ?

Hervé Miralles.  Nous sommes très exactement sur le rythme annoncé l’année dernière, c’est-à-dire un volume de 30 000 voitures traitées. Le centre est monté en puissance comme prévu et nous avons réalisé nos opérations de recrutement afin de mettre en place la 3e équipe de 40 personnes environ dès cet automne. Au démarrage de l'activité, nous traitions aussi bien des véhicules à destination des particuliers que pour les marchands. Mais nous allons surtout reconditionner les véhicules pour le canal des particuliers car la demande est très forte. Les objectifs sont atteints que ce soit dans la baisse des frais de remise en état, qui atteint plus de 15 % mais aussi au niveau de la rotation puisque nous obtenons un délai de moins de deux semaines.

 

A Lire également : Avec le CRVO nous allons atteindre une rotation inférieure à 10 jours 

 

JA. Vous aviez envisagé de prendre en charge les véhicules d’occasion d’autres groupes de distribution. Où en êtes-vous de ces partenariats ?

HM. Aujourd’hui, plus de 20 % de nos volumes sont réalisés avec des partenaires extérieurs, des professionnels du véhicule d’occasion au sens large. Nous n’avons pas d’objectifs précis sur ce point. Mais lorsque nous avons terminé de servir les besoins en VOP d’Emil Frey, nous traitons les demandes extérieures comme notamment celles des clients de BCA, notre partenaire.  Notre objectif reste de saturer l’outil de rénovation.

 

JA. Quelle place prend désormais le véhicule d’occasion dans le chiffre d’affaires annuel du groupe ?

HM. La part du véhicule d’occasion, en pourcentage, dans notre chiffre d’affaires augmente continuellement. Pour l’année dernière, il atteint 38 % (NDLR contre 21 % en 2019). Mais en même temps, les ventes de véhicules neufs ne sont pas à leur niveau habituel avec notamment un marché de véhicules à particulier en chute de 25,2 % par rapport à 2019. Nous assistons à une inversion du modèle, à la fois dans les chiffres d’affaires et les contributions entre le véhicule neuf et d’occasion. Désormais, nous commercialisons plus d’un VO pour un VN. Les marges sur le véhicule d’occasion sont excellentes. Il est donc logique que la contribution globale du VO augmente du fait de la baisse du marché VN, de la résilience du marché VO et du fait de la forte amélioration des marges sur cette activité. La répartition entre le VN et le VO bouge un peu dans nos résultats et c’est tout à fait normal.

 

JA. Vous venez de lancer le service Autosphere Pro. Quels sont les objectifs de cette platefome ?

HM. Autosphere Pro est la suite logique de ce que nous avons initié depuis un certain nombre d’années. Il y a 7 ans, je vous rappelle que nous avons pris la décision de centraliser toutes nos ventes à marchand en nouant notre partenariat avec BCA, de développer nos outils de pricing, puis de construire notre dernière brique : le CRVO. Parallèlement, nous avions lancé, à l’époque chez PGA Motors, une centrale d’achat, pour améliorer notre sourcing extérieur en matériel d’occasion. Mais cette centrale d’achat n’avait pas une logique industrielle mais venait répondre à des besoins ponctuels ou de complément pour les concessions en recherche de diversification ou de modèles spécifiques. Cette approche, assez unitaire, était intéressante pour répondre à un besoin des clients qu’ils soient internes ou externes, mais ne donnait pas tous les avantages qu’une centrale d’achat peut avoir. Nous avons voulu être plus efficaces sur ces achats. Acheter en masse permet d’avoir plus de matériels, de meilleurs prix, de meilleures conditions pour servir ces clients. Or, si l’on veut vraiment massifier et être vraiment efficace, il faut avoir des capacités à acheter beaucoup et avoir des canaux de sortie différents de l’interne. Autosphere Pro est simplement l’aboutissement de la massification de nos achats pour pouvoir avoir un sourcing de qualité tout en ouvrant de nouveaux canaux d’écoulement vers des agents, MRA, professionnels de l’auto... qui ont tous besoin de nouveaux approvisionnements aujourd’hui. C’est donc un lancement, prévu de longue date, même s’il est vrai que nous bénéficions de cette opportunité. Cette plateforme est également déployée avec BCA.

 

JA. Vous avez évoqué la chute de 25 % de ventes aux clients particuliers sur le premier semestre 2021. Quelle analyse faites-vous de cette baisse et envisagez-vous une reprise cette année ?

HM. Le marché est en berne pour plusieurs raisons. Fondamentalement, nous voyons des clients particuliers perdus. Les choix de technologies et de véhicules que doivent faire les clients sont de plus en plus complexes. Entre les électriques qui n’ont pas encore l’autonomie, la taille nécessaire, les hybrides qui ne sont presque jamais rechargés, qui consomment beaucoup et sur lesquels nous notons beaucoup d’insatisfaction client, le diesel bashing et enfin la problématique des véhicules essence qui consomment plus… les clients sont perdus, hésitent énormément, et repoussent leur acte d’achat. Cela renforce certes notre exigence de conseils. De plus, nous avons vécu une crise sanitaire certes, mais aussi sociale et économique dont les conséquences à moyen et long terme seront très lourdes. A un moment donné, les clients pensent plus à affecter leurs ressources à d’autres sujets que l’achat d’un véhicule. Cependant, la dynamique du marché du véhicule d’occasion prouve qu’il y a un besoin de mobilité mais que ce besoin n’est pas assouvi ni avec les technologies, ni avec les prix proposés sur le véhicule neuf. La dynamique observée sur l’occasion est liée, en partie, à l’incertitude sur le marché du neuf. Enfin, la crise des semi-conducteurs agit aussi sur les particuliers car vendre des délais, c’est bien, mais les limites sont vite atteintes, y compris sur le segment des entreprises. Nous sommes dans un marché extrêmement perturbé, en souffrance. Le secteur est sévèrement secoué. Quant à la reprise, la sortie du tunnel n’est pas évidente. Ma vraie question : au-delà des modifications profondes de notre modèle économique à adresser, comment va-t-on faire au second semestre et que va-t-on livrer ?

 

JA. La baisse du bonus écologique qui est intervenue depuis le 1er juillet a-t-elle déjà des répercussions sur les niveaux de commande ?

HM. Effectivement elle en a et je ne suis pas certain que l’on puisse maintenir des mix de ventes en véhicules électrifiés aussi élevés. Et où va-t-on récupérer de la valeur si nous ne pouvons pas livrer. Nous sommes dans un paradigme avec beaucoup d’inconnus et d’incertitude. Or, l’incertitude en tant que telle peut se gérer mais encore faut-il pouvoir identifier ses causes racines. Aujourd’hui, je ne sais pas prédire la réaction des clients quand ils vont voir leur bonus baisser.

 

JA. Cette situation de marché se conjugue avec une période où les futurs contrats de distribution sont en cours de réécriture et où de constructeurs pointent du doigt les coûts de distribution jugés trop élevés. Comment un groupe peut évoluer dans ce contexte ?

HM. Un groupe de distribution a besoin d’informations pour réagir. Parler de quelque chose que l’on ne connaît pas est assez compliqué. Stellantis a résilié les contrats, des groupes de travail se déroulent avec des représentants de concessionnaires qui sont sous clause de confidentialité et cela reste donc assez flou pour l’instant. Nous agirons en fonction des propositions qui nous seront faites. Dire que les coûts de distribution sont trop élevés : oui, peut-être mais quid des coûts de production ? Et de ceux d’un véhicule électrique qui sont plus élevés que ceux d’un véhicule thermique ? Quid des normes euro 7. Si un constructeur ne produit plus de véhicules thermiques, cela veut dire également qu’il économise sur ses coûts de production et cela viendra peut-être compenser ceux plus élevés des véhicules électriques ? Le raccourci qui consiste à dire que les coûts sont trop élevés et que l’on va fonctionner selon des prix nets avec 30 ou 40 % des ventes sur le digital, pourquoi pas ? Mais aujourd’hui, je constate que les conditions de prix des voitures vendues sur le net affichent des remises plus élevées qu’en concession. A croire que les concessionnaires ne sont peut-être pas aussi mauvais et nous sommes loin encore des proportions annoncées concernant le flux naturel des ventes de véhicules neufs sur internet. Alors, oui le métier va se digitaliser mais c’est comme la transition énergétique, encore faut-il trouver le bon rythme. Nous pouvons proposer des outils, avoir les parcours les plus intelligents possibles mais le client doit avoir envie d’acheter une voiture à 30 000 ou 40 000 euros en 3 clics, en prix nets et sans contact. Le mouvement n’est pas évident.

 

JA. Quel serait le pire scénario dans les lignes directrices imposées par le futur règlement européen ?

HM. Je reste confiant car on ne peut pas avoir un contrat qui soit fondamentalement déséquilibré. Ce n’est ni l’intérêt des constructeurs, ni celui des distributeurs. Il va bien falloir trouver un équilibre économique. Jusqu’à preuve du contraire, nous avons toujours su trouver cet équilibre. Nous savons que nous faisons un métier qui est en cours de désintermédiation. Et les acteurs de la chaîne de valeur, qui participent à notre rentabilité, veulent nous désintermédier. Ces constats sont clairs mais peut être aussi que notre profession était en retard et peut être mieux vaut-il organiser sa propre désintermédiation plutôt que de subir celle des autres. Et dans ce sens que notre business model doit évoluer. Aujourd’hui, nous n’avons pas d’objectifs sur les ventes web. Mais ces clients, dont nous avons qualifié les besoins, arrivent en concession et se voient offrir un réel service. La vente web-to-store est un vrai canal. Cela participe au caractère "phygital" de la vente automobile. Notre force est quelque part d’être le meilleur des deux mondes.

 

JA. Mais qu’entendez-vous par votre propre désintermédiation ?

HM. Aujourd’hui, avec nous vendons presque 30 % de nos VO via le site autosphere.fr et nous y avons lancé des offres qui ne sont pas forcément alignées avec celles de nos concessions. Nous allons lancer un test d’atelier mobile. Et nous allons cibler une clientèle qui ne vient pas naturellement chez nous et qui a été laissé à d’autres acteurs. Les professionnels de l’automobile sont des concessionnaires et non des centres qui ont une enseigne et trois ponts. Nos équipes sont des pros et le service a un prix.

 

JA. Mais l’empreinte immobilière des groupes est aujourd’hui très importante dans les groupes de distribution. Comment allez-vous pouvoir garder ces structures et vendre sur le net ?

 

HM. A terme, il y aura forcément une réadaptation du dispositif immobilier. Encore faut-il que les constructeurs changent leurs standards et qu’ils nous les communiquent. Avec 30 ou 40 % de ventes digitales, il est certain que le showroom ne peut plus être identique. Les surfaces seront adaptées. Pour l’instant, des débouchés existent pour l’immobilier commercial ou industriel.

 

JA. La marque Autosphere est devenue la marque commerciale du groupe. Songez-vous à déployer cette enseigne sur l’ensemble des concessions du groupe ?

HM. Nous avons déjà initié le mouvement et nous changeons les raisons sociales. Les enseignes sont modifiées au fur et à mesure avec un procédé cependant qui permet de garder un historique. Par exemple, toutes les concessions Peugeot du groupe s’appelaient Abcis. Désormais elles afficheront l’enseigne Abcis by Autosphere. C’est aussi une marque d’appartenance en interne et nous ne voulions pas tout changer. Cette marque a deux intérêts : assurer un parcours phygital au client et de fait, nous avons une captation de clients beaucoup plus large sans privilégier l’un ou l’autre. D’autre part, nous pouvons massifier nos investissements marketing et de communication. Le process est lancé.

 

 

Les concessions du groupe Emil Frey en France vont progressivement arborer l'enseigne Autosphere.

 

 

JA. Des groupes lancent des concepts et des marques de mobilité. Vous positionnez-vous également sur ce marché de la mobilité ?

HM. Je ne connais pas dans le détail ces initiatives, il est donc difficile pour moi de me prononcer sur le sujet. Mais à titre personnel, je ne connais pas de marque de mobilité qui permet de gagner de l’argent. Et je ne connais pas d’opérateur de mobilité qui soit spécialement rentable. Qu’un groupe de distribution participe à cet écosystème de mobilité est logique et je pense que nous avons beaucoup d’atouts sur le sujet. Mais y-a-t-il un schéma économique pour un distributeur en tant qu’opérateur de mobilité ? Je ne réponds pas favorablement à cette question pour l’instant. Je suis curieux de voir. Nous ne sommes pas désintéressés par le sujet mais je n’ai pas encore la réponse sur la rentabilité.

 

JA. La crise sanitaire, puis économique aura-t-elle un impact sur le déploiement du groupe en France ?

HM. Non. Aujourd’hui, nous avons une taille correcte, un maillage bien établi. Nous ne sommes pas dans une course à la croissance et nous avons une taille critique qui nous permet de réaliser nos déploiements. Après, s’il y a des opportunités, nous saurons les saisir, au bon endroit, au bon moment et surtout au bon prix. Faire de la croissance à tout prix n’est pas notre stratégie. Et surtout, il faut attendre quand même ce que sera notre futur modèle conomique car la rentabilité passée ne préjuge pas de la rentabilité future. Je suis plus dans une position attentiste. Mais nous savons aussi ne pas refuser une bonne affaire !

 

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