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Distribution

Entretien avec Pierre Guénant, président du directoire de PGA : "Etre le numéro 1 en Europe dans la distribution automobile"

Publié le 14 novembre 2003

Par Alexandre Guillet
14 min de lecture
Très secret patron de PGA, groupe qu'il a fondé, Pierre Guénant a accepté de livrer quelques éléments de ce qui a fait son extraordinaire réussite, lors de l'émission "Face à la presse" du magazine Auto K7. Parti d'une concession Citroën en 1978, il est devenu en l'espace de 25 ans...

...le premier groupe de distribution en France et en Hollande. Avant de conquérir d'autres pays d'Europe…


JA. Vous n'avez jamais accepté la moindre interview. Pourquoi avoir accepté celle-ci ?
Pierre Guénant : J'ai cédé à votre harcèlement moral qui dure depuis des années. Certains esprits chagrins penseront que depuis le 1er octobre nous, les distributeurs, avons plus de liberté. Ce n'est pas la raison. Je pense qu'il y a toujours un moment où il faut parler. Je profite d'ailleurs du fait que les autres journalistes sont là.


JA. On connaît peu votre groupe. Entre PGA, PGA Holding et PGA Motors, pouvez-vous nous faire en quelque sorte une visite guidée ?
P. G. Le groupe de distribution automobile PGA a deux actionnaires qui sont Porsche Holding (à 95 % depuis le début de l'année), dirigé par les familles Porsche et Piëch, et PGA Holding, qui est mon holding personnel.
PGA a un conseil de surveillance présidé par Florian Piëch, où sont également présents Bernard Terquem et Oliver Porsche. Le directoire est composé de deux membres, Christian Klinger, directeur général, et moi-même qui en est le président.
Depuis le début de 1999, nous avons organisé la stratégie de ce joint-venture à partir de PGA Motors pour la France et de Nefkens pour la Hollande. En janvier, nous attaquons la sixième année de ce partenariat. Je voudrais également préciser que PGA signifie Pierre Guénant et Associés, avec un "s". Le principe de l'association et du partenariat est inscrit dans notre culture depuis toujours : partenariat avec nos collaborateurs (certains ont été actionnaires d'un certain nombre d'affaires), avec des opérateurs financiers et industriels.


JA. En données chiffrées, que représente votre groupe ?
P. G. PGA représente 2,35 milliards d'euros dont un peu moins de 2 milliards pour la France, le reste pour la Hollande. En nombre de véhicules, nous faisons 88 000 VN, dont 74 000 pour la France, et 60 000 VO, dont 50 000 pour la France. Notre effectif est de 5 500 personnes, dont 4 500 pour la France.


JA. Et vos résultats ?
P. G. Nos résultats sont satisfaisants et notre marge est correcte. Depuis que nous avons eu le groupe Lex dans notre capital en 1994, nous travaillons en fonction de la rentabilité des capitaux investis. Pour nous, un bon chiffre est 25 % de retour sur investissement. En général, nous n'en sommes pas très loin. Il est possible dans ce métier d'avoir une rentabilité très honorable quel que soit le marché, sauf s'il est exceptionnellement bas, comme ce fut le cas en 93.


JA. Vous avez eu très peur en 1993 ?




CURRICULUM VITAE

  • Nom Guénant
  • Prénom Pierre
  • Age 53 ans
  • Marié , 2 enfants
  • Diplômé de l'école supérieure de commerce de Paris en 1972, Pierre Guénant débute sa carrière dans les cafés Jacques Vabre où il sera chef de secteur puis chef de région. Pour la petite histoire, après avoir fait ses études avec Jean-Pierre Raffarin, il est entré la même année que lui chez Jacques Vabre. En 1976, Pierre Guénant rejoint le groupe Heuliez pour qui il sera directeur d'usine et P-dg de filiale jusqu'en 1984. A cette date, il quitte Heuliez pour le groupe de concessions qu'il a monté en parallèle (avec l'accord du président d'Heuliez) à partir de 1978. L'importance prise par ce groupe nécessite qu'il lui consacre tout son temps. Depuis, Pierre Guénant s'est associé avec les Autrichiens de Porsche Holding à qui il a cédé 95 % du capital de PGA dont il restera aux commandes jusqu'en 2008. Il a déjà préparé sa reconversion avec l'achat en 2000 d'un vignoble à Aix-en-Provence, le Château Beaulieu.

  • P. G. Nous avons eu besoin d'être très réactifs. Cette année-là, nous avons fini avec un résultat très limite de 0,1 %. C'est la seule fois en 25 ans de ce métier que nous avons refait le budget en cours d'année.


    JA. Y a-t-il une méthode PGA, une culture PGA ?
    P. G. Je pense que nous avons une culture de la délégation, de la responsabilisation, de la rémunération au mérite qui existe depuis longtemps. Cette culture est celle du respect des hommes. Ce sont nos collaborateurs qui, étant en première ligne, doivent incarner la marque qu'ils distribuent.
    Un petit exemple de ce que je vous dis : quand nous inaugurons une affaire, ce n'est ni Christian Klingler, ni moi qui parlons, mais les hommes concernés par cette inauguration qui s'expriment. Oui, il y a certainement une culture spécifique à ce groupe. J'ai été formé dans un schéma culturel où nous étions amenés à déléguer et à avancer au fur et à mesure que nous étions capables de former nos successeurs.


    JA. Comment les affaires Cica, dont la culture était totalement différente de la vôtre, ont-elles intégré PGA ?
    P. G. Si vous me parlez de l'intégration de Cica, je dois vous parler des trois acquisitions que nous avons faites et qui sont trois cas d'école très différents : Scoa, Nefkens et Cica.
    Le groupe a démarré avec l'achat d'une concession Citroën en juin 1978 à Châtellerault. Nous avons ensuite fait une croissance progressive avec des acquisitions unitaires dans le cadre d'une stratégie géographique et de marque. C'était du coup par coup. Dès la fin des années 80, nous avions construit une ambition pour les années 90/2000. Déjà à cette époque, j'avais des contacts avec Scoa, avec François Pinault qui venait de racheter la CFAO dans laquelle il y avait de l'automobile et aussi Cica. En 1993. Scoa avait perdu 50 MF et était une opportunité extrêmement risquée. Paribas voulait s'en défaire. Après une négociation difficile, nous avons fait cette acquisition. Nous étions à cette époque le troisième groupe de distribution en France et nous mangions le numéro 2. C'était un coup de poker, un quitte ou double. Nous étions conscients de l'enjeu. Grâce à l'équipe PGA, qui a remis de l'ordre dans une entreprise où il n'y avait aucune stratégie, et grâce aussi à M. Balladur qui a inventé les "balladurettes", nous avons gagné ce pari.
    L'opération suivante fut Nefkens. Cette société ancienne était une Belle au bois dormant. Elle avait été restructurée avant que nous n'arrivions et son président est resté. Nous avons envoyé un directeur général opérationnel qui venait de France et un directeur général financier envoyé par Porsche Holding. Ces deux hommes assistent toujours le président et ont transformé Nefkens en une entreprise performante.
    Cica avait été structurée à partir de 1991 sur les éléments présents dans CFAO et Cica elle-même, débarrassée par Claude Dumas-Pilhou de tout ce qui n'était pas automobile. Claude Dumas-Pilhou en avait fait une belle machine qui tournait bien avec un projet et une culture très différents de la nôtre. Mais il n'y a pas de monopole culturel. Quand nous l'avons reprise, Claude Dumas-Pilhou s'en était détaché depuis deux ans et son esprit s'était un peu éloigné. Cette affaire n'a pas été aussi simple à intégrer dans PGA que Nefkens avait pu l'être. Il a fallu procéder d'une autre façon que pour Nefkens et Scoa. Cela s'est bien passé globalement, même si nous regrettons que certains collaborateurs de Cica n'aient pas su entrer dans notre système de valeur et de culture performante.


    JA. Il y a une vraie disparité en ce qui concerne Peugeot entre les affaires PGA et celles de Cica, à quoi est-ce dû ?
    P. G. Il y avait, il n'y a plus. C'est grâce à cette culture de performance de PGA qui est très spécifique. Quand vous avez ce plaisir du challenge permanent, les résultats suivent : obtenir un résultat commercial par rapport au constructeur, financier par rapport à son actionnaire et tout simplement un résultat par rapport à soi-même. Nos collaborateurs, nos patrons d'affaires, nos responsables de services sont animés par ces valeurs culturelles.


    JA. Quels sont aujourd'hui les objectifs de votre groupe et quels sont vos axes de développement ? N'y a-t-il pas pour vous un risque de trop grossir ?
    P. G. Trop grossir ou grossir trop vite est un écueil assez facilement identifiable. Vous pouvez prendre des paris comme celui que nous avions pris en 1993 de doubler votre taille. Ce genre de croissance est dangereux, mais il y a des moments où il faut savoir le faire.
    Quand Scoa, Nefkens et Cica se sont présentées, ces opportunités entraient dans notre plan de développement à dix ans. Nous étions structurés pour le faire. Notre organisation matricielle extrêmement flexible pouvait accueillir tous types de croissance et nous n'avons pas explosé. Quand vous faites ce genre d'acquisition sans l'anticiper, vous prenez un vrai risque car l'état d'esprit de la structure et la culture ne sont pas prêts. Nous n'avons pas sauté dans l'inconnu, sinon je ne serais pas là pour vous en parler.
    Dans la vision stratégique pour les années 90/2000 et pour la période 2000/2010, nous avons pour objectif et ambition d'être le numéro 1 en Europe dans la distribution automobile. Pour que cette vision stratégique ne reste pas un rêve, nous avons structuré notre affaire de manière à accueillir des actionnaires, d'abord Lex puis Porsche Holding. Sur vingt ans, nous aurons poursuivi cette même stratégie. Je suis têtu et je crois que c'est bien comme cela.


    JA. Votre prochaine étape pourrait être de racheter des concessions Renault ?
    P. G. Nos liens historiques sont avec Citroën et Peugeot. A notre début et pendant les quinze années qui ont suivi, nous étions Citroën. Vous pouviez alors peut-être devenir Peugeot, mais en aucun cas Renault. Nous avons donc construit PGA sur Citroën et Peugeot dans la logique de ce raisonnement,




    FOCUS

    Pierre Guénant viticulteur !

    Ayant cédé le contrôle de PGA à Porsche Holding, Pierre Guénant devrait quitter le groupe qu'il a fondé après 2008. Encore jeune (il aura 58 ans), il ne renoncera pas à une activité professionnelle. Sa reconversion est déjà prête. En 2000, il a acheté le Château Beaulieu, à Aix-en-Provence. Un petit vin qui doit monter en gamme…
    qui est ce qu'il est. Mais nous pouvons travailler avec Renault et ils le savent, bien que, dans notre organisation, cela n'aurait pas de sens de racheter une concession Renault.


    JA. Quels sont les prochains pays où vous pourriez vous installer ?
    P. G. Nous travaillons sur différentes hypothèses. Nous regardons des dossiers partout. Les marchés d'Europe centrale et orientale sont pilotés par Porsche Holding qui a une position de distributeur pour les marques du groupe Volkswagen. Ce n'est pas notre vocation. C'est plutôt à l'ouest d'une verticale qui passe par Salzbourg qu'est notre champ d'action.


    JA. En 2005, l'abolition de la clause de localisation sera-t-elle une date importante ?
    P. G. Objectivement, peu de choses ont changé depuis le 1er octobre, même si, théoriquement, dans le domaine des pièces de rechange, les sources d'approvisionnement des distributeurs peuvent être plus variées. En ce qui concerne 2005, l'abolition de la clause de localisation pourrait être un vrai changement de nature à accroître la concurrence intramarque sur certains territoires. Mais j'en doute. Il existe un numerus clausus et des standards de marque complexes qui protègent les investissements des opérateurs existants. Ce règlement fait preuve de peu de pragmatisme, mais nous devons faire avec.
    Cette clause de localisation ne sera pas simple à mettre en œuvre. Nous nous y préparerons de manière passive. Nous répondrons à ceux qui viendront nous chercher sur notre territoire. Est-ce que de nouveaux opérateurs apparaîtront après 2005 ? Est-ce que cela favorisera des opérateurs établis comme nous ? Nous croyons sincèrement que ce règlement et ses conséquences sur les standards ne peuvent que favoriser des groupes mieux armés pour satisfaire à ses exigences.


    JA. Vous disposez de nouveaux espaces de liberté vis-à-vis des constructeurs. Compte tenu de la présence de la famille Porsche, pouvez-vous les utiliser ?
    P. G. Ecartons tout de suite une erreur d'appréciation. PGA n'est pas lié à un constructeur. Il n'y a aucun mélange des genres. Un autre élément de la culture de PGA est aussi la fidélité à nos partenariats. Mon grand-père était agent Citroën depuis 1927, mon père lui a succédé en 1949 et a eu sa seule concession en 1958. Nous avons donc vécu avec Citroën le dépôt de bilan en 1934 et la reprise en 1974 par Peugeot. Nous sommes toujours restés fidèles à Citroën. Quand nous parlons de partenariat, nous y sommes fidèles et nous le faisons en toute indépendance. Nous n'envisageons pas de trahir qui que ce soit. Si nous devions être entraînés par un constructeur dans un schéma dangereux, nous n'avons pas vocation à être des moutons de Panurge, mais le cas ne s'est jamais produit, j'espère qu'il ne se produira pas.


    JA. Du point de vue du client, la concurrence est-elle possible entre les différentes affaires de votre groupe ?
    P. G. Depuis 1983, nous faisons de la multi exclusivité de marque. Depuis 1990, nous avons regroupé dans des villages-autos l'intégralité de l'offre que nous maîtrisons. Nous rassemblons une offre de marque et une offre de service avec parfois Feu Vert et Norauto. Quand le consommateur a fait son choix, il entre dans une marque avec ses standards, sa décoration et ses prestations. Une marque qui vaut bien Vuitton ou Hermès. Le consommateur qui va dépenser 10 000 euros ou 30 000 euros est en droit d'attendre l'accueil qu'il mérite.
    Chaque affaire du groupe PGA reporte à son holding qui rassemble les affaires de sa marque. L'affaire Peugeot de Poitiers est intégrée dans le holding Sochaux Motors. A côté, la concession Citroën est dans Javel Motors. Le patron de chaque établissement a son compte de résultats, ses objectifs et son budget à respecter, et il ne rend compte qu'au patron de marque. La concurrence est totale, même parfois au détriment de nos marges. De même, les stratégies de Peugeot et Citroën au sein de PSA sont différentes : cela n'empêche pas PSA d'être un groupe. A notre échelle bien plus modeste, l'existence de cette concurrence est absolue.


    JA. Est-ce que votre fonctionnement pourrait être remis en cause si vous deviez faire face à une concurrence qui organiserait le multimarquisme différemment ?
    P. G. Ces villages représentent une offre multimarque et multiservice. Un nouvel opérateur qui veut être significatif sur le marché ne peut pas, à quelques exceptions près, ne pas passer dans des schémas de même type. Je vois très mal l'automobile revenir dans les rayons de la grande distribution. Nous considérons que notre offre village est plus appropriée compte tenu de la puissance de la marque.


    JA. Envisagez-vous de développer vos achats dans une même marque sans passer par la structure française ?
    P. G.  Il y a des soi-disant espaces de liberté dans ce règlement qui sont amusants. Mais nous n'avons pas attendu M. Monti pour regarder ces choses dans un esprit de partenariat. En Hollande, nous représentons deux marques, Peugeot et Opel, que nous représentons aussi en France. Nous sommes dans une position parfaite pour comparer les prix Peugeot et Opel dans un pays qui est réputé être un des moins chers. Je puis vous assurer que les profits à en attendre sont extrêmement minimes, que le jeu n'en vaut pas la chandelle et que, dans tous les cas, ce ne serait pas respecter l'esprit de partenariat. Nous ne l'avons jamais fait ces trois années. Enfin, vous savez pertinemment que les constructeurs travaillent à l'harmonisation des prix HT, sachant que ce qui cause les différences de prix, ce sont les taxes qui viennent sur le prix hors taxe avant la TVA.


    JA. Vous dites que le domaine de l'après-vente est celui où il y a le plus de modifications ? Allez-vous acheter de façon différente vos pièces de rechange ?
    P. G. Je dis que la suppression du lien entre la vente et l'après-vente est peu pragmatique. L'espace de liberté théorique le plus évident depuis le 1er octobre est probablement celui des pièces de rechange. Il y a un certain nombre de fournitures que n'assurent pas les constructeurs avec lesquels nous travaillons et que nous achetons depuis longtemps à l'extérieur. Notre politique de partenariat est telle qu'il est difficilement envisageable, sous l'extrême réserve de la compétitivité des prix et des produits, d'acheter à l'extérieur tout ou partie de ce que nous avons l'habitude de trouver chez nos constructeurs.


    Propos recueillis par Florence Lagarde

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