Enchères et en or
Il y a eu de la casse. En 2022, le prix de transaction des véhicules d’occasion a grimpé au plus haut. Très vite et sans discontinuer. Sous tension, le secteur des revendeurs de voitures d’occasion a ainsi vu quelques entreprises parmi les plus ambitieuses renoncer à poursuivre l’aventure en France, voire en Europe. Ce qui a provoqué le malheur de certains comme Cazoo et CarNext a fait les choux gras de beaucoup d’autres. Les maisons de ventes aux enchères se placent dans cette seconde catégorie.
Après avoir atteint un niveau record du montant annuel d’adjudication en 2021, à 1,963 milliard d’euros, les commissaires‑priseurs spécialisés dans les voitures d’occasion et le matériel industriel ont établi une nouvelle marque de référence en 2022. L’an passé, en effet, le total des ventes de ces deux grandes familles de produits s’est élevé à 2,002 milliards d’euros. Une hausse de 2 %, selon les statistiques officielles du Conseil des ventes volontaires.
Il convient de modérer cette évolution car, à plus grande échelle, les maisons spécialisées dans les automobiles et le matériel n’affichent pas le même rythme de croissance que d’autres secteurs. Toujours selon le Conseil des ventes, les commissaires‑priseurs ont adjugé pour un montant de 4,378 milliards d’euros, l’an passé, tous secteurs confondus. Le marché tricolore des enchères a ainsi progressé de 8,2 % en comparaison à 2021. La catégorie qui nous intéresse a donc cédé du terrain aux autres comme celle des spécialistes des objets d’art ou celle des chevaux. Au terme de l’exercice, son poids dans l’activité globale s’élevait à 45,2 %, contre 48,5 % un an auparavant.
Baisse d’influence du top 20
Toutefois avec 44 maisons répertoriées en France, le secteur du VO et du matériel industriel ne représente que 10 % des opérateurs en place (contre 8 % l’année d’avant). Et si le montant adjugé total a grimpé, le Conseil des ventes met en exergue un phénomène de dilution. En 2019, chaque maison de ventes aux enchères de la catégorie réalisait en moyenne 51,6 millions d’euros d’adjudication. Deux ans plus tard, cette somme s’élevait à 62,5 millions d’euros. Mais entre 2021 et 2022, le montant moyen adjugé par chacune a fondu de 30,6 % pour s’établir à 43,4 millions d’euros.
L’automobile dans son ensemble va à la concentration. Le monde des concessionnaires en est un exemple des plus probant. Pourtant, la tendance est bien différente chez les enchéristes. Le bilan annuel montre que l’importance des leaders s’amenuise au fil des exercices. Avant la crise, le montant cumulé d’adjudication des 20 premières maisons (soit 1,567 milliard d’euros) représentait 96,2 % du total du secteur. Le si particulier exercice 2020 avait vu cette part culminer à 97,3 % malgré la contraction des ventes à 1,495 milliard d’euros.
En 2022, si leur cumul a augmenté de 0,9 % par rapport 2021, à 1,916 milliard d’euros, la part des 20 maisons principales a reculé de 96,7 % à 95,7 % d’une année sur l’autre. Ce qui s’observe aussi à plus grande échelle. En 2022, leur pénétration dans le montant global du secteur des enchères en France a perdu 3,2 points, à 43,7 %, en un an. Le niveau le plus bas des quatre dernières années.
Un duo de tête qui s’affirme…
Au sommet de la pyramide, aucun changement en 2022. Après avoir pris la couronne en 2021, Alcopa Auction la conserve en 2022. La maison a rapporté 537 millions d’euros d’adjudication. Un total en croissance de 3,9 %. En comparaison à la situation d’avant‑crise, Alcopa Auction augmente son activité de 49 %. Aucune maison sur le territoire ne génère autant et ce, tous secteurs confondus. L’enseigne Alcopa Auction reste talonnée par BCAuto Enchères dont le rythme d’évolution a été un peu plus important. Entre 2021 et 2022, le montant adjugé par l’ancien leader du secteur a progressé de 7,1 %, à 527 millions d’euros.
Ce duo de tête a creusé un peu plus l’écart avec les poursuivants. Et pour cause, aussi bien VPauto qu’EnchèresVO ont enregistré des ralentissements sur l’exercice 2022. Par rapport à 2021, VPauto a enregistré l’une des plus importantes chutes. Elle a été de 22,9 % pour revenir à 243 millions d’euros. Un score même 17 % en dessous de celui de 2019. "La réalité économique n’est pas bonne, admet François‑Laurent Guignard, directeur général de VPauto. Mais nous avons aussi une activité non comptabilisée par le Conseil des ventes qui n’est pas négligeable. "Selon ses estimations, celle‑ci avoisine 150 millions d’euros. "Nous pâtissons de la situation chez les loueurs longue durée et les institutionnels. Cela vaut pour notre maison et très probablement pour les leaders également", complète‑t‑il.
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Chez EnchèresVO, le montant total fait un retour en arrière. En baissant de 5,3 %, il atterrit à 198 millions d’euros. Ce qui reste cependant mieux qu’en 2019, quand la maison toulousaine bouclait la période à 130 millions d’euros. Pour Guillaume Arnauné, directeur général, une partie de l’explication se trouve dans l’approvisionnement. Après un premier semestre bien orienté, EnchèresVO " a manqué de matériel au second semestre", selon ses dires. "Les concessionnaires et les loueurs ont conservé plus de véhicules que d’habitude, partage‑t‑il l’observation de son principal concurrent. Les distributeurs ont voulu diversifier leur gamme de VO et nous en avons souffert."
Le verdict a été sans appel. Les deux maisons ont vu les rythmes de vente chuter de manière assez spectaculaire. Entre 2021 et 2022, le nombre d’adjudications a fondu de 20,6 % à 27 000 unités pour VPauto et de 16,7 % pour EnchèresVO qui a fini à hauteur de 25 000 transactions.
…Un trio qui se resserre
Derrière ce quatuor, il y a un trio plus resserré que jamais composé de Mercier Automobiles, d’Autorola et de Ritchie Bros dans l’ordre respectif du classement. En stabilisant son résultat sur un an, à 82 millions d’euros, Autorola a, d’une part, laissé son concurrent nordiste reprendre un peu d’avance (88 millions d’euros ; + 10 %) et, d’autre part, a permis au spécialiste du matériel industriel de revenir à son niveau (82 millions d’euros ; + 17,1 %). " Nous avons rapidement compris que les volumes ne seraient pas totalement au rendez‑vous, il a donc été décidé de jouer la carte du prix pour compenser ", reviennent sur l’épisode 2022 les dirigeants de Mercier Automobiles. Le montant moyen d’adjudication a grimpé de 10 % dans la maison lilloise qui a sorti 12 000 véhicules comme l’année d’avant.
À l’instar de ses relations avec le groupe Lempereur, dont les responsables vantaient encore les bénéfices, il y a quelques semaines, par l’intermédiaire d’Éric Roulleau, directeur VO, Mercier Automobiles prospecte activement au nord et à l’est de Paris (75) pour nouer des accords avec des concessionnaires. Des apporteurs d’affaires qui provisionnent entre 20 et 30 % des véhicules d’occasion proposés à la vente chez l’enchériste, soit autant que les institutionnels et les loueurs en tout genre. Les produits en provenance des banques gardant l’avantage dans le mix (50 %). Pour sa part, Autorola s’est accroché à sa stratégie. Celle de jouer sur les véhicules positionnés sur le haut de gamme.
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Cela se lit dans le bilan chiffré. Le montant d’adjudication moyen avoisine 13 700 euros. Aucune autre enseigne au sommet du classement établi par le Conseil des ventes ne rivalise sur ce terrain.
Au mieux, VPauto peut revendiquer une moyenne de 9 000 euros. " Pratiquement aucune reprise à 3 000 euros ne passe entre nos mains, justifie Pierre‑Emmanuel Beau, directeur général d’Autorola France. Pour la simple raison que nous ne croyons pas possible d’être rentables avec ce type de VO. " Il positionne sa plateforme digitale davantage sur des missions aux côtés des loueurs et des constructeurs pour valoriser les voitures en local ou à l’export. La plateforme déployée pour le groupe BMW en juin 2022, mais aussi celles créées respectivement pour Smart et pour Sixt illustrent cette ligne de conduite.
Faire revenir les particuliers
Depuis le début de l’année, il flotte un autre parfum dans l’air des salles. Tous les commissaires‑priseurs s’accordent à dire que l’activité tend doucement à revenir à la normale. Les prix ont cessé de s’envoler, puisque de plus en plus de matériel continue d’affluer. Pour Guillaume Arnauné, cela encourage les particuliers à revenir batailler. Eux qui habituellement composent 20 % du public avaient presque laissé le champ libre aux professionnels ces derniers mois. Un comportement pointé du doigt par François‑Laurent Guignard. À la tête de VPauto, il explique que la frénésie acheteuse des professionnels a déboussolé les particuliers qui ne comprenaient pas la raison pour laquelle les exemplaires d’occasion se monnayaient plus cher que les voitures neuves.
" Marquer des points auprès des particuliers ", telle est aussi l’idée de Dominique Soinne et Pierre Drouin, codirigeants de Mercier Automobiles. Dans les salles du duo nordiste, les concessionnaires se sont faits plus rares dès décembre dernier, quand ils ont commencé à être livrés de véhicules d’occasion par des constructeurs en phase de déstockage. "Les concessionnaires reviennent depuis quelques semaines mais avec un peu plus de raison dans leurs enchères", notent‑ils. De quoi s’inscrire une fois encore sur une courbe de croissance ? Tout le monde joue de prudence sur ce sujet. Guillaume Arnauné le premier. "ll faut lever les incertitudes de marché, dit le directeur général d’EnchèresVO. Il n’y a pas d’effet d’accélération en vue, mais nous sommes assez confiants." Jean‑François Maréchal, directeur général d’Alcopa Auction, tient un discours similaire. Et ce dernier aura fort à faire pour ne pas subir une remontée. Le phénomène de tassement des prix sera l’un des paramètres les plus importants à surveiller.
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