Edouard Coquillat, Central Autos : "Nous avons un modèle inédit dans le secteur des bornes de recharge"
Journal de l'Automobile. En plus d'être directeur général du groupe Central Autos, vous êtes, à titre personnel, le cofondateur de Wellborne, une société spécialisée dans les bornes de recharge pour véhicules électriques. Quelle est la genèse de ce projet ?
Edouard Coquillat. Tout a commencé en 2019. Nous étions à la recherche de solutions de points de recharge pour nos clients afin de lever les freins à l'adoption de l'électrique. Les propositions des constructeurs manquaient d'homogénéité et de visibilité sur le traitement de nos clients puisque les leads étaient repris par les partenaires nationaux des marques. Il nous fallait réagir en prenant le sujet en main et en misant sur la réactivité et la qualité de service.
JA. Comment vous y êtes donc vous pris ?
EC. Nous ne savions pas dans quelle direction avancer et vers qui nous tourner. C’est alors que nous avons élaboré un nouveau modèle avec mon ami d’école de commerce Romain Pacy, tandis qu’il venait renouveler son Audi pour un modèle hybride rechargeable. Il est devenu mon associé, apportant une compétence en gestion de la logistique industrielle et des relations en Asie. Wellborne a été créée une fois que nous avions identifié un industriel pour assembler notre borne et des électriciens IRVE (infrastructure de recharge pour véhicule électrique) pour les installer. Central Autos a été le premier groupe à distribuer le produit.
JA. Quels ont été les premiers retours commerciaux ?
EC. Au bout de quelques mois, l'appétence du public a rapidement validé le concept. 250 points de recharge ont été vendus la première année pleine au sein de groupe Central Autos. Considérant la taille de notre groupe, le nombre de marques que nous avons et notre force commerciale, nous avons estimé que le potentiel était supérieur. Nous avons donc décidé de missionner des personnes à temps plein sur cette activité, notamment pour aller de manière autonome en faire la promotion à l'extérieur auprès des flottes, de foncières ou d'autres sociétés. Le rythme de vente a alors accéléré, jusqu'à constater que les ventes faites en concessions rentabilisent à elles seules l'investissement et que l'activité extérieure tire le profit vers le haut.
JA. Depuis lors vous avez entrepris de travailler avec les groupes de distribution français. Comment fonctionnez-vous ?
EC. Nous avons un modèle inédit dans le secteur de l'IRVE, celui de nous reposer en grande partie sur des groupes automobiles pour commercialiser localement nos solutions. Ces groupes doivent avoir un certain volume de ventes pour atteindre au moins 200 à 250 points de charge à l'année. Il faut aussi une réelle conviction pour y consacrer des ressources à part entière, soutenues par les autres services comme le marketing, le commerce ou le magasin PR. Nous ne regardons donc pas tant les marques distribuées par le concessionnaire candidat que sa volonté de dépasser les frontières de son activité habituelle. De nouvelles entités sont donc nées de nos accords avec les groupes automobiles, telles que Sipa Link du Groupe Sipa), MVP Recharging des groupes Suma et RX Automobile, Car Avenue Watt du groupe Car Avenue, Festi-Watt du Groupe Amplitude, WB 2607 du groupe Genin ou encore par exemple Péricaud Mobilités du groupe Péricaud.
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JA. Où en êtes-vous du maillage ?
EC. Nous comptons à ce jour plus d’une vingtaine de groupes automobiles partenaires, représentant plus de 600 concessions. Nous espérons achever la couverture de la France à la fin du premier semestre 2023. Nous pensons qu’il y a encore la place pour une douzaine de distributeurs. L’arc méditerranéen, notamment la région Provence-Alpes-Côte d'Azur, sera bientôt entièrement couvert. Mais nous recherchons tout particulièrement en Bretagne, en Corse, en Ile-de-France, vers les Pays de la Loire et le Midi pyrénéen.
JA. Que leur proposez-vous sur le papier ?
EC. Les contrats de distribution sont accordés par département, si le nombre de points de vente sur le territoire est jugé suffisant. Il ne s'agit pas de contrats d'exclusivité, mais de distribution active partagée. Nous avons fait ce choix pour laisser à chacun de nos partenaires la possibilité d'étendre ensuite son territoire en fonction de leurs opérations de croissance externe, puisque chaque concession est contractuellement un point de vente Wellborne. Ensuite, ils ont toute liberté d'action pour bâtir leur écosystème avec les électriciens, les agents et les MRA locaux. Nous nous engageons pour notre part à leur garantir une exclusivité sur les prix, une homogénéité de la grille tarifaire, un niveau de marge brute défiant toute concurrence, et enfin la redirection de 100% de nos leads ou encore le droit à l’utilisation de notre marque Wellborne.
JA. Le cas du groupe Car Avenue amène le sujet de l'internationalisation. Qu'avez-vous prévu chez Wellborne ?
EC. Nous avons déjà plusieurs distributeurs hors de l'Hexagone, notamment à La Réunion, l'Ile Maurice, Madagascar, aux Seychelles et aux Baléares. Des discussions ont commencé avec des partenaires qui souhaitent exporter la marque dans des pays étrangers. Nous avons écrit un contrat spécifique sur le modèle de licence de marque. Un partenaire pourra donc développer la marque en construisant son propre réseau de distribution comme nous le faisons nous-mêmes en France. Nous veillerons cependant au bon comportement concernant la grille tarifaire appliquée. Il ne sera pas acceptable de voir des produits revenir dans l'Hexagone à des tarifs faisant dangereusement concurrence à nos activités et celles de nos distributeurs.
JA. Comment calculez-vous l'engagement volumétrique ?
EC. Nous estimons la part des véhicules électriques et hybrides rechargeables à 35 % du volume VN contracté avec le constructeur et nous leur demandons de réaliser une pénétration de 15 % avec les bornes. Ce qui revient donc à environ 5 à 6 % du contrat VN et un minimum de 250 bornes par an.
En ajoutant la monétique, nous devenons eMSP et nous allons pouvoir gagner de l'argent sur les transaction.
JA. En faites-vous un levier de rentabilité pour vous et les concessionnaires ?
EC. Dès l'origine du projet, nous avons voulu avec mon associé que Wellborne soit rapidement profitable pour chacun des distributeurs. A fin 2022, nous totalisons 5 000 bornes vendues au réseau et les partenaires ont réalisé des marges très confortables sur chacune d'elles. Entre 2021 et 2022, notre chiffre d'affaires est passé de 1,2 à 4,5 millions d'euros, tiré par une hausse des achats de bornes DC. Ce qui, au passage, prouve la montée en compétence des vendeurs et des actions engagées par les groupes autos à l’extérieur des concessions. L’ensemble du réseau de distribution a quant à lui cumulé approximativement le même CA que nous.
JA. Pour rester sur le sujet des revenus, il se dit que la monétique va faire son apparition…
EC. En effet elle est enfin prête et portera le nom de EV Map. Nous allons la livrer courant janvier 2023 à l'ensemble de nos distributeurs et des installateurs IRVE. Pour que le produit soit éligible aux subventions Advenir et monétisable, nous avions dû développer notre propre système de gestion des bornes (CPO), afin de nous connecter aux fournisseurs de services de mobilité comme Freshmile (eMSP). Mais la chaîne de valeur était telle que les concessionnaires ne percevaient rien des sessions de recharge, et nous non plus d’ailleurs. En ajoutant la monétique, nous devenons eMSP et nous allons pouvoir gagner de l'argent sur les transactions réalisées par application, par QR Code ou par paiement sans contact sur un terminal de paiement intégré. Le projet est en parallèle d’animer notre réseau sur le déploiement des contrats EV Map.
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JA. Comment la société Wellborne est-elle rattachée au groupe Central Autos et comment les constructeurs perçoivent l'initiative ?
EC. La holding est devenue actionnaire minoritaire au début de l'aventure, notamment en cas de nécessité financière. Mais nous sommes parvenus à construire le projet sans faire appel à des fonds. Wellborne a rempli sa mission de facilitateur de vente de VE et PHEV et nous a même permis de reconquérir des clients. Les constructeurs ont, quant à eux, une bonne appréciation de notre projet. Ils y voient notamment une source de revenus pour le groupe qui renforce notre situation financière. En plus, nous les libérons d'une tâche éloignée de leur activité principale. Sans oublier que le développement de la marque Wellborne au sein des groupes automobiles permet de rencontrer de nouveaux prospects dans divers secteurs, et est donc générateur de ventes VN sur des clients nouveaux.
JA. Laissons l'électromobilité et parlons de votre investissement le plus récent à savoir la prise de panneau Ligier. Que révèle cette opération ?
EC. Nous avons ajouté une nouvelle brique dans notre écosystème, celle de la mobilité sans permis. Le travail en 2023 sera de donner du liant, de construire une offre globale. Nous ne changerons pas le nom de notre groupe de distribution en Central Automobilité si nous ne sommes pas capables de tenir une promesse client forte. Certains concessionnaires le font alors que rien n'a changé. Nous voulons instaurer une vision globale du client. Ce qui implique un travail sur la clarté de l'offre, sur les bases de données, sur la stratégie marketing et la création de postes dédiés pour avoir des interlocuteurs.
JA. Quel est donc l'enjeu prioritaire dans votre esprit ?
EC. Il faut s'assurer que chaque lead qui entre soit bien traité par le groupe Central Autos. Tout le monde dans l'entreprise doit donc maîtriser le catalogue de solutions proposées pour parler de manière transparente au client et l'orienter. Il n'est donc pas, à mon sens, pertinent d'empiler en un temps record des nouvelles formes de mobilité. Le risque étant d'avoir des collaborateurs complètement déconnectés et donc de mettre en péril l'esprit d'unité et finalement de voir les clients partir ailleurs.
Il ne faut jamais oublier que dans le secteur de la mobilité, beaucoup d'initiatives ont vu leur modèle rencontrer des difficultés après quelques temps.
JA. Quelle est la feuille de route avec Ligier ?
EC. Nous avons repris deux contrats, à Lyon et à Bourgoin-Jallieu, soit les départements du Rhône et de l'Isère. Nous mettrons l'accent sur la performance dans un réseau dont nous découvrons les rouages. Les débuts apportent satisfaction et la marque a conscience de notre implication. Il faudra développer la location courte durée.
JA. A ce propos, le groupe compte parmi les membres du réseau Ucar…
EC. Oui, un peu partout sur nos sites, car nous travaillons par ailleurs les marques Volkswagen Rent et Audi Rent qui sont opérées avec le soutien de Ucar en marque blanche. Il y avait aussi Hyundai Rent que nous avons conservé à notre compte, lorsque le contrat entre la filiale et le loueur a pris fin. Dans cette logique stratégique, Ligier a été intégré à Ucar pour proposer de la location courte durée. Mais nous souhaitons aussi développer la LOA sur ces produits. Ce qui pourrait, par exemple, nous permettre de cibler des parents d'adolescents durant la période précédant l'obtention du permis de conduire. Autant de personnes entre 14 et 20 ans à qui nous n'aurions jamais vendu de voiture neuve.
JA. Quelle perception avez-vous de ces solutions de flexibilité ?
EC. J'y vois des formules de location courte durée repackagées. Il n'est pas si évident de les mettre en œuvre. Les constructeurs se penchent sur la question, tandis que des plateformes indépendantes émergent et nous menons nos propres études sur les process à adopter. Il faudra accélérer en 2023, bien entendu. Cela présente un intérêt, d'autant plus quand la contractualisation en ligne gagne des parts de marché, mais la prudence doit rester le maître-mot. Il ne faut jamais oublier que dans le secteur de la mobilité, beaucoup d'initiatives ont vu leur modèle rencontrer des difficultés après quelques temps.
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