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Distribution

2020 : le triomphe du digital en concession ?

Publié le 22 mars 2021

Par Christophe Bourgeois
10 min de lecture
Avec la fermeture des points de vente durant les confinements, il est facile de penser que le client s’est retranché derrière son écran pour prendre contact avec son concessionnaire. 2020 a-t-elle été l’année où tout a basculé ? Pas si simple.
L’évolution du parcours client bouleverse l’organisation des concessions, qui doivent s’armer en conséquence pour relever le défi de la digitalisation.

 

Nombreux sont les construc­teurs qui rêvent d’un par­cours client 100 % digital, celui qui permettrait d’acheter d’un seul clic une voiture de son canapé, comme on commande un robot ménager sur Amazon ou une paire de chaussures sur les sites de ventes privées. Et la fermeture des conces­sions, lors du confinement du prin­temps dernier, a accéléré chez cer­tains cette transformation ou, du moins, cette ambition. Seulement, les choses ne sont pas aussi simples. "Nous avons remarqué une aug­mentation de 20 à 30 % des prises de contact par Internet, constate Lio­nel Galichet, fondateur de Yakabiz. Mais en même temps, nous avons observé une exacerbation de la désor­ganisation des concessions."

 

Car qui dit digital, ne veut surtout pas dire déshumanisation. Bien au contraire. "Il y a une amplification des leads digitaux et beaucoup ne savent pas vraiment comment en tirer parti", complète‑t‑il. Les chiffres parlent d’eux‑mêmes. Selon la dernière étude réalisée par Qualimétrie ap­pelée "Les enjeux de l’automobile en 2021", seuls deux clients sur cinq ont reçu une réponse par mail ou par téléphone, suite à leur demande d’informations en ligne. Ces chiffres évoluent peu d’année en année et ce, malgré les processus mis en place par les constructeurs et valorisés par des primes.

 

Suivre le client

 

Si les concessionnaires sont conscients de ces évolutions, sont‑ils pour au­tant suffisamment organisés et équi­pés pour tirer toute la quintessence de ce parcours digital et offrir par la même occasion une expérience client la plus réussie possible ? Beau­coup répondent par la négative. Pour certains, c’est un manque à gagner considérable. "On parle tou­jours dans les concessions d’entonnoir des ventes, constate Lionel Galichet. En réalité, il s’agit plutôt d’une pas­soire des ventes, même si la pandémie actuelle a peut‑être fait gagner 3 ou 4 ans de maturité sur le sujet de la re­lation client digitale."

 

Et d’expliquer : "Quand on fait du marketing, on incite les acheteurs à prendre contact avec la marque. Malheureusement, le traitement et le suivi de l’information ne sont pas toujours efficaces. Il n’y a pas de pilotage derrière, personne ne va vérifier si le client a été contacté par le vendeur, s’il a transformé le contact en affaire ou si le lead a été abandonné et surtout, pourquoi il l’a été."

 

Ce manque de suivi est probable­ment l’un des points noirs de la re­lation client digitale. Pour autant, les distributeurs sont lucides sur l’enjeu de traiter correctement et surtout rapidement les leads issus des ca­naux digitaux, qui ne cessent au fil des années de se multiplier, les sites des marques étant rejoints par ceux des groupes de distribution ou par les réseaux sociaux… "Les conces­sions sont désormais obligées de faire appel à des compétences qu’elles n’avaient pas auparavant au sein de leur équipe", résume David Des­cottes, directeur général d’Izmocars. Certains opérateurs ont donc créé, ou en interne ou en s’appuyant sur des compétences externes, un pôle relation client. C’est le cas du groupe BYmyCAR. À la sortie du deuxième confinement, il a mis en place en interne un tout nouveau centre de relation client. Son rôle ? Traiter les demandes qui émanent du site du distributeur, des concessions, des in­fomédiaires et, grâce au chat, accom­pagner les acheteurs pour ceux qui ne veulent pas appeler.

 

"Avant, nous avions un numéro de téléphone pour chaque concession, avec plein d’appels qui n’étaient pas pris", souligne Pas­cal Josselin, responsable du pôle ex­périence client et digital chez BYmy­CAR. La création d’un chat permet de ne manquer aucun message en­trant et un numéro de téléphone unique et surtout toujours dispo­nible renforce le lien entre le client et le point de vente. Le distributeur ne compte pas s’arrêter là, puisque ce centre téléphonique aura bien­tôt vocation à assister les clients et prospects dans leur achat 100 % en ligne. "Nous avons organisé pendant les confinements des salons digitaux avec la possibilité pour l’internaute de joindre nos e‑vendeurs afin d’être assisté. Cette équipe d’e‑vendeurs va basculer dans notre centre de relation client", poursuit Pascal Josselin.

 

Bénéficier de ses propres outils

 

Savoir répondre aux leads est une chose, suivre leur transformation en est une autre. "Le secret d’une distri­bution digitalisée est de tout inter­connecter en une seule interface très simple, qui permet de visualiser tout le parcours du client, de son point d’en­trée, quel que soit le support, jusqu’à la signature du contrat, en passant par l’accompagnement du vendeur", rap­pelle Éric Legrand, directeur commercial et marketing du groupe Legrand, mais aussi fondateur d’UpYourBizz. Les concessionnaires à la pointe se penchent donc sur le su­jet, d’autant plus que certains re­prochent aux constructeurs de ne pas proposer les bons outils. Certains vont même d’ailleurs jusqu’à les concevoir eux‑mêmes, afin d’avoir leur propre logiciel.

 

C’est le cas de BYmyCAR. Le groupe dispose depuis peu d’une base unique de données de clients. "Elle nous permet d’avoir une vision à 360° des clients et prospects, d’avoir un historique sur le long terme et d’exploi­ter ces informations", explique Pascal Josselin qui rappelle "qu’on ne peut pas mettre en place un centre de rela­tion client efficace, s’il n’est pas lié à un CRM avec des données propres". À terme, ce CRM aura aussi pour vo­cation d’aider le distributeur à créer des campagnes marketing ciblées, car jusqu’à présent, le groupe en faisait peu ; ses 17 responsables marketing réalisaient chacun leurs campagnes locales. Sans réel suivi.

 

"En nous appuyant sur un traitement automati­sé et centralisé des données, dans le respect de la loi RGPD, nous aurons un outil plus précis", poursuit‑il. "Il faut cesser de faire du marketing à la papa, avec des communications peu ciblées sur les pneus hiver pendant les premiers flocons, qui vont arroser une base de données énorme, lâche, de son côté, David Descottes. Il faut aussi cesser de croire que le commerce se passe uniquement en concessions et de privilégier un marke­ting entièrement tourné vers les événe­ments en showrooms du type JPO ou le lancement de nouveaux modèles par une marque. L’avantage du digital est qu’il donne la possibilité de faire une communication ciblée, sur une toute petite audience, avec un fort taux de conversion."

 

Intégration maximale

 

Reste que se doter de ces outils de­mande une vraie prise de conscience, de s’appuyer sur une réelle stratégie et, surtout, de disposer d’une certaine assise financière. Sans oublier la ques­tion centrale : internaliser ou confier cette lourde tâche à des prestataires ? "La réponse varie en fonction de ce que le distributeur souhaite intégrer comme process et compétences dans l’entreprise, répond David Descottes. Certains groupes vont avoir les moyens de com­poser une cellule de développement, avec des programmeurs qui vont coder eux‑mêmes le CRM, dont ils ont besoin pour gérer leur clientèle. D’autres vont préférer avoir recours à un prestataire dont le métier est justement ce type de compétences." Un choix pas forcé­ment évident. BYmyCAR a décidé d’internaliser ces fonctions. "L’exter­nalisation ne fonctionne pas, car notre métier est trop spécialisé, observe Pas­cal Josselin. Le vrai enjeu dans la distri­bution, c’est la taille, celle qui permet de se doter des bons outils et des métiers."

 

De là à conclure qu’une stratégie di­gitale complète serait uniquement à la portée des plus puissants, il n’y a qu’un pas que beaucoup franchissent. "C’est ce que je pense, glisse Pascal Josselin. L’exploitation des données, la création et la gestion de campagnes, la réception et le traitement des leads, leur suivi, toutes ces compétences doivent nous appartenir en tant que distribu­teur." De son côté, le groupe Legrand compte deux développeurs, contre une vingtaine pour UpYourBizz, dont c’est le cœur de métier. Il n’empêche qu’il travaille très activement sur le sujet ; il concentre, en effet, toutes ses données sur une base unique. En connectant CRM et DMS, l’outil permettra de retracer tout le parcours du client, que le lead provienne de chez Opel ou Suzuki.

 

"Pour réussir notre di­gitalisation, il faut un outil capable de connecter DMS et CRM, de traiter les leads, de traquer le parcours du client, le tout dans une base de données unique, justifie Éric Legrand. Si nous n’avions pas de responsable CRM et de déve­loppeurs en interne, nous aurions été bloqués dans ce projet." Et d’ajouter : "Ceux qui accordent de l’importance à ces projets, ce sont de gros groupes. Ceux de taille moyenne sont plutôt dans l’étape de la gestion des leads."

 

Le bon recrutement

 

L’évolution du parcours client, en amont de son arrivée dans le point de vente, nécessite dès lors une nouvelle organisation et surtout des compé­tences spécifiques au sein des conces­sions. "Les meilleurs résultats sont obtenus via le recrutement de collabo­rateurs qui ne sont pas issus de l’au­tomobile", observe Lionel Galichet. Il y a 5 ans, les professionnels em­bauchaient uniquement dans l’au­tomobile mais aujourd’hui, la donne a changé. "On recrute des spécialistes de la vente sur Internet, car ils ont da­vantage la notion de l’importance d’un contact dématérialisé", poursuit‑il. Sur le terrain, de nouveaux métiers, jusqu’à il y a peu impensables dans la distribution, sont aujourd’hui de plus en plus recherchés. À titre d’exemple, BYmyCAR recrutera dans les semaines à venir un data scien­tist, un producteur de campagnes automatisées, un chef pour le call center et, enfin, un community ma­nager. Bref, le développement de la digitalisation dans la relation client fait évoluer la profession de vendeur.

 

"Nous voulons qu’ils se concentrent sur leur métier et ses fondamentaux : la relation client, l’écoute, l’accueil, la qualité", indiquent les deux distri­buteurs interrogés. Plus d’excuses non plus pour ces vendeurs, débar­rassés des tâches annexes, pour ne pas avoir préparé à la perfection leurs rendez-vous. C’est aussi l’occasion pour eux de se libérer du temps pour appréhender ou se perfectionner dans des techniques de vente qui ont émergé ces derniers mois, confine­ment oblige. "Les vendeurs ne sont pas encore près de vendre à distance. Pour preuve, le système de visio lancé pendant le confinement ne génère que trop peu de demandes, mais précisé­ment parce que les vendeurs sont tou­jours en phase d’apprentissage et n’ont pas la maturité digitale suffisante pour proposer ce genre d’alternatives aux clients", observe David Descottes.

 

Les métiers des cellules marketing s’en trouvent également bouleversés. Dans certains groupes, un respon­sable marketing peut, en effet, passer la moitié de son temps à tenter de centraliser les leads et à vérifier que les vendeurs ont bien fait leur travail de relance. "L’industrialisation de cette tâche permet de réduire le temps consacré et, in fine, d’asseoir une meil­leure productivité", fait remarquer Éric Legrand. Cette évolution du par­cours client conduira inexorablement à une hypersegmentation du travail dans les concessions. Pour preuve, la naissance chez plusieurs marques d’experts de l’accueil ou des produits, depuis plusieurs années. Mais même si le nombre de visites dans les concessions baisse d’année en année, au final, la grande majorité des clients continuera à se déplacer, ne serait‑ce que pour finaliser l’achat ou pour se rassurer en voyant le modèle, car n’oublions pas que l’automobile reste le deuxième poste de dépenses des ménages en France.

Avec Alice Thuot


 

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