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Constructeurs

Wolfgang Schneider, vice-président de Ford Europe chargé des affaires juridiques, environnementales et gouvernementales

Publié le 9 octobre 2009

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
"Notre credo, c'est la mobilité durable à un prix bas et non pas à tout prix"Maîtrisant parfaitement les rouages du lobbying et les différentes politiques...
...énergétiques des Etats, Wolfgang Schneider nous livre un éclairage sans scories des enjeux environnementaux proposés à l'automobile et à Ford.

Journal de l'Automobile. Au premier chef, pouvez-vous nous préciser le périmètre exact de votre action, puisqu'on imagine aisément que vous travaillez aussi beaucoup en amont ?
Wolfgang Schneider. Je m'occupe avant tout de l'univers des règlements, du droit et des lois et ce dès le début. Ce qui signifie que je passe beaucoup de temps à l'extérieur, avec les gouvernements, principalement en France, en Espagne, en Allemagne et en Angleterre, mais aussi, bien entendu, à Bruxelles et à Washington. Je travaille aussi en lien avec des ONG spécialisées dans les domaines de l'environnement et de la sécurité. En somme, c'est un vaste travail de lobbying. Ma principale mission consiste à bien comprendre le monde extérieur et à l'intégrer dans celui de Ford, afin que notre business-plan n'en soit pas déconnecté. Par ailleurs, il est aussi de mon ressort de faire comprendre le monde de l'entreprise, avec ses contraintes financières et commerciales, aux dirigeants politiques. L'objectif étant de parvenir au final aux meilleurs compromis possibles.

JA. On entend souvent dire que l'un des principaux problèmes est le manque d'harmonisation des règlements : que peut-on attendre dans ce domaine et quels obstacles restent à lever pour les constructeurs comme Ford, par essence mondiaux et investis sur une multitude de marchés ?
WS. C'est effectivement une problématique très intéressante. Notre but a toujours été l'harmonisation des règlements sur la chaîne globale. Mais c'est beaucoup plus difficile que cela en a l'air de prime abord… Par exemple, le CO2 était encore presque marginal aux Etats-Unis il y a encore peu de temps, alors que les émissions traditionnelles, de type Nox, étaient au cœur des préoccupations. Et en Europe, c'était l'inverse ou presque… Ces différences sont très prégnantes dans le domaine environnemental. On les retrouve avec moins d'acuité dans le domaine de la sécurité où une harmonisation globale est en train de se construire, lentement certes. Dans ce secteur, nous avons mené un fort lobbying et dans le cadre des Nations Unies, Working Party 29 s'attèle justement à favoriser l'harmonisation des standards globaux de la sécurité des véhicules. Trois domaines ont ainsi été harmonisés, ce qui est un bon début. Il ne faut pas perdre de vue que cela engendre une réduction des coûts qui est ensuite répercutable sur le consommateur. Pour les enjeux environnementaux et les émissions, c'est beaucoup plus complexe. D'ailleurs, au sein même de l'Europe, il y a de grosses différences selon les pays…

JA. Pourquoi est-ce si difficile sur la question environnementale et n'est-ce pas contre-productif d'une certaine manière ?
WS. Comme vous le voyez sur le Salon de Francfort, il y a beaucoup de technologies différentes : solutions conventionnelles optimisées, électricité, hybridation, gaz naturel, bio-fuels, pile à combustible etc… Et chaque constructeur d'envergure est en quelque sorte forcé d'avoir un portfolio présentant toutes ces technologies puisque personne ne sait ce qui va s'imposer à la fin. Il y a là un manque évident de directive de la Commission de Bruxelles comme de certains Etats forts. Cela s'explique bien sûr par le fait que les différentes nations ont des priorités et des intérêts différents en terme de politique énergétique. Mais au final, les constructeurs dépensent beaucoup d'argent pour proposer une palette de solutions aussi variées et concrètement, il y a une perte d'efficacité. Si on concentrait les efforts sur une ou deux technologies, cela permettrait d'aller plus vite et de proposer aux clients de nouvelles solutions à des tarifs plus bas.

JA. A propos de Bruxelles, les constructeurs estiment souvent que les seuils d'émissions imposés sont trop exigeants. Partagez-vous cet avis ?
WS. C'est plus complexe que cela à dire vrai. A votre question, on peut répondre : "Pas forcément". Mais le problème est qu'en parallèle, on veut tout en même temps. Des réductions d'émissions de CO2 considérables sont demandées, des réductions d'émissions traditionnelles aussi et des avancées en terme de systèmes de sécurité sont aussi exigées alors qu'on sait que ces dernières augmentent la masse des véhicules ce qui rend les premiers objectifs plus difficiles… Bref, je vous le disais, on veut tout en même temps. C'est déjà difficile en temps normal, mais en période de crise, quand nos ressources sont moindres… Il serait souhaitable d'avoir une feuille de route claire et cohérente établissant des priorités. Nous avions essayé de l'obtenir avec Cars 21 mais cela a échoué in fine. C'est dommageable, surtout que Bruxelles n'arbitre pas entre les priorités de chaque pays, le véhicule électrique en est un bon exemple. Heureusement, les sensibilités entre l'Europe et les Etats-Unis tendent à se rapprocher.

JA. C'est-à-dire ?
WS. On constate les premières convergences entre les règlements américain et européen. Par rapport à ce que je disais tout à l'heure, nous voyons ainsi que le CO2 prend de l'importance aux USA. En arrière-plan, il y a une même volonté de s'émanciper de la dépendance au pétrole. Cette tendance nous aide, toujours selon l'idée-force qu'une technologie, une fois, pour tout le monde, nous permet de dégager d'importantes économies.

JA. Pour en venir au portfolio de solutions technologiques de Ford, quelles sont celles que vous privilégiez et pour quel calendrier d'applications ?
WS. Le but ultime, c'est bien sûr "zéro émission", mais il faut être honnête et on sait que cela prendra du temps. Contrairement à ce que disent certains, pour toute la flotte, cela nous renvoie au-delà de 2050. Cette mise au clair effectuée, on peut se pencher sur les pistes de travail actuelles. Tout d'abord, nous sommes aujourd'hui dans la dernière phase de développement des technologies conventionnelles, qui ont encore un potentiel non négligeable via leur optimisation. A l'horizon se profile une phase électrique, voire fuel-cell, ou centrée sur les bio-fuels selon les régions. Entre les deux, on trouve un espace de transition avec les hybrides. En terme de calendrier, nous pensons que les technologies conventionnelles dureront jusqu'à 2050 environ, d'autant que les ressources pétrolières à un prix abordable sont assurées jusqu'à cette date. Ce sera la solution pour le plus grand nombre. Cependant, nous allons bien sûr introduire de nouvelles solutions et très rapidement : la micro-hybridation dès cette année et ensuite des véhicules hybrides. Pas pour les modèles de type Ka ou Fiesta où les techniques conventionnelles diesel font merveille, mais sur des véhicules un peu plus grands. Je sais que PSA n'est pas d'accord, mais j'estime qu'il faut bien penser au surcoût que le client est capable d'accepter pour 4 ou 5 g de CO2. Enfin, viendront les véhicules électriques ou fuel-cell.

JA. A quelle date planifiez-vous l'introduction des véhicules électriques ?
WS. Contrairement à d'autres, nous n'avons pas de date fixe à asséner. On maîtrise la technologie, comme en témoigne le Ford Connect électrique. Il y a d'ailleurs une pertinence évidente de cette technologie pour les VUL. Pour les VP, nous menons des tests avancés avec la Focus et la Focus électrique sera introduite sur le marché américain en 2011. Peut-être que l'Europe suivra dans la foulée, mais nous n'avons pas encore définitivement statué. Tout ça pour mettre en avant que nous travaillons sur la mobilité électrique avec sérieux, mais aussi avec prosaïsme. Nous commercialiserons cette technologie si c'est faisable ! Or, il y a encore beaucoup de problèmes à résoudre, sous l'angle des coûts notamment, ce qui n'est pas rien. J'entends beaucoup de chiffres ici ou là, mais selon nos études, il y aura très peu de véhicules électriques vendus en Europe d'ici 2020, sur la base moyenne d'un marché annuel à 17 millions d'unités. En 2020, avec le seuil de 95 g de CO2, la donne changera, mais avant… Bref, nous restons prudents.

JA. Vous évoquiez le coût des véhicules électriques, est-ce le principal obstacle à lever ?
WS. Le coût est deux fois supérieur pour un véhicule ! C'est considérable. De plus, l'impact sur l'environnement est à étudier sereinement pour ne pas faire payer le consommateur pour un simple transfert des émissions de la voiture à un autre endroit. Il faut que l'électricité soit verte. Or si la France est un cas à part, ce qui explique notamment l'engagement des constructeurs français, nous ne négligeons pas les autres pays où la donne est bien différente.

JA. Vous avez un discours très honnête et très transparent : comment vous prémunir contre des reproches sur un manque d'engagement sur la problématique environnementale ?
WS. Notre credo, c'est la mobilité durable à un prix bas. Pour d'autres, c'est la mobilité durable à tout prix. Il s'agit d'une différence fondamentale. Pour nous, le prix proposé au consommateur reste primordial. Nous avons une clientèle de masse, très large, qui n'a pas forcément beaucoup d'argent à dépenser et il faut lui proposer des solutions accessibles. ACCESSIBLES. De surcroît, l'efficacité environnementale tient aussi beaucoup au nombre et donc, proposer des solutions d'élite très chères mais réduites en volume n'est pas forcément pertinent.

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