Taïwan électrique
Sur la “Belle Île”, comme l’ont dénommée les navigateurs portugais au 16e siècle, il règne une atmosphère d’effervescence. Jour et nuit, Taïpei, la capitale de Taïwan, s’agite dans un ballet de voitures aux logos des marques les plus prestigieuses, de taxis jaunes – pour la plupart des Toyota, adoptés en masse pour leur rapport prix-fiabilité – et de scooters vétustes sur lesquels on n’est pas surpris de voir circuler des familles entières. Les buildings démesurés appartenant aux fabricants d’électronique grand public et les marchés nocturnes traditionnels cohabitent dans tous les quartiers. Sans conteste, la capitale affiche ses contrastes. Une terre au centre de laquelle s’est érigé Taïpei 101, le quatrième bâtiment habité le plus haut du monde. Si son record de 509,2 m, établi en 2004, a depuis été battu, la tour n’en reste pas moins un modèle de modernité, mieux encore, un symbole planétaire de l’entrée de Taïwan dans le 21e siècle, de prospérité avec ses commerces de luxe à sa base et de volonté de relever les défis environnementaux. La tour a en effet reçu la certification LEED Platinum (Leadership in Energy and Environmental Design), le plus grand prix du système de standardisation, faisant d’elle la plus grande éco-construction du monde.
Mais ce message écologique a encore du mal à trouver un écho au sein de la population de l’île. Les chiffres des immatriculations en attestent, avec une faible proportion de véhicules dits vert parmi les 370 000 VN annuels (2013). Et ce n’est pas faute d’avoir créé un contexte favorable. Depuis 2011, le gouvernement taïwanais a mis en place un programme d’incitation fiscale, sous la forme d’un abattement de 50 % des taxes à l’achat puis de facilités diverses, telle la gratuité du stationnement.
D’un montant de 46 milliards de nouveaux dollars taïwanais (soit environ 1,2 milliard d’euros), ce programme étalé sur six années a concerné dans un premier temps les véhicules particuliers et les deux-roues. Le bilan de l’investissement, est pour l’instant, peu glorieux puisque, selon les industriels concernés, il ne circule que 3 000 VP électriques sur un total de près de 8 millions de véhicules. Le coût d’acquisition a été un frein évident. En moyenne, un véhicule thermique se monnaie sur l’île l’équivalent d’un peu plus de 20 000 euros. Pour une alternative VE, il faut compter presque le quadruple, toujours d’après les estimations.
En tout et pour tout, ce sont environ 6 000 VE qui circulent à Taïwan, si l’on intègre les deux-roues au recensement. Un volume bien loin des ambitions. Pourtant, le plan des autorités prévoit toujours 24 000 unités en circulation à l’horizon 2016. Comme partout ailleurs dans le monde, un délai est donc à prévoir.
Accent sur le transport en commun
Un revirement va donc s’opérer. Durant les trois prochaines années, les solutions de transports en commun se verront alors les bénéficiaires des subventions. “Le gouvernement a révisé sa position, et donc sa priorité”, observe un industriel local, spécialiste des batteries. Un seul trajet en bus dans Taïpei suffit pour convaincre de l’urgence de transformer le parc. A ce jour, une cinquantaine de bus électriques circulent, dont 40 rechargeables et 10 utilisant le “swapping system” (remplacement du pack de batterie vide), et commande a été prise. Ce qui provoque à ce titre une course aux signatures, aux partenariats et aux investissements de la part des fournisseurs.
Dans le pays, les institutions représentent les premières consommatrices de produits “verts”, nous confirment les constructeurs, selon une logique de stratégie de promotion par la mise à la route. Les services publics participent de l’engagement.
Mais comme partout ailleurs dans le monde, l’essor du véhicule électrique à Taïwan est un problème à rallonge. Avec une superficie de 35 980 km2 (soit 17 fois plus petite que la France), l’autonomie sur l’île reste une donnée à prendre en considération. Des efforts ont été réalisés et près de 480 stations de rechargement ont été installées. Un maillage qui, en proportion, est relativement fort par rapport au parc roulant, avec une station pour environ 6,25 véhicules particuliers. Les prochaines évolutions législatives en faveur du microgrid, soit une facilité pour les bâtiments et infrastructures privés de s’équiper de solutions, pourraient concourir au déploiement, comme on l’espère chez Yulon Energy Service. Autrement, chez Fortune Electric, fournisseur de station de recharge et d’applications de gestion, on mise sur le plan du gouvernement qui vise à standardiser les technologies des bornes avec une poignée d’acteurs.
Les entrepreneurs taïwanais font face à de multiples défis. Tout d’abord, la nécessité de muter. Le modèle doit passer d’une industrie de produit à une de service. On observe que beaucoup d’entre eux enrichissent leurs portefeuilles pour délivrer des prestations verticales. Il y a néanmoins du retard. Taïwan, par exemple, ne croit pas encore dans les programmes d’autopartage et seul un projet de navette électrique, mené par la National Taïpei University of Technology et auquel BMW veut participer, présente de l’avenir.
EV Taïwan, le catalyseur ?
Pourtant, Taïwan n’a pas attendu 2011 pour évoquer le cas du VE. Un salon baptisé “EV Taïwan”, que l’on doit à la société Taitra, spécialisée dans l’organisation d’événementiels, avait été lancé en 2007. “De l’avis de tous, l’électrification du véhicule est la solution du futur. Nous avons observé que les grands pays industriels avaient un salon EV, nous ne pouvions pas laisser Taïwan sans possibilité de présenter ses solutions dans le domaine”, explique la chargée des relations publiques du salon EV Taïwan. Du 8 au 11 avril 2015 se tiendra alors la 5e édition, dans le World Trade Center de Taïpei, situé à proximité de la tour Taïpei 101.
Au printemps 2014, l’événement a rencontré le succès en attirant 50 868 visiteurs. Pour être précis, il s’agit en fait d’une concentration de plusieurs salons, tous dédiés à l’automobile, dont un traite de l’après-vente (Ampa). EV Taïwan se positionne comme un lieu de mise en relation entre des industriels. Raison pour laquelle des entreprises japonaises, chinoises, hongkongaises, notamment, acquièrent des espaces d’exposition. Au programme, elles retrouveront une vingtaine de conférences et des sessions de mises en relation individuelles. A ce titre, un portail Internet permet de soumettre des demandes de rendez-vous professionnels, que Taitra se charge de traiter.
En ligne avec sa politique, le gouvernement devrait prendre la parole pour l’occasion, avant de laisser place au concours d’innovations. Toutes les entreprises de tous les secteurs sont mises en compétition et seules trois d’entre elles monteront sur le podium. En rendant visite à quelques-uns des futurs exposants, il est aisé de voir qu’il y a de la matière grise sur la Belle Île. Mais, au-delà de la mise en avant des idées ingénieuses, il est une question presque vitale pour elle : trouver de nouveaux partenaires d’affaires à l’export. C’est l’autre grand défi car, sur le long terme, le marché local se révélera trop petit pour une cohabitation entre tous les prétendants. La Chine, géant voisin, mais aussi l’Europe et ses standards de référence, sont autant de canaux de salut, à en croire les différentes stratégies menées. Comme la mentalité des Taïwanais, les négociations sont ouvertes, avec toujours cette éternelle humilité. Ils ont à cœur d’apprendre avant de se lancer. A l’image de certains d’entre eux, tel Kuan Mei, qui va lancer deux scooters électriques en Italie et en France (objectif de 500 unités dans chacun des pays, N.D.L.R.). Il en ressort parfois une méconnaissance des marchés visés, compensée par une réactivité face aux commentaires.
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FOCUS
Le “swapping” de batteries à l’étude
De l’avis de tous, fabricants de bornes, fournisseurs de batteries et constructeurs automobiles, la technologie du rechargement sans contact, dit par induction, n’est pas à l’ordre du jour à Taïwan. Pas même à l’étude. En revanche, la méthode du “swapping”, soit le remplacement des batteries vides, fait débat. Certains y croient. Pour l’heure, elle concerne en grande majorité les utilitaires. Sur ces véhicules, la procédure prend environ dix minutes, tandis que les accumulateurs sont rechargés en deux heures environ. Quelques scooters utilisent aussi ce principe. Une dynamique qui a poussé le constructeur automobile LexGen Motor à se pencher sur la question. “Nous pourrions commercialiser une version spécifique sur notre prochain monospace électrique”, révèle un porte-parole, sans donner plus de détails. D’après un fournisseur, il faut débourser près de 264 000 euros pour s’équiper d’une station de recharge.
Culture pub
Taïwan a quelque chose de très anglo-saxon : chaque surface est un support publicitaire potentiel. Exemples frappant de cette philosophie, des films sont diffusés sur les écrans des machines qui vendent les jetons de métro. Sur cette base et pour financer le système, des entreprises comme Fortune Electric ont développé des stations de recharge intégrant des écrans qui servent à gérer la commande mais qui, en veille, diffusent de la publicité. Un modèle économique qui participe à supporter le coût de fonctionnement. Une vision qui lui a en outre ouvert les portes de certaines villes aux Etats-Unis.
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