Louis-Carl Vignon, Ford France : "Nous n'avons pas voulu nous lancer dans la grande braderie"
JA. Avez-vous pu juger de l'efficacité de vos mesures de soutien au réseau ?
L-C.V. Elles ont été plutôt bien accueillies. Nous avons eu une approche la plus large possible en allant du commerce VN, bien sûr, à l'après-vente, sans oublier les clients. Pour notre réseau, nos actions étaient centrées sur la préservation de leur trésorerie avec de nombreux reports de charges. Nous avons également suspendu les approvisionnements mais aussi payé les primes du premier trimestre et même en avril et mai pour certaines d'entre elles, notamment sur la qualité. Cette volonté de sécurisation a également concerné notre réseau d'agents. Notre soutien s'est aussi porté vers nos clients, aussi bien particuliers que flottes, qui ont eu la possibilité de suspendre trois mois de loyer.
JA. Depuis le 11 mai, l'ensemble des points de vente sont rouverts. Quels sont les premiers retours ?
L-C.V. La reprise se fait crescendo. Dans l'après-vente, après avoir vu 95 % des ateliers fermés la première semaine du confinement, bien que des interventions urgentes restaient possibles, les ateliers ont petit à petit rouvert leurs portes. Ainsi, ils étaient 50 % le 27 avril dernier, 70 % le 4 mai et depuis le 11 mai la totalité est ouverte. Les équipes ne sont pas encore au complet mais cela devrait être le cas dès la semaine prochaine. Même l'activité des carrosseries redémarre bien. Selon une récente étude du Gipa, l'après-vente aurait baissé de 15 % mais finalement la baisse ne pourrait être que de 5 % sur l'ensemble de l'année. Compte tenu du redémarrage, je juge cette baisse de 5 % crédible.
JA. Qu'en est-il du commerce VN ?
L-C.V. Pendant le confinement les prises de commandes et l'activité VN étaient globalement très faibles avec une chute de plus de 80 %. Depuis le 11 mai, le rythme de la reprise dépasse nos attentes, même si nous sommes encore loin de notre rythme normal. Toutefois l'accélération est là et nous finalisons, par exemple, des ventes dont le processus d'achat avait commencé avant la crise. Nous avons environ deux mois d'activité en portefeuille.
JA. Quel est l'impact de cette crise sur votre façon de travailler ?
L-C.V. La nature de nos contacts avec les clients a quelque peu changé pendant la crise. Durant le confinement, l'essor du digital a été spectaculaire et nous avons enchaîné les records de connexion sur notre webstore. Concrètement cela se traduit aujourd'hui, grâce aux leads, par de nombreuses prises de rendez-vous dans nos showrooms. Cette poussée du digital nous oblige à repenser des choses comme par exemple l'utilisation de la vidéo entre les vendeurs et les clients. Un outil vidéo que nous utilisons déjà en après-vente d'ailleurs. Nous avons également beaucoup travaillé sur le "sans contact" aussi bien pour les réparations qu'à la vente avec notamment la livraison sans contact rendue possible par notre application FordPass. La mise en main des véhicules s'est également digitalisée. Nous voulons vraiment que nos clients, en venant chez Ford et quelle que soit leur demande, aient l'esprit libre. Qu'ils n'aient aucune crainte.
JA. Comment imaginez-vous l'activité pour le reste de l'année 2020 ?
L-C.V. Le niveau d'activité dans les mois à venir est difficile à modéliser. Nous regardons comment cela se passe dans certains pays qui ont un peu d'avance sur nous comme l'Allemagne ou l'Italie. Mais dans tous les cas de figures, quel que soit le niveau d'activité retrouvé dans les mois à venir, il sera moins soutenu que l'année dernière. Il ne faut pas oublier qu'à la crise sanitaire, va sans doute s'ajouter une crise économique. Les prévisions de 1,6 million d'immatriculations VP pour le marché français, contre 2 millions estimés en début d'année, peuvent en témoigner. Cependant, comme toujours dans les périodes de crises, il y aura des opportunités. A nous de les saisir.
JA. Pour cette période de reprise, votre réseau vous reproche un manque d'agressivité commerciale. Comment jugez-vous cela ?
L-C.V. Alors nous ne sommes peut-être pas les mieux-disants, mais nous avons innové avec des offres proposant 3 mois de loyer offerts et 3 mois de report. Je considère que nous sommes dans le marché et répondons au besoin de sécurité des clients. Nous n'avons pas voulu nous lancer dans la grande braderie. Nous ne voulons pas être perçue comme une marque qui solde ses produits. C'est une vision court-termiste. Ce n'est pas viable ni pour nous ni pour les concessionnaires. La différence se fera sur la satisfaction des clients. Nous devons aussi nous appuyer sur notre cycle produits très fort cette année, avec notamment les nouveaux Puma, Kuga mais aussi les versions électrifiées des Fiesta et Focus qui arrivent cet été.
JA. L'année 2020 est effectivement très riche pour Ford, comment imaginez-vous donc votre performance sur l'ensemble de l'exercice ?
L-C.V. En 2019, avec 78 838 VP (-4,6 %) et 32 782 VUL (+3 %), nous avons totalisé 111 620 immatriculations en France. Naturellement, avec un marché VP attendu en baisse de 29 %, nous ne pourrons pas atteindre le volume passé. La problématique est identique avec le VUL où la baisse pour l'exercice 2020 est estimée, pour l'heure, à -24 %. Dans ce contexte difficile, nous voulons gagner des parts de marché grâce à nos nouveaux produits qui arrivent tout au long de l'année. Dans l'univers VP, nous voulons faire mieux que notre part 2019 de 3,8 % sur le canal des particuliers et bien mieux que 3,2 % sur le canal des flottes.
JA. Quel pourrait-être l'impact de cet exercice sur la rentabilité du réseau ?
L-C.V. Après avoir gagné trois dixièmes l'an passé, nous étions sur la bonne trajectoire. Certes, il y aura un impact mais la baisse des volumes sera en partie compensée par la hausse de la valeur de nos véhicules. Les marges unitaires seront plus importantes aussi bien pour les VP que pour les VUL. Nous travaillons avec le réseau pour la meilleure estimation de l’impact. Ce sont des prévisions et il est certain que cela dépendra aussi de l'intensité de la reprise.
JA. Qu'en est-il de votre niveau de stock ?
L-C.V. Il atteint environ 11 000 unités. Compte tenu de la période, on peut dire qu'il est un peu plus haut que la normale mais cela reste tout à fait gérable. D'autant que même si les usines européennes de Ford ont repris la production, elles ne fabriquent que les modèles déjà commandés. Nous ne créons donc pas de stock supplémentaire.
JA. Plus généralement, quels enseignements tirez-vous de la période que nous venons de traverser ? La distribution en sortira-t-elle profondément changée ?
L-C.V. Bien que le digital soit déjà présent depuis longtemps, il a pris durant ces quelques semaines une place qui semble ancrée. La vidéo sera d'ailleurs un de nos axes de travail, dans 100 % du réseau, aussi bien dans le VN que dans le VO et à l'après-vente. Car les clients se sont aussi familiarisés avec cela pendant le confinement. L'amont du processus d'achat va durablement changer. La vente en ligne progressera sans doute dans les années à venir mais les réseaux ne sont pas encore prêts à disparaître et resteront la place forte du commerce, là où se construira aussi une relation forte avec les clients. Je le répète, la différence se fera sur le traitement et la satisfaction des clients.
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