"La Russie offre des opportunités plus concrètes et plus proches que la Chine"
JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Le Kangoo Z.E. a déjà raflé trois récompenses, dont celle du “Van of the Year 2012”. Votre prise de fonction est plutôt réussie ?
Jean-Marie Hurtiger. Le jury du “Van of the year” a été impressionné par le Kangoo Z.E., qui est véritablement un produit abouti, mais plus encore par la visite de l’usine de Maubeuge, où il a pu constater que le véhicule n’était plus au stade de l’exploration, mais bel et bien à celui de la production industrielle. Il en va de même pour le réseau qui a été formé et équipé pour gérer des volumes importants.
JA. Justement, quelles sont vos attentes en termes de volumes ?
J-MH. Nous serons sur une centaine d’unités en 2011 et, ensuite, les ventes augmenteront progressivement. Nous avons annoncé une capacité de production de 40 000 unités par an, ce qui ne présage rien de nos volumes, mais qui démontre toutefois notre ambition ; 80 % des volumes du Kangoo Z.E. devraient se concrétiser au sein des grands comptes et 20 % auprès des artisans, des municipalités et des flottes de proximité. Le véhicule a été lancé en France, en Espagne, en Allemagne, en Hollande, et sera déployé dans le reste de l’Europe en 2012. Nous remarquons d’ailleurs que beaucoup de petites flottes ont été séduites par le produit en Allemagne et en Hollande. C’est très important.
JA. Ce véhicule marque-t-il un tournant pour l’activité Utilitaire de Renault ?
J-MH. Il s’agit d’un changement dans la continuité. La division Utilitaire a toujours été un département particulièrement fort dans la stratégie de Renault. Par ses volumes, environ 400 000 unités étant commercialisées chaque année dans le monde, et par sa contribution aux résultats du groupe. L’activité Utilitaire génère un cash-flow régulier qui permet de financer les projets. Logiquement, le VUL accompagne la stratégie de Renault à l’international.
JA. Le succès du Kangoo Z.E. dépendra-t-il plus des mentalités ou des politiques menées dans les différents pays ?
J-MH. En France, les incitations fiscales nous permettent de communiquer sur un tarif comparable au Diesel, après les aides. Cela facilite, certes, la décision d’achat, mais il ne s’agit pas de l’unique critère de choix. Les entreprises sont volontaires, intéressées par le véhicule électrique, et conscientes, en particulier dans les pays du Nord, des contraintes et des risques futurs qui pèsent sur le véhicule thermique. La pression environnementale va augmenter et il sera de plus en plus difficile de circuler en thermique en ville. Les sociétés sont aussi davantage soucieuses de posséder un véhicule qui réponde à leurs attentes, qui soit fiable et facile à recharger.
JA. Le passage de l’Euro 4 à l’Euro 5 a-t-il accentué la politique de remise et la guerre commerciale entre les marques ?
J-MH. Il est toujours difficile de faire passer les surcoûts associés aux évolutions de normes dans les prix clients, mais je pense que cette transition a été assurée sans accroc et que le niveau de remise est resté stable sur l’utilitaire. En 2011 comme en 2010, je ne crois pas avoir assisté à une guerre des prix sur la vente de VUL.
JA. Quelle analyse faites-vous du marché de l’utilitaire en 2011 ? Vos résultats sont-ils en ligne avec vos attentes ?
J-MH. En France, le niveau de commandes s’est légèrement effrité, mais sans pour autant être dramatique. Le Kangoo, le Trafic et le Master affichent des résultats en progression. Globalement, en Europe comme en France, nous sommes dans nos objectifs en termes de ventes et de résultats. Les pays du Sud de l’Europe, en particulier l’Espagne, ont souffert, mais les baisses observées sur ces marchés ont été compensées par des demandes plus fortes en Allemagne ou au Benelux. Nous considérons 2011 comme une bonne année. Le Master marche bien puisque, à fin septembre, nous avions augmenté notre pénétration de 2,7 % en Europe et de 3,1 % en France. Nous allons rester la première marque en Europe cette année avec une part de marché de 15,5 %, en baisse de 0,4 point par rapport à 2010 à cause de problèmes de livraisons, liés au tsunami japonais, sur les Clio et les Mégane Société. Cela nous a pénalisés sur le second semestre et nous n’avons pas réussi à rattraper sur l’année ces unités perdues sur les véhicules Société.
JA. On a le sentiment que la différence se fait de moins en moins sur les produits. Sur quels critères Renault entend-il asseoir sa domination en Europe ?
J-MH. Certes, nous partageons certains de nos produits avec Opel et Nissan, mais je ne crois pas que ce soit tout à fait exact d’affirmer cela car le segment de l’utilitaire reste très compétitif, avec une clientèle qui achète de façon rationnelle. Dès lors, les performances et les caractéristiques techniques du produit restent importantes. L’une des forces de Renault repose sur son adaptabilité, la flexibilité de son système industriel et sa capacité à répondre aux demandes des carrossiers pour faire des véhicules spécialisés. Ainsi, 30 % de nos volumes sont des véhicules transformés. Nous avons plus de 250 agréments avec des carrossiers en Europe, ce qui nous permet d’offrir une même diversité de transformation en Pologne, en Turquie ou au Maghreb. L’autre grande force est notre réseau spécialisé Pro+ qui permet de mieux répondre aux attentes de nos clients. Nous avons plus de 250 points en Europe et nous sommes fixé un objectif de 300 centres Pro+ en mars 2012 et 400 en fin d’année prochaine. Le réseau entame actuellement son déploiement en Amérique latine, dans la zone Euromed et en Ukraine.
JA. Le prochain Trafic sera produit à Sandouville. Quelles sont les échéances ? D’autres modèles seront-ils fabriqués dans l’usine normande ?
J-MH. La production débutera fin 2013 et le lancement commercial se fera probablement début 2014. Une partie de la production de l’Opel Vivaro se fera à Sandouville et une autre partie à Luton. Quant à Nissan, nous sommes toujours en discussion avec eux sur ce sujet.
JA. Les collaborations industrielles représentent pour Renault un intérêt sur les plans financier et social, mais n’est-ce pas préjudiciable au niveau concurrentiel ?
J-MH. La logique économique est très simple : les tickets d’entrée de développement des nouveaux véhicules sont de plus en plus élevés car nos produits sont plus riches sur le plan technique, pour répondre au renforcement des normes de sécurité, au niveau des motorisations avec l’arrivée de l’Euro 6… Ce partage des tickets d’entrée est d’autant plus naturel sur le VUL où les volumes unitaires sont plus faibles que sur le VP. Cette pratique du partenariat est donc une constante que l’on retrouve chez tous les acteurs. Nous avons eu une opportunité avec Mercedes-Benz qui a surgi des discussions que nous menions alors avec Daimler sur d’autres projets. Il s’agira du premier véhicule Renault commercialisé sous la marque Mercedes-Benz. D’autres suivront. C’est une bonne opportunité pour Renault de mieux engager l’usine de Maubeuge. C’est également très motivant et une belle marque de confiance que Daimler ait retenu notre produit. Généralement, un bon produit se renforce lorsqu’il est commercialisé par différentes marques.
Sur le plan concurrentiel, c’est un risque à prendre, mais qui est mesuré. Car nous ne sommes pas nécessairement sur les mêmes marchés et ne touchons pas la même clientèle. Il y aura forcément un peu de cannibalisme, mais lorsque nous envisageons ce genre de projet commun, nous nous assurons en amont qu’il restera limité et qu’au final, chaque partie sera gagnante.
JA. Comment se positionne Renault aujourd’hui sur les pays émergents ? La gamme actuelle est-elle adaptée à ces marchés ?
J-MH. Nous savons que la croissance de nos volumes dans le futur viendra des pays émergents plus que de l’Europe. Aujourd’hui, 22 % de nos volumes en utilitaires sont réalisés sur les nouveaux marchés que sont l’Euromed, le Maghreb, la Turquie ainsi que l’Amérique latine. Nous avons aussi des perspectives de croissance en Russie.
En Asie, il y a un gros marché de petits utilitaires bas de gamme et très bon marché fabriqués par des producteurs locaux. Il est évident que nos véhicules sont beaucoup trop évolués pour prétendre rivaliser en prix face à ces produits. En revanche, il y a probablement une place pour des utilitaires d’entrée de gamme qui offrent une meilleure fiabilité et durabilité. Renault a démontré, via Dacia, qu’il pouvait être très performant dans ce domaine. Nous devons continuer à étudier la possibilité de localiser nos produits existants tout en trouvant un équilibre entre les investissements et les volumes.
JA. Lequel de ces marchés représente le plus fort potentiel pour Renault à court terme ?
J-MH. Si nous regardons notre positionnement actuel, nous avons déjà un très gros projet en Russie avec Nissan. Sur un plan pratique, ce marché offre probablement des opportunités plus concrètes et plus proches que la Chine.
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