Julien Bessière, Skoda : "La marque a su devenir compétitive tout en préservant une valeur résiduelle solide"
Le Journal de l’Automobile : Quelle est votre analyse du marché français en 2024 ?
Julien Bessière : Nous n’avons pas été totalement surpris par le marché tricolore. Il a fini à 1 718 000 immatriculations, nous tablions sur 1 750 000… C’est un peu plus bas que prévu, mais plutôt en ligne avec nos attentes. Je retiens néanmoins que nous avons été fortement challengés dans notre manière de piloter notre offre commerciale au gré des valses hésitations des décrets et dispositions fiscales.
Mais 2024, c’est surtout l’année du retour à la normale sur notre production. Les délais de livraison se sont normalisés. Ce qui nous interpelle, en revanche, c’est l’environnement macroéconomique qui reste fortement anxiogène pour les consommateurs et les entreprises et cela va peser sur les arbitrages d’achat.
C’est pourquoi nous estimons que le marché pourrait rester stable dans les prochaines années et aller jusqu’à 1,8 million de voitures par an en France. Nous devons apprendre à vivre avec cette nouvelle donne.
J.A. : La marque Skoda s’en est bien sortie en 2024…
J.B. : Nous n’avons lancé pas moins de cinq nouveautés en 2024, avec les rafraîchissements des Scala, Kamiq et Octavia et les nouvelles générations de Superb et de Kodiaq. Nous savions que nous allions croître. Mais dans les conditions de marché que je viens de décrire, c’est une vraie prouesse. Nous avons vendu plus de 45 600 unités. Et nous sommes très satisfaits de notre résultat sur les PHEV, avec notre nouvelle génération de modèles iV, et de notre performance électrique avec l’Enyaq en progression de 46 %.
J.A. : Pour tirer son épingle du jeu en 2024, fallait-il obligatoirement être agressif sur les prix ?
J.B. : Je ne dirais pas que nous avons été agressifs, nous avons été compétitifs. Et cela a été permis entre autres par le retour à la normale de nos capacités de production. La condition était de repartir sur des bases saines sur nos canaux de distribution. C’est à ces deux conditions que nous avons pu nous positionner sur des loyers compétitifs.
Mais nous nous sommes également appuyés sur notre profondeur de gamme et sa disponibilité en diverses motorisations que ce soit sur du PHEV, du thermique, même du diesel ou du 100 % électrique. La force de Skoda, c’est la robustesse de sa valeur résiduelle qui a été un levier très puissant pour préserver un loyer très compétitif.
J.A. : D’autres marques ont souffert en 2024 d’un marché VO qui paye sur le buy back les années de pénurie…
J.B. : Nous avons la chance chez Skoda d’avoir un marché VO solide. Et notre réseau n’en a pas souffert puisque nous nous adossons à une captive puissante, Skoda Bank, qui dépend de Volkswagen Financial Services. Notre captive sécurise les buy back et nous nous appuyons sur un sourcing de taille européenne. Notre vision, c’est que nous avons encore de la marge de progression en Europe et plus encore en France où notre pénétration est très en dessous de notre moyenne européenne. Cela nous permet d’être plus offensifs mais sans sacrifier notre valeur résiduelle. D’où notre plan produits très fourni…
J.A. : Quelle est la pénétration que vous jugez juste en France ?
J.B. : Nous n’avons pas vocation à passer de 2,6 à 4 % du jour au lendemain, c’est la meilleure façon de dégrader notre valeur résiduelle. Nous irons chercher les 3 % dans un premier temps, puis je pense que la barre des 3,5 % est à portée de main pour une marque comme Skoda en France. En Europe, à titre de comparaison, nous étions en 2024 au‑dessus des 6 % et le troisième constructeur du point de vue des immatriculations.
J.A. : La valeur résiduelle est un véritable totem pour vous…
J.B. : C’est un des totems, oui. C’est essentiel. Nous ne voulons pas brader nos véhicules. Même pendant la crise sanitaire et la pénurie, nous avons préservé notre valeur résiduelle. D’autres marques ont tenté de livrer des voitures incomplètes parce que le manque de semi‑conducteurs était effectivement critique et qu’elles ne voulaient pas sacrifier leur volume. Chez Skoda, nous nous le sommes interdit. C’est aussi pour cela que le retour de VO en 2023 et en 2024 a été maîtrisé et que ce marché est resté profitable. Néanmoins, c’était une année de rééquilibrage de l’offre et de la demande et des prix. Nous repartons donc sur un marché assaini avec des bases saines.
Nous devons apprendre à vivre avec un marché français à 1,8 million d’immatriculations
J.A. : Il y a toutefois la question de la valeur résiduelle des voitures électriques qui va arriver…
J.B. : Le marché des véhicules électriques cherche encore son positionnement prix… On a de fortes incertitudes sur leur valeur résiduelle. Mais le buy‑back est pris en charge par notre captive, ce qui protège notre réseau. L’idée est de prolonger ensuite les cycles de location pour atténuer l’impact de la valeur résiduelle.
J.A. : Pour l’Enyaq, vous aviez installé le modèle d’agent en juillet dernier. Mais vous avez décidé de ne pas renouveler l’expérience avec le facelift du produit…
J.B. : Oui. Nous voulions remettre de la simplicité dans nos process et pour notre réseau. Nous restons sur le modèle d’agent pour les flottes. Nous pensons que le schéma de distribution classique est aujourd’hui le plus adapté aux clients Skoda, y compris sur la gamme électrique.
J.A. : La captive continuera-t-elle à supporter le buy back ?
J.B. : Oui, cela ne change pas. C’est le socle de notre stratégie de préservation de notre valeur résiduelle. Nous assumons cette prise de risque. Cela nous permet d’être compétitifs sur les loyers. Mais j’observe que le réseau est de plus en plus preneur des Enyaq d’occasion. C’est un bon produit bien positionné et très simple à remarketer.
J.A. : Comment s’est portée la rentabilité du réseau Skoda en 2024 ?
J.B. : Nous n’avons pas les chiffres définitifs mais nous savons qu’ils seront positifs. On sait aussi que cela a été une année plutôt difficile pour l’ensemble du marché. Même si notre marché VO s’est bien porté, les marges ont néanmoins été comprimées. Sans parler du coût de l’argent qui a pesé sur les frais fixes.
J.A. : Le modèle commercial de Skoda, cela reste tout de même son animation produits avec un gros rythme de lancements…
J.B. : C’est vrai qu’en 2024, nous avons eu la chance de commercialiser cinq nouveautés. Mais paradoxalement, la force de Skoda, ce sont ses piliers. Notre best‑seller en France, c’est la Fabia, qui finit l’année à +26 % et nous ne l’avons pas renouvelée. En Europe, l’Octavia reste loin devant tous nos autres modèles, avant même son facelift de l’an dernier. C’est un succès incroyable. Donc, oui, il y a un dynamisme de gamme, mais Skoda reste solide sur ses piliers historiques, c’est sa force.
J.A. : Le groupe Volkswagen est sous pression pour respecter les normes CAFE. Vous avez indiqué avoir comme objectif un mix de vente de 24 % de voitures électriques en 2025, c’est dix points de plus en un an. Mais vous ne disposez pas de véhicules électriques à moins de 25 000 euros pour faire du volume. Comment allez-vous faire ?
J.B. : En 2024, nous avons fait 14 % de notre mix en France avec un seul produit, l’Enyaq, un SUV familial, qui a subi des contraintes de production. C’était déjà très bien. En 2025, nous opérons un profond facelift sur ce modèle, qui a aussi un repositionnement tarifaire et nous allons commercialiser l’Elroq. On parle d’un SUV de 4,50 m à environ 29 000 euros, bonus déduit. De mon point de vue, ce n’est pas un objectif irréaliste.
Notre captive prend en charge le risque sur le buy back, cela protège notre réseau et notre valeur résiduelle
J.A. : Est‑ce que ce sera suffisant pour passer les normes CAFE ?
J.B. : Nous avons une nouvelle génération d’hybrides rechargeables extrêmement bien positionnée sur le CO2. En termes d’agrément et d’efficience, nous avons coutume de dire que c’est notre nouveau diesel. Notre objectif, c’est de faire 50 % des ventes de Superb et Kodiaq sur cette technologie.
J.A. : Allez‑vous néanmoins accentuer la pression sur le réseau en imposant des quotas de mix énergétique ou en coupant la production de modèles thermiques ?
J.B. : Nous mettons en place des incitations pour que notre réseau nous aide à atteindre nos objectifs. Il y aura, par exemple, des seuils de mix pour décrocher des bonus. Mais je suis très confiant. Il suffit de voir les prises de commande d’Elroq avant même que celui‑ci arrive en concessions.
J.A. : Sur l’image de marque, est-ce que Skoda a réussi à vaincre définitivement les préjugés sur sa perception ?
J.B. : Ce que je sais, c’est qu’aujourd’hui, lorsqu’un consommateur achète une Skoda, il adhère totalement à son univers de marque. La marque a évolué et elle défend une identité propre. Le "Simply Clever", ce ne sont pas que des mots, c’est un marqueur puissant pour notre clientèle. Skoda est dans le top 3 des meilleurs taux de fidélisation. D’ailleurs, nous continuons à faire évoluer notre univers de marque, tout en gardant notre identité. Avec l’Epiq qui doit arriver fin 2025, nous allons aller plus loin dans notre nouvelle identité de style qu’on appelle le "Modern Solid".
J.A. : Cette évolution de l’univers de marque vous l’appliquez au réseau avec un programme de rénovation lancé début 2024. Où en êtes-vous ?
J.B. : Ce programme était nécessaire pour accompagner l’évolution de la marque. C’est cohérent avec nos nouveaux produits, mais également avec les progrès significatifs des indicateurs de notoriété auprès des consommateurs. Il y a des sauts quantiques qui s’opèrent. Il fallait donc que le réseau reflète cette image. Mais l’idée n’est pas de tout raser pour tout recommencer. Nous sommes dans une démarche d’amélioration de l’existant. Il y a des investissements importants, mais pas démesurés. Nos showrooms gagnent de la luminosité et de la transparence. Il y a également beaucoup plus d’éléments digitaux. Et, bien sûr, nous avons travaillé sur leur écoresponsabilité. Nous avons lancé ce programme en février 2024 et nous devrions avoir transformé l’ensemble du réseau avant la fin de l’année. Nous sommes actuellement le pays le plus avancé d’Europe dans ce processus. C’est dire à quel point notre réseau adhère à cette démarche.
J.A. : Avez‑vous pu observer une évolution des performances des sites qui ont adopté votre nouveau programme de showrooms ?
J.B. : Dans nos enquêtes de satisfaction, la perception du showroom est clairement très supérieure dans les points de vente qui ont basculé. C’est très satisfaisant. Cela augure bien des performances de Skoda pour les années à venir.
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