Gros plan sur l’électro-mobilité
Données de cadrage
“Le Livre Vert fixe l’objectif de deux millions de véhicules électriques en France d’ici 2020”, rappelle Jean-Louis Legrand, coordinateur interministériel véhicules décarbonés, ministère de l’Ecologie, du Développement durable, des Transports et du Logement.
“Concernant les modèles économiques et les modalités d’intervention des pouvoirs publics, tout n’est pas encore tranché. Mais un budget initial significatif a été déterminé : 50 millions d’euros”, précise Jean-Louis Legrand.
“A l’horizon 2025, les ventes de véhicules électriques représenteront 6,6 % du volume mondial, ce qui représente tout de même 6 millions de véhicules”, prévoit Rémi Cornubert, Partner chez Oliver Wyman, tout en ajoutant que le marché mondial des batteries pourrait alors avoisiner les 56 milliards de $ US par an.
“Depuis les années 60, le nombre des déplacements annuels des Français est resté stable, mais les distances parcourues ont été multipliées par cinq. Ils passent en moyenne une heure par jour dans les transports, et la voiture demeure dominante, représentant à elle seule la moitié des temps de déplacement”, indique Marie-Agathe Nicoli, directrice du département Automobile de TNS Sofres, exposant les grandes lignes des conclusions de l’étude Auto-Mobilités 2010.
En termes d’intention d’achat, “33 % des personnes interrogées envisagent pour le moment d’acheter un véhicule hybride contre seulement 10 % un véhicule électrique”, ajoute Marie-Agathe Nicoli.
“Un parc de deux millions de véhicules électriques, c’est-à-dire l’objectif fixé pour 2020, représenterait 1 % de la consommation électrique de la France et si l’intégralité du parc était électrique, cette valeur passerait à 15 %”, relativise Jean-Louis Legrand, sous-entendant que les problèmes de gestion des pics de consommation ou de nécessité de construire de nouvelles centrales nucléaires, avancés par certains détracteurs du VE, sont loin d’être insurmontables.
Alors que le Livre Vert remis par Guy Nègre parle “d’un coût de recharge sur des bornes en ville pouvant descendre à 30 centimes d’euro”, François le Vert, directeur de la communication de Vinci Park et délégué général de la Fédération nationale des métiers du stationnement, volontiers polémique, évoque “un coût de l’ordre de 20 euros si l’on prend en compte l’électricité, l’espace et l’amortissement des infrastructures”.
1/ Cadre français et européen pour le développement du véhicule électrique : quelles avancées ?
Le Livre Vert ayant défriché les volets techniques, économiques et juridiques relatifs aux hybrides et VE, l’heure est désormais à l’action. Jean-Louis Legrand explique précisément que “les actions seront menées dans un premier temps sur les éco-cités et les agglomérations pilotes qui couvrent déjà la moitié de la population”. Le soutien de l’Etat, subventions et super-bonus de 5 000 euros pour les premiers véhicules, est jugé nécessaire, surtout que le surcoût du véhicule électrique n’est pas amené à diminuer à très court terme, même avec un prix du pétrole très élevé. En filigrane, se pose aussi la question de savoir si l’Etat, dont la dette va croissant, ne taxera pas un jour le véhicule électrique pour compenser les pertes sur le front de la TIPP… Naturellement plus enclin à l’optimisme, Philippe Aussourd, président de l’Avere France, affirme que la situation parvient à maturité pour construire et articuler une filière électrique opérationnelle : “Au sein de l’Avere, nous coordonnons des constructeurs, des fournisseurs, des fabricants de matériel électrique, etc. Nous réunissons d’ores et déjà une centaine de membres couvrant douze domaines différents. Il y a trente ans, il y avait une totale incompréhension entre ces différents mondes, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui, les choses ayant considérablement évolué, surtout ces dernières années.” Les multiples partenariats noués entre les uns et les autres au cours des vingt-quatre derniers mois abondent dans ce sens. Pour Rachid Itani, Executive Partner et CEO de Balderrie Energies, il faut dès maintenant voir plus loin et exploiter la notion de “batteries sur roues” pour contourner l’écueil du coût : “Le véhicule électrique doit être appréhendé comme un service. Notre idée consiste à acheter dix millions de véhicules, afin de réaliser des économies d’échelle, et de les mettre à disposition de ceux qui en ont besoin pour aller travailler. Et quand la voiture est à l’arrêt, l’électricité est réinjectée dans le réseau d’électricité. On peut donc stocker de l’électricité, mais aussi la revendre au réseau global.” Même si c’est vraisemblablement à plus long terme, Jean-Louis Legrand juge cette hypothèse très pertinente, “surtout qu’en ville, les voitures sont immobilisées 90 % du temps”. Un premier test est d’ores et déjà prévu en Arabie Saoudite.
2/ Comment adapter l’offre automobile pour répondre aux nouvelles mobilités et aux nouveaux modes de consommation ?
Passant en revue les principaux enseignements de l’étude TNS Sofres Auto-Mobilités 2010, Marie-Agathe Nicoli envoie un signal positif en indiquant que, “malgré une certaine méconnaissance du sujet, les consommateurs accordent beaucoup de crédit au véhicule électrique”, même si au niveau des intentions d’achat pures et dures, les modèles hybrides tiennent nettement la corde. Un élément très encourageant, alors que l’offre actuellement disponible est encore très embryonnaire, voire parfois carrément décalée quand on quitte le territoire des constructeurs traditionnels. D’ailleurs, plusieurs membres de l’auditoire estiment que les subventions pour le développement de voitures électriques devraient être plus concentrées, afin d’éviter des propositions dans lesquelles aucun consommateur ne peut se reconnaître, ce qui pourrait se révéler in fine contre-productif. Pour prendre son essor, le véhicule électrique peut aussi compter sur les loueurs et le développement des dispositifs d’auto-partage dans les grandes villes. De surcroît, aux yeux de Pascal Feillard, responsable du département Prospectives Automobiles, Clients et Marchés chez PSA Peugeot-Citroën, le véhicule électrique a un rendez-vous à ne pas manquer avec le numérique : “Les valeurs de modernité et d’ubiquité qu’on attribuait auparavant aux voitures sont aujourd’hui passées dans l’univers des appareils électroniques de type smartphones ou consoles de jeux. Désormais, la modernité, c’est le numérique. Or, le véhicule électrique apporte la mobilité à l’imaginaire électronique, et l’association est quasiment parfaite.” Une occasion en or, pour toute une industrie, de se réapproprier aussi la notion de progrès. En restant plus terre-à-terre, c’est-à-dire en dressant le portrait type des premiers acheteurs de véhicule électrique, il apparaît que ce sera un urbain, et plus encore un périurbain, se servant quotidiennement de sa voiture de banlieue à centre-ville ou de banlieue à banlieue pour aller travailler, mais dans un périmètre lui permettant de ne pas se heurter au problème de l’autonomie. Ils appartiendront d’ailleurs le plus souvent à la catégorie des ménages multi-motorisés. Et à une catégorie socioprofessionnelle favorisée, Pascal Feillard n’hésitant pas à parler de “foyers à hauts revenus”. Une prévision que Sébastien Grellier, chef du département Planification, Relations extérieures, Environnement de la division marketing de Toyota France, est venu confirmer en décrivant l’acheteur de véhicule hybride : “Avant le lancement de l’Auris en version hybride, modèle dont le taux de conquête est de l’ordre de 50 %, la moyenne d’âge des acheteurs d’hybrides était de 62 ans au sein de la marque.” A mettre en lien direct avec le pouvoir d’achat. D’une manière générale, les jeunes ne seront pas forcément les acheteurs de véhicules électriques car ce sont aussi les plus éligibles à de nouvelles offres de mobilité. Notons encore que, parmi les acheteurs d’hybrides du groupe Toyota, l’environnement apparaît “seulement” au troisième rang des critères d’achat.
3/ De la production à la mise sur le marché des véhicules électriques : quel modèle et quel partage de valeur entre les acteurs ?
Si les prévisions d’Oliver Wyman tablent donc sur six millions de véhicules électriques en 2025, ce qui est déjà un gouffre par rapport aux 10 000 ventes de 2010, le cabinet prévoit un bond en avant pour 2040, date à laquelle la pénétration du VE dans les ventes mondiales serait supérieure à 30 %. Naturellement, Thomas Orsini, directeur du Business développement des voitures électriques chez Renault, ne l’entend pas de cette oreille : “Le véhicule électrique, c’est maintenant ! Dès l’année prochaine, nous proposerons une offre complète et ambitieuse.” Et d’argumenter : “Sur le segment B, un tiers des véhicules ne font pas plus de 120 km par jour, donc la bascule vers l’électrique est possible dès aujourd’hui, d’autant que le surcoût de la solution est jugulé par les aides disponibles. Très rapidement, ce surcoût est amené à s’amenuiser et, au-delà de l’effet d’échelle, un accord comme celui que nous avons conclu avec Daimler va clairement dans ce sens.” L’ensemble du réseau a d’ailleurs émis le souhait de participer à l’aventure du véhicule électrique. Pourtant, Patrick Bailly, président du Conseil national des professionnels de l’automobile, indique que “l’investissement initial est lourd pour les réseaux”. Il est aussi plus mesuré sur l’essor de l’électrique : “En plus du déploiement des infrastructures, il faut au préalable communiquer sur l’attrait et la sécurité des batteries, sans oublier qu’il faut créer les bonnes conditions d’un marché du VE d’occasion. En outre, par rapport aux facilités accordées par certaines villes, notamment pour le stationnement des loueurs, des problèmes de distorsion de concurrence peuvent apparaître.” Loin de vouloir endosser le costume du rabat-joie, Patrick Bailly précise toutefois que le développement du VE est plus une révolution pour les distributeurs de carburants que pour les distributeurs d’automobiles. Des distributeurs de surcroît déjà en cours de formation avec trois niveaux : “non habilités à intervenir, mais sensibilisés”, “habilités à intervenir à proximité d’organes électriques hors tension”, “spécialistes”. En conclusion, Thomas Orsini estime que le véhicule électrique a tout pour réussir, surtout si la communication est efficace sur la notion de TCO, pour l’heure ignorée du grand public, et si la mise en place des infrastructures suit le calendrier annoncé. Un dernier point sur lequel Rémi Cornubert insiste fortement lui aussi.
4/ Les collectivités territoriales et les entreprises : acteurs clés du développement de l’électro-mobilité ?
A tout seigneur tout honneur, ouvrons le bal avec La Poste et Muriel Barneoud, directeur général du courrier au sein du groupe et président du groupement de commandes de véhicules électriques : “La Poste et l’électro-mobilité, c’est une vieille histoire qui date de 1901 ! Au-delà de la boutade, nous sommes aux avant-postes sur le sujet avec 8 000 vélos à assistance électrique, quelques centaines de quadéos et 250 véhicules électriques sur l’ensemble du territoire. Or, les retours d’expérience sont très positifs, les voitures étant appréciées au titre du confort d’usage et de conduite, sans oublier l’atout du silence. Bref, ces voitures correspondent parfaitement à l’usage que nous avions imaginé. C’est un point essentiel car, si on prend le VE comme moyen de substitution stricto sensu du thermique, on se trompe tout simplement de sujet ! D’ailleurs, le cahier des charges de l’Ugap se focalise exclusivement sur l’usage. Le groupement peut servir à amorcer le marché, et ses objectifs sont raisonnables et atteignables.” Jean-Michel Cavret, directeur de la stratégie électro-mobilité chez BMW France, abonde aussi dans ce sens après les premiers retours positifs sur les tests menés avec des flottes de Mini dans plusieurs pays. “Nous aurons bientôt 10 millions de km d’expérience avec des particuliers et des flottes, et nous avons opté pour une approche très rationnelle pour arriver sur le marché en 2013.” Jean-Michel Cavret se réjouit d’ailleurs de ne pas avoir à essuyer les plâtres et remet aussi les choses en place : “D’une part, on ne peut pas parler du véhicule électrique de façon monolithique car ce marché sera très segmenté, BMW se positionnant naturellement dans la sphère Premium. D’autre part, on ne peut pas non plus fausser le débat en occultant les progrès du thermique ou le remarquable potentiel de l’hydrogène à plus long terme.” Des retours positifs encore confirmés par Olivier Delassus, directeur général de Proxiway (Groupe Veolia), que ce soit à La Rochelle, où l’expérience est maintenant ancienne, ou à Nice, où le dispositif vient d’être mis en place avec succès (650 abonnés et 250 dossiers en attente en quinze jours !). Selon lui, “on peut arriver à un prix entre 5 et 8 euros de l’heure tout compris”. Le prix, c’est aussi ce qui intéresse Philippe Lavaud, président de la communauté d’agglomération du Grand Angoulême, qui rappelle que “43 % des 110 000 habitants de l’agglomération sont sous le seuil du bas revenu et que les nombreux projets de solutions de mobilité à venir, dont une plate-forme d’auto-partage, doivent tenir compte de cette donnée”. Au final, Gilles Roucolle, Partner chez Oliver Wyman, estime que “le marché de l’auto-partage pèsera environ 600 millions d’euros en France à l’horizon 2020, et un quart concernera le BtoB”. Et il lance aussi cette mise en garde : “Fonder trop d’espoirs sur le marché des collectivités et des flottes comme tremplin pour le véhicule électrique peut réserver quelques mauvaises surprises… En tout cas, les choses seront plus lentes que ce que certains pensent.”
5/ Réseaux de bornes de recharges publiques et privées, plates-formes de services : quels partenariats et quels relais de croissance pour les acteurs ?
Au premier chef, Xavier Defroment, directeur de Legrand France, met le doigt sur un sujet rarement abordé et qui pourrait pourtant fâcher : “Quand vous chargez votre véhicule toute une nuit, ça chauffe… Or, l’âge moyen des installations électriques de particuliers en France est supérieur à 35 ans et toutes les habitations sont loin d’être aux normes…” La menace d’un incendie n’est pas anodine car ses conséquences sur le grand public seraient tout simplement désastreuses. Dès lors, Legrand a développé une prise dédiée à la recharge, pouvant charger les véhicules à 13 ampères. L’installation serait effectuée par l’un des 100 000 électriciens français agréés et la facture maîtrisée aux alentours de 1 000 euros. Encore un coût à expliquer avec force pédagogie… D’autant que le prix de la recharge fait aussi débat. “On parle ici et là de 30, 50, 70 centimes d’euro. Mais qui intègre vraiment l’espace immobilisé, l’électricité et les infrastructures dans ces estimations ? En fait, stationner sa voiture dans un parking pour une recharge de huit heures pourrait coûter 20 euros. Voilà qui est plus réaliste, mais voilà qui est aussi plus dissuasif pour faire 140 km ! Nous jouerons le jeu, comme nous le faisons d’ailleurs déjà, mais nous serons aussi vigilants et nous n’irons pas plus vite que la musique”, met au clair François le Vert, directeur de la communication de Vinci Park et délégué général de Fédération nationale des métiers du stationnement. Restant au chapitre des euros sonnants et trébuchants, Eric Girot, directeur général de GroupAuto, entrevoit de belles opportunités et estime à juste titre que les indépendants peuvent aussi tirer leur épingle du jeu. La formation a déjà débuté, GroupAuto ayant par exemple œuvré au sein des réseaux Bosch, et le marché est d’ores et déjà évalué à 8,4 millions d’euros en France. Puisqu’il est question de Bosch, terminons sur une note prospective particulièrement séduisante, avec le test mené à Singapour par le groupe et les explications de Guy Maugis, président de Bosch France : “Le programme pilote comprend le réseau électrique, la recharge, la facturation, la possibilité de se connecter aux services de location ou d’auto-partage, etc. Le champ des possibles est très vaste, mais ce n’est pas de la science-fiction ! Avec une ligne directrice : nous ne sommes pas obligés de penser cher et lourd, donc pensons facile et convivial ! Quant au business modèle, on se rapproche de l’univers des services, notamment par le biais des applications.” Stimulant, n’est-ce pas !
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