Francfort : les chinois rendent leurs copies
...pas effrayer la majorité des constructeurs européens qui restent cependant attentifs.
Si le Salon de Francfort se veut la vitrine des grosses berlines allemandes, en témoigne la présentation de la nouvelle Classe S, l'édition 2005 a peut-être marqué un tournant cette année. En effet, pour la première fois sur le sol européen, trois constructeurs chinois Landwind, Brilliance et Geely devenaient une des principales attractions du Salon et se voulaient l'objet de beaucoup de convoitises.
Bien entendu, ce n'est pas cette année que les voitures chinoises déferleront sur l'Europe. Cependant, leur présence sur un tel Salon n'est sûrement pas anodine.
La Chine a désormais de sérieuses ambitions dans l'industrie automobile (on se souvient du rachat de MG Rover par Nanjing cet été) et ne cache plus qu'elle souhaiterait devenir le troisième producteur mondial. Alors que son marché souffre de surcapacité de production, d'une guerre des prix et d'un effritement des ventes, Pékin, qui soutient bon nombre de ses constructeurs nationaux, se tourne aujourd'hui vers l'export.
Compte tenu des gigantesques moyens et du potentiel dont dispose l'empire du Milieu, nul serait tenté de sous-estimer ces nouveaux arrivants. Par ailleurs, la situation ambiante en Europe, hausse des prix du carburant et la demande grandissante pour les véhicules à bas prix forment un terroir fertile à cette nouvelle concurrence.
Nous n'en sommes pas encore là. Sur les trois constructeurs présents, seul Landwind a pris une longueur d'avance. Le constructeur dont près de la moitié du capital est détenu par une province chinoise, a débuté l'importation de ses véhicules sur le Vieux Continent depuis juillet dernier. Ou plutôt de son véhicule, puisque Landwind propose pour l'heure un seul 4x4 à cinq portes, très proche de l'ancien Opel Frontera, à un prix, entre 14 000 et 19 000 euros, défiant toute concurrence. Pour l'heure, seules les routes belges, néerlandaises et allemandes ont fait connaissance avec la nouvelle marque chinoise. 200 véhicules ont d'ores et déjà été commercialisés en Belgique et 500 autres en Hollande. En Allemagne, le processus est en marche puisque l'on compte déjà 55 points de vente et Joep van den Nieuwenhuijzen, chargé des relations Chine-Europe pour le constructeur "annonce un futur réseau de 200 points de vente". L'homme, sourire aux lèvres et réjoui de voir autant de monde s'intéresser à la marque, devient intarissable sur la destinée de Landwind en Europe. "Nous avons dépassé nos prévisions de 500 unités depuis notre arrivée sur le sol européen en mai dernier. L'engouement pour notre marque se confirme, un objectif de 10 000 ventes dès 2006 est envisageable. Cela peut aller très vite : il faut 30 jours pour produire le véhicule et 23 autres pour l'acheminer en Europe." La toile Landwind semble se tisser. "Dans les pays où nous sommes présents, les réseaux se montent rapidement d'autant plus que les distributeurs, notamment ceux des réseaux Rover, se montrent très intéressés pour commercialiser notre marque", ajoute Joep van den Nieuwenhuijzen.
"Merci Monsieur Monti !"
D'après le dirigeant, l'investissement global pour acquérir le panneau chinois se résumerait à une enveloppe de 10 000 euros pour un corner rapidement installé dans un showroom. Landwind ne saurait tarder en France : "nous viserons en premier lieu les zones stratégiques pour une clientèle 4x4 telles les Alpes ou les Pyrénées." Le dirigeant ne se fait aucun souci quant à la réussite de la marque en Europe : "il faut remercier Monsieur Monti ! Sans oublier de souligner que la conjoncture actuelle nous est propice. C'est une chance pour nous, notre progression sera rapide", parie-t-il.
Avec pour seul modèle la berline Zhonghua sur son stand, Brilliance, partenaire de BMW en Chine, regarde également le Vieux Continent avec intérêt. Moins disert que son compatriote Landwind, le constructeur affiche également des ambitions. Déjà homologuée, la voiture (dont le prix tourne aux alentours de 18 000 euros) se décline en cinq versions et est équipée de deux moteurs essence de 2 l et de 2,4 l. "Elle devrait trouver 1 000 acquéreurs rien qu'en Allemagne", selon son importateur Euro Motors. Ce dernier, dont le siège est basé à Gibraltar, assurera l'importation de la marque pour toute l'Europe mais par étapes : "Après l'Allemagne, nous nous attaquerons aux pays de l'Europe de l'Est avant de viser ensuite l'Espagne et la France notamment", a-t-il déclaré.
Quant à Geely, seul constructeur chinois indépendant présent, il ne dévoilait pas moins de cinq modèles (prix entre 3 000 et 10 000 dollars) sur son stand, même si aucun n'est homologué pour l'instant. Ce jeune constructeur, créé il y a cinq ans, se veut à la fois dynamique et patient. Dynamique pour avoir annoncé, avant l'été, désirer entrer de plein fouet dans l'industrie automobile avec une production de 2 millions de véhicules dont 1,4 million de voitures exportées pour 2015. En outre, Geely, avec 400 000 véhicules produits depuis sa création, occupe déjà le huitième rang du marché national avec 5 % de parts de marché. Patient, car à l'heure actuelle, le constructeur se contente d'être présent sur "un des plus grands Salons du monde pour observer et se faire connaître du grand public" comme nous l'a confié Jie Zhao, vice-président du groupe chinois. "Francfort constitue une première étape pour l'histoire de Geely en Europe. La seconde sera l'importation de nos véhicules mais pas avant 2008-2009", a souligné le dirigeant.
Un retard qui pourrait rapidement se combler
Entre attentes et réelles volontés de développement, les trois dragons chinois représentent-ils une réelle menace pour les constructeurs installés en Europe, qu'ils soient européens, américains ou asiatiques ? Difficile à dire. Cependant ces derniers n'y croient pas encore. A commencer par Frédéric Saint Geours, directeur général de Peugeot : "au regard des coûts de production, de l'éloignement des marchés, des coûts de logistique, l'importation semble difficile. Certes, il y aura sûrement des tentatives ici ou là mais elles resteront marginales." Un avis partagé par son homologue de Kia France, Dominique Person qui pour l'heure ne voit pas "l'industrie chinoise structurellement exportatrice." Pour Claude Satinet, patron de Citroën, "il y aura peu de ventes significatives de la part de ces constructeurs en Europe tant qu'ils n'auront pas adapté leur capacité de production."
Pour d'autres, la menace semble beaucoup plus proche. François Le Clec'h, patron de Mercedes Car Group se souvient de "Jacques Calvet qui voulait taxer les constructeurs japonais, un combat d'arrière garde qui n'empêcha pas ces mêmes constructeurs de réussir." Le dirigeant estime "l'arrivée de la Chine inéluctable en Europe, ce qui pourrait avoir des conséquences sur le marché de l'occasion. Une dérégulation du marché est possible notamment pour les constructeurs généralistes sur les segments A et B." Quant à Michel Gardel, directeur général de Toyota France, il préfère "ne pas sous-estimer les chinois. Si leurs premières initiatives ne semblent pas dangereuses, la suite devrait être plus structurée. L'heure est à l'observation, à l'écoute du marché et des consommateurs européens avant que les chinois n'adoptent une stratégie d'importation résolument plus agressive."
La majorité des dirigeants européens s'accordent pour affirmer que les chinois possèdent encore un léger retard pour produire des véhicules à bas prix, de qualité et d'un design intéressant susceptibles de bouleverser les données du marché continental. Un retard qu'ils pourraient rapidement combler.
Tanguy Merrien et
Christophe Jaussaud
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