Entretien avec Patrick Pélata, directeur général délégué de Renault.
Journal de l'Automobile. Comment analysez-vous la crise financière actuelle et plus précisément son ampleur ?
Patrick Pelata. Depuis quelques mois déjà, nous avions senti que la crise allait gagner l'Europe et se généraliser. Et nous avions malheureusement raison… Le contexte actuel est très délicat et surtout très volatil, ce qui rend tout exercice de prévisions difficile. Les derniers jours que nous avons vécus en témoignent. Cependant, en Europe, Renault tire son épingle du jeu et voit sa part de marché augmenter. En France, la hausse programmée des volumes est bel et bien au rendez-vous et nous avons reconquis 3 % de parts de marché par rapport à 2007. Reste à savoir quelle sera l'ampleur de la crise du crédit, surtout dans les pays consommateurs de crédits à taux variables, comme l'Espagne et le Royaume-Uni par exemple. Autant il n'y a pas de risque majeur au niveau de la reprise de véhicules, autant le risque de voir certains clients ne plus pouvoir payer est bien réel, comme on le voit d'ailleurs en Espagne.
JA. Vous avancez que Renault tire son épingle du jeu, mais est-ce à long terme dans la mesure où vous prenez aussi des mesures drastiques au niveau de la production ?
pp. Nous sommes confrontés à un problème : il faut l'accepter et prendre les mesures adaptées. Comme la plupart de nos concurrents, nous réduisons donc la production. C'est assurément dur à vivre en interne, mais c'est nécessaire. Et pour gagner, il faudra faire mieux que les autres.
JA. Dans une période riche en lancements, comment ressentez-vous ce qu'il faut bien appeler pour le moment l'échec de Laguna ?
pp. Je rappelle que le modèle est en tête de son segment en France et que les résultats européens ne sont pas si mauvais que cela, comme en Allemagne par exemple, où on le retrouve au second rang des véhicules importés. La Laguna Station Wagon enregistre d'ailleurs de bonnes performances. En outre, l'objectif prioritaire de qualité est en passe d'être atteint et nous gérons peu de retours de garantie. Toutefois, il est clair que le niveau des ventes constitue une déception. Le modèle manque de "sexy touch" et se trouve pénalisé par une image trop sérieuse. Et comme le segment continue de s'éroder significativement… Nous allons désormais décupler nos efforts marketing pour trouver un nouveau souffle et nous comptons sur la version coupé pour avoir un effet image positif.
JA. Dès lors, le lancement de la Mégane puis de ses autres versions prend une importance considérable, n'est-ce pas ?
pp. C'est pour nous un véhicule clé dans toutes ses variations et sur de nombreux marchés. Notre priorité fut à nouveau la qualité et le modèle a bénéficié d'un benchmark avec Laguna, conformément à notre stratégie d'amélioration progressive et globale. La sécurité est aussi irréprochable, notamment avec l'innovation de protection en cas de crashs latéraux, une première sur ce segment. L'ergonomie intérieure a été optimisée et les progrès sont considérables pour le système son et 3D. Un réel bon en avant que le client percevra et d'ailleurs, je me souviens que lorsque j'étais arrivé de chez Nissan, j'avais été effrayé par le faible niveau des systèmes son de Renault… Par ailleurs, nous serons très compétitifs sur le plan des consommations et des rejets de CO2 : à partir de l'été 2009, avec l'arrivée d'un bloc essence turbo sur base Nissan, nous serons en mesure de proposer quatre moteurs essence downsizés éligibles au bonus. Enfin, le design de Mégane est plus dynamique, même si je n'aime pas parler du design, je préfère le voir. Certes, d'aucuns souligneront que l'ancienne Mégane avait plus marqué par son style, mais si vous analysez son cycle de vie, vous constaterez qu'elle a très bien débuté avant de décliner, décliner… Avec un style moins typé et moins dépendant de la mode, il nous sera plus aisé de mieux gérer ce cycle de vie. Bref, au final, nous sommes confiants pour ce modèle.
JA. Toujours au chapitre des produits, quelles sont vos convictions concernant le développement des solutions électriques ?
pp. Pour nous, il ne s'agit nullement d'un gimmick marketing et nous pensons que ces offres vont réorganiser la géométrie du marché d'ici 6 à 7 ans. C'est donc très proche. Nous voulons faire partie des pionniers et une première offre sera lancée par Nissan en 2010, avant une commercialisation globale pour 2012. Vous êtes au courant que Carlos Ghosn a évoqué le site de Flins en terme de production. Nous tablons sur un volume de 40 000 ventes en 2011 puis sur 100 000 en 2012. La demande existe déjà sur certains marchés, comme le Danemark, Israël, St Barth, Singapour ou encore La Réunion, mais elle se développera dans des zones plus traditionnelles. Et selon la réaction des marchés, nous pourrons, le cas échéant, décider de construire une autre usine pour augmenter nos capacités de production. En tous les cas, nous sommes prêts et grâce à Nissan, nous sommes à la pointe de la technologie et nous savons déjà ce que cela nous coûte, ce qui est essentiel par rapport à un processus d'industrialisation.
JA. Sur quels véhicules peut-on attendre la technologie électrique ?
pp. Dès 2009, la Fluence sera commercialisée et vous pourrez y voir une référence pour l'élaboration du premier véhicule électrique "made by Renault". Par ailleurs, une étude sur un véhicule compact est en cours.
JA. A quel tarif pensez-vous être capable de commercialiser un véhicule de ce type ?
pp. En coût d'usage sur trois ans comprenant l'achat et environ 20 000 km/an, le prix d'un véhicule électrique devrait être inférieur de 10 % par rapport à un modèle classique Diesel équivalent. L'offre sera donc compétitive.
JA. En terme d'industrialisation, comptez-vous acheminer les batteries vers les sites de production ou demander aux fournisseurs de s'installer à côté des sites ?
pp. Pour un modèle de type Mégane, le poids des batteries serait de l'ordre de 200 kg. Pour des raisons économiques évidentes, il vaut mieux ne pas trop les faire voyager avant l'assemblage.
JA. A l'échelle européenne, quelles actions de lobbying menez-vous pour infléchir la position de la Commission sur les futurs seuils d'émissions ?
pp. Nous n'aimons pas parler de lobbying publiquement… En revanche, il est clair que nous devons savoir précisément ce qui est prévu car les investissements liés à cet enjeu sont considérables. Et le législateur doit comprendre qu'on ne peut pas tout demander en même temps sur le CO2, la sécurité etc. Car si nous répercutons les coûts induits sur le prix final, les clients ne suivront plus ! Or pour le seul CO2, il faut savoir, à titre indicatif, qu'on peut estimer la progression du coût d'un gramme de CO2 de 36 e en 2005 à 55 e en 2012 ! Donc, attention à ne pas perdre de vue l'intérêt des clients, ce qu'ils sont prêts à payer et ce qu'ils peuvent assumer.
JA. Avec un design trop neutre, voire insipide, une croissance exclusivement portée par Logan et Sandero et des innovations plutôt associées à Nissan dans l'esprit du consommateur, que va-t-il rester à la marque Renault ?
pp. Je ne suis pas d'accord avec l'orientation de la question. Le style de nos modèles actuels, volontiers sérieux, correspond à notre travail de fond sur la qualité. Il est en adéquation avec cette reconstruction de la qualité. Nous avons eu des problèmes par le passé, mais nous voulons dorénavant que le client ne fasse plus de différence entre une Renault et une Toyota. Par ailleurs, je rappelle que la gamme Logan et Sandero sont majoritairement commercialisées sous la marque Renault : il s'agit donc bien d'une croissance Renault. Quant à l'innovation, Renault n'est pas en reste. Prenez l'exemple de la sécurité, nous sommes au top niveau. Et si la presse automobile française en fait peu cas, c'est le contraire dans la presse féminine ou en Allemagne par exemple. Or la sécurité est un argument de vente décisif vis-à-vis de la clientèle féminine dont l'influence directe ou indirecte n'est pas négligeable. Mais l'innovation, c'est aussi Logan ! Cela n'existait pas avant nous. Vous retrouvez encore l'innovation avec l'offre Tom Tom que nous allons bientôt proposer à moins de 500 e par exemple. Alors, ce n'est peut-être pas clinquant, mais sachez que les grands effets de manches et de style sont rarement féconds sur le long terme. Mieux vaut répondre précisément aux demandes des clients et c'est en fait ce que nous faisons. Cela va payer. Je pense notamment au travail sur la qualité. Ne pas entreprendre ce chantier aurait plongé la marque dans la déshérence. Il faut maintenant attendre un peu pour que le niveau de qualité intègre pleinement l'image de la marque, il y a toujours un petit décalage.
JA. Le Contrat 2009 sera-t-il rempli ?
pp. Même si la conjoncture est problématique, nous restons confiants. A l'exception des volumes, forcément revus à la baisse, mais vu le climat économique, il faut désormais raisonner en parts de marché et non plus en croissance des volumes. C'est cet indicateur qui marque la vraie performance commerciale.
Photo : "La Laguna manque de "sexy touch" et se trouve pénalisée par une image trop sérieuse. Mais nous comptons sur le coupé pour avoir un effet image positif".
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