Entretien avec Luc-Alexandre Ménard, Leader de la Région Euromed, Président du Conseil d’administration de Dacia
...aussi. Comment les leaders des 5 grandes Régions envisagent-ils le plan et leur contribution à sa réussite ? Entretien avec Luc-Alexandre Ménard, leader d'Euromed.
Journal de l'Automobile. Carlos Ghosn a divisé les activités du groupe en cinq grandes "Régions", pilotées par 5 comités de management qui seront chacun "responsable et redevable de la contribution de la zone géographique concernée à la rentabilité de l'entreprise". Comment doit-on comprendre cette mission ?
Luc-Alexandre Ménard. Le changement porte principalement sur l'idée que toutes les grandes fonctions de l'entreprise ont une vocation mondiale et vocation à déployer leurs standards comme leur politique dans le monde entier. Jusqu'à présent, ces fonctions (fabrication, recherche, ingénierie, achats, commerce et marketing, pièces et accessoires) étaient surtout orientées sur le marché naturel de Renault à savoir l'Europe et plaçaient l'international au second plan. Ce nouveau système permet à toutes les grandes fonctions d'être représentées dans le comité de management de Région, et donc de s'approprier l'ensemble des problématiques de l'international. Cela renforce la responsabilité de chacune des fonctions pour l'ensemble du groupe de façon à ce qu'elles soient investies de leur responsabilité au niveau mondial.
JA. En moins de 4 ans, augmenter les ventes de 10 %, cela vous semble-t-il un objectif raisonnable ou très difficile à atteindre ?
L-A M. Il faut passer de 2,5 millions véhicules à 3,3 millions… ce n'est pas un objectif, c'est un engagement ! Cela signifie que ce plan, qui a exigé neuf mois de préparation et la mobilisation de très nombreuses personnes au sein du groupe, est l'aboutissement du travail qui a été fait, des arbitrages qui ont été rendus, et dont ce chiffre de 800 000 voitures est la conclusion. Qui n'est pas une prévision, mais un engagement !
JA. Vous vous êtes donc engagé pour votre Région à atteindre ces résultats ?
L-A M. Chaque leader de Région connaît son objectif de volume pour la fin du plan mais l'engagement du Plan, lui, est global. Chaque Région et chaque type de véhicule dispose d'un objectif précis. L'important, cependant, c'est que l'ensemble fasse 800 000 véhicules de plus comme annoncé.
JA. En tant que leader d'une Région, quels sont les atouts du groupe qui vous permettent de dire que vous allez remplir votre engagement ? Et quelles sont les difficultés que vous devrez surmonter ?
L-A M. Chaque Région a ses atouts comme ses difficultés. La Région Euromed est constituée d'une série de grands pays dont les perspectives de développement sont très diverses. En ce qui concerne la Russie, nous disposons d'un potentiel de forte croissance des ventes et d'amélioration très nette de la marge opérationnelle ; c'est important puisque ce qui compte principalement dans l'engagement du plan c'est la rentabilité. Par ailleurs, l'usine, qui construit les Logan et a été inaugurée il y a 9 mois, vient de passer en deuxième équipe pour faire face à la demande, c'est tout à fait prometteur.
JA. Et le pays de naissance de la Logan ?
L-A M. La Roumanie où Renault et Dacia réalisent 53 % des ventes, constitue, en effet, un
CURRICULUM VITAENom : Ménard |
Pour la Turquie, l'objectif consiste à maintenir notre position de leadership et de construire une base industrielle encore plus rentable grâce au développement de l'intégration locale. J'ajouterais que nous avons de belles perspectives de croissance en Tunisie, Algérie et Maroc, notamment grâce à l'appui de notre usine Renault au Maroc.
JA. L'Amérique latine, le Brésil ne se laissent pas facilement tenter par la marque au losange, quelle est l'ambition de Renault sur ces territoires ?
L-A M. Il a été décidé pour l'Amérique (à savoir, pour nous le Mexique, la Colombie, le Brésil, l'Argentine et le Chili) une révision complète du plan stratégique qui doit s'articuler autour de deux grands axes stratégiques de développement. D'une part, développer la gamme qui comprendra cinq nouveaux modèles en Amérique latine. D'autre part, mener une politique très volontariste d'intégration locale. Aujourd'hui, nous avons un taux d'intégration locale avoisinant les 50 %, notre objectif est d'atteindre les 75 ou 80 %, ce qui est le niveau des autres constructeurs installés au Brésil par exemple. Et développer l'intégration locale, c'est aussi bénéficier de produits fabriqués sur place et ne pas dépendre d'aléas extérieurs comme les fluctuations des taux de change.
JA. Privilégier l'intégration locale est une politique que vous comptez développer ?
L-A M. Nous appliquons cette politique en Roumanie et en Russie avec un peu plus de difficultés parce que les tissus fournisseurs existants sont beaucoup moins importants que ceux d'Amérique latine. En Turquie et même au Maroc, nous sommes sur des plans d'intégration locale très ambitieux.
JA. Est-ce que cela signifie que Renault se désengage de ses sous-traitants en Europe et de ses filiales ?
L-A M. Non, c'est l'application du principe qui consiste à s'approvisionner au plus près des marchés, là où sont assemblés les véhicules. 7 ou 8 fois sur 10, lorsqu'on s'approvisionne localement, les fournisseurs auxquels on s'adresse sont déjà, soit des fournisseurs du panel de Renault, ou fournissent les entreprises avec lesquelles nous travaillons, soit des fournisseurs locaux qui sont en accord de licence avec des fournisseurs de Renault.
JA. Carlos Ghosn semble frileux quant à la Chine… ?
L-A M. Carlos Ghosn a dit clairement que Renault irait en Chine. Il n'a simplement pas dit quand.
JA. Vous êtes aussi le président du Conseil d'administration de Dacia, êtes-vous déçu par la décision de Carlos Ghosn de ne pas sortir de deuxième véhicule à bas coût ?
L-A M. Il y a quatre ans, personne ne savait comment Logan serait perçue, ou adoptée par beaucoup de clients. En 2005, en comprenant les véhicules fabriqués au Maroc et en Russie, nous avons dû produire 177 000 Logan. Entre Logan du début et Logan dans le Plan, il y a eu une grande évolution qui a donné lieu à la constitution d'une famille, d'une vraie gamme Logan. En tout, nous arrivons à six versions différentes, c'est considérable ! Il serait difficile de ne pas être satisfait.
JA. Le concept est désormais accepté, alors pourquoi ne pas pousser plus loin ?
L-A M. Ce qui fait la force du concept, c'est que la plate-forme que vous utilisez est toujours la même, c'est-à-dire que vous déclinez des versions supplémentaires autour de la plate-forme et que vous renforcez le concept de profitabilité et d'économie de la voiture.
JA. Ne peut-on pas penser que la Logan a fait de l'ombre aux Clio et autres Modus ?
L-A M. Quand la Logan a été lancée en Roumanie, Renault avait une position très forte sur le marché roumain, nous nous sommes donc posé la question, y compris pour les pays dans lesquels la Clio tricorps fonctionne très bien. La vraie surprise réside dans le fait que les deux véhicules cheminent parallèlement et que, presque partout, il n'y a pratiquement pas eu d'influence sur les ventes de Clio avec l'arrivée de Logan, comme si les deux clientèles avaient des valeurs différentes et cohabitaient naturellement. Et cela continue aujourd'hui…
JA. Et la Modus ?
L-A M. Le marché pour la Modus dans les marchés émergents est extrêmement restreint. C'est un véhicule très européanisé qui réussit en Europe, en Afrique du sud et même en Turquie mais est moins adapté pour les pays dits émergents.
JA. Comptez-vous développer pour la Logan, un réseau exclusif de distribution ?
L-A M. C'est variable suivant les pays ou les Régions. Les deux solutions existent et elles sont appliquées différemment selon les pays, même réseau avec showroom dédié ou réseaux séparés en fonction du parc spécifique du pays. Nous nous appuyons sur le plus fort pour vendre ce qui est le plus faible en quantité.
JA. Que comptez-vous faire de Samsung Motors ? Quels développements cette marque doit-elle avoir ou doit-elle accompagner ?
L-A M. La Corée va devenir une base produits pour Renault, nous allons donc beaucoup entendre parler de Samsung prochainement.
JA. Renault se présente comme 4e constructeur mondial, en incluant Nissan, dans la capacité de production, quels sont les rapports de Nissan avec les Régions Renault ?
L-A M. Il existe pour l'ensemble des Régions, des CCT (Cross Compagny Team), des "comités" mixtes qui réunissent des membres de Renault et de Nissan, selon les couvertures géographiques communes. L'objectif consiste à déterminer ce que les deux entités peuvent faire ensemble pour améliorer leur performance, tout en respectant la même règle de base des deux entreprises séparées. En Afrique du Sud, par exemple, des plans de travail communs ont été construits sur la formation, la publicité, ou la distribution de la pièce de rechange etc. Dans certains cas, il y a une distribution commune mais c'est assez rare.
JA. "Faire deux fois plus avec le même investissement", qu'est-ce que cela vous inspire ?
L-A M. Il faut le faire. Il ne s'agit pas de moins investir mais il s'agit d'investir mieux pour payer moins cher. Cela fait partie des engagements prioritaires de Renault. Nous avons déjà testé cette politique sur certains investissements industriels pour lesquels nous avons réétudié les dossiers de façon transverse et nous avons constaté que cela fonctionnait. Des gains substantiels ont été faits, la cible de 50 % est atteignable.
JA. Lancer 26 voitures d'ici à 2009, n'est-ce pas un peu tard ?
L-A M. Ce qui compte, c'est demain. La vraie question est de déterminer le nombre de voitures dont on a besoin pour réussir le plan. Et les produits constituent la contribution principale à l'engagement de volume du Plan. Est-ce que nous pouvons le faire, et est-ce que nous avons les moyens de le faire sont des questions dont nous avons déjà les réponses. En regardant les dépenses qui ont été faites en 2005 sur le seul poste de l'ingénierie, qui, avec le design, sont le nerf de la guerre, vous pouvez vous rendre compte que l'investissement nécessaire est en court.
JA. Pourtant, on peut se poser la question, pourquoi 26 voitures dans cette période et pourquoi ne pas aller dans une progression plus régulière ?
L-A M. Parce que sur ce sujet précis, par rapport à la façon de planifier antérieure, nous sommes en véritable rupture. Il faut ajouter que cette planification s'appuie sur les trois piliers du groupe que sont Renault, Logan et Samsung Motors.
JA. Carlos Ghosn a aussi insisté sur le fait de relancer le haut de gamme, le problème des réseaux français, n'est-il pas dans leur difficulté à reprendre les hauts de gamme ?
L-A M. La réussite dans le haut de gamme passe par un réseau qui se prépare à le faire, lequel réseau devra mettre les moyens pour y arriver. Le succès viendra si la gamme est attractive et si la valeur du haut de gamme mis sur le marché est à la hauteur sur le plan qualitatif, c'est là, l'engagement n° 1 du Plan : la réussite, ce sera que le réseau n'ait pas de problème de reprise.
JA. Renault a du mal à se faire connaître comme grand constructeur mondial dans certaines parties du globe, qu'est-ce qui est le plus pertinent dans le développement : faire monter la pression médiatique comme l'a fait Carlos Ghosn autour de son Plan auprès de la presse internationale ou encourager la F1 ?
L-A M. Le plus important, c'est le produit. Là où se trouve la force de Renault contrat 2009, c'est le produit. Une marque réussit par les produits, leur rentabilité, le design, leur acceptation par les clients. La force médiatique de la marque, ce sera l'ensemble des produits qui sont prévus au Plan.
Propos recueillis
par Hervé Daigueperce
"Retrouvez ce n° en kiosque jusqu'au 27 avril"
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