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Jean-Pierre Ploue, directeur du style du groupe PSA Peugeot Citroën, Homme de l’Année 2007

Publié le 17 avril 2009

Par Alexandre Guillet
9 min de lecture
"Pour relancer le style Peugeot, nous devrons aller plus vite qu'avec Citroën, nous n'avons pas d'alternative !"Un an après...
...son élection, Jean-Pierre Ploué, devenu dans l'intervalle le boss du style des deux marques de PSA, revient en notre compagnie sur son prix, l'impact de la crise sur son travail, le label DS et la régénération programmée du design de Peugeot. Toujours aussi accessible et enthousiaste, il nous livre aussi sa vision du style de Volkswagen.

Journal de l'Automobile. L'an passé, dans votre discours, vous aviez beaucoup insisté sur la problématique de la reconnaissance de la fonction de designer, la distinction de l'Homme de l'Année a-t-elle eu un quelconque impact dans ce domaine ?
Jean-Pierre Ploué. Au sein du groupe et de la marque Citroën en l'occurrence à l'époque, on parlait depuis plusieurs années déjà de plus en plus du style et de son importance, mais le titre d'Homme de l'Année a encore accéléré les choses, c'est clair. A un moment charnière, cela a renforcé la reconnaissance du travail de notre département. Aujourd'hui, notre travail et nos fonctions sont pleinement reconnus.

JA. Dans le contexte de récession économique sévère que nous connaissons, ne craignez-vous pas que le design perde de l'importance dans l'acte d'achat au profit de motivations plus prosaïques comme la consommation et le prix notamment ?
j-pp. Il est évident que le prix des véhicules et le coût d'utilisation, donc forcément la consommation surtout quand le prix des carburants fluctue, prennent de l'importance par les temps qui courent. Mais c'est parce que les gens n'ont pas le choix et qu'ils ont des contraintes financières grandissantes. Bref, cela ne se fait pas au détriment du design. D'ailleurs, le beau design reste plébiscité, quel que soit le prix du véhicule. C'est ce qui fait souvent la différence, tous segments confondus. En revanche, d'une manière plus générale, on sent bien que les gens revoient leur budget automobile à la baisse ou qu'ils l'envisagent différemment. De nouvelles habitudes apparaissent et on sait pertinemment que les gens ne feront pas marche arrière une fois la crise passée. Il faut donc le prendre en compte dans notre démarche et évoluer de concert avec ces nouveaux modes de consommation automobile. Nous pouvons par exemple nous préparer à travailler globalement sur des véhicules moins chers, mais cela ne remet pas du tout en cause l'importance du style, au contraire.

JA. La situation de crise tend-elle à brider la créativité sur la conduite des projets, afin de privilégier des valeurs refuges et de diminuer le risque ?
j-pp. Non, ce n'est pas le cas. La crise a des effets, mais ils pourraient en fait se traduire par des reports de projets et par une approche différente de certains segments et de certains produits. Sur certains segments par exemple, des prestations doivent impérativement être mises en avant et donc on fait plus de compromis sur le style, mais c'est une adaptation au marché. Et comme je le disais, on sait que le style demeure prépondérant et qu'il peut faire la différence. Sur son segment, en France, la C5 en est la parfaite illustration. En outre, nous préparons aussi l'après-crise, avec de nouveaux modèles à venir, et nous conduisons donc des projets très ambitieux pour les deux marques.

JA. Toutefois, on imagine que la pression sur les coûts est encore plus forte qu'avant, n'est-ce pas ?
j-pp. C'est clair, net et incontestable. Mais tous les constructeurs et tous les bureaux de style sont logés à la même enseigne. Tout le monde cherche à réduire ses prix de revient de fabrication. Mais au sein du groupe, nous savons aussi qu'il ne faut pas mégoter sur certains produits. Le C4 Picasso en est le meilleur exemple et on voit bien que cela paie ! Si vous tirez tout sur vers le bas, de toutes façons, vous allez dans le mur. Crise ou non, il y a des fondamentaux à préserver, surtout qu'il y aura une sortie de crise, même si on ne sait pas la dater avec précision.

JA. Avez-vous beaucoup hésité sur le choix du label DS et quelles sont les valeurs qu'il doit véhiculer ?
j-pp. Cela va peut-être vous surprendre, mais nous n'avons pas vraiment hésité. DS a quasiment fait l'unanimité dès le début au sein de la marque. Même si c'est ambitieux, ce choix s'est imposé comme une évidence. Avec DS, nous reprenons un esprit, un esprit différent. Au-delà de l'enracinement historique, les modèles portant le label DS seront des modèles qui ont une histoire particulière à raconter. L'idée n'était pas de faire un revival à proprement parler. Je me suis toujours méfié des revival même si mon point de vue a un peu changé sur la question…

JA. La notoriété de DS n'est-elle pas cependant un peu trop franco-française ?
j-pp. Certes, elle est principalement franco-française, mais c'est déjà pas mal ! Surtout que la France n'est pas le marché le moins important pour Citroën ! Et puis d'une façon plus générale, on entre dans des terrains de marque plus larges, celui de la console DS et du high-tech en général par exemple, et nous avons les armes pour les investir.

JA. On a le sentiment qu'au-delà de vos marchés traditionnels, le label DS peut être un formidable fer de lance pour Citroën sur les marchés émergents : est-ce à l'ordre du jour ?
j-pp. C'est une piste envisageable. Il est vrai que dans certains pays, cela nous permettrait de frapper les esprits tout en recapitalisant l'image de Citroën. Je pense par exemple à la Chine où l'image de Citroën est un peu ancienne, ce qui s'explique aussi historiquement par le fait que nous sommes arrivés les premiers sur ce marché avec Volkswagen.

JA. Quelles valeurs de marque comptez-vous exploiter pour relancer le style de Peugeot, car il s'agit bien de relance, n'est-ce pas ?
j-pp. Nous avons effectivement besoin d'un nouveau souffle. Au premier chef, il faut conserver les fondamentaux positifs de l'existant : le dynamisme, le côté racé et l'élégance. Il faut ensuite aller encore plus loin et l'élégance doit notamment redevenir vraiment centrale. Par ailleurs, il s'agira aussi de retrouver l'équilibre dans les volumes des modèles et la valeur de francité. Enfin, il faudra doubler ce travail sur la beauté par une démarche inscrite dans la modernité, les nouvelles technologies et l'environnement. Pour nous guider, on peut se remémorer deux icônes récentes de la marque : d'une part, la 406 coupé et d'autre part, la 205, qui a modifié l'ADN de la marque, et la 205 GTI toute en muscles et en énergie communicative.

JA. Peut-on en déduire que la marque Peugeot restera somme toute assez bourgeoise ?
j-pp. Non ! Je n'aime pas du tout ce terme et encore moins ses connotations ! En outre, existe-t-il encore une bourgeoisie en France et en Europe ? Si on admet qu'elle existe encore, elle a bien évolué, se tournant avec gourmandise vers le high-tech et n'hésitant pas à succomber à l'attrait du bling-bling. La bourgeoisie discrète et refermée sur soi d'antan n'existe plus. Non, en fait, là où Citroën joue la surprise, Peugeot va jouer l'élégance, l'équilibre et la beauté racée, dans une interprétation technologique.

JA.
Quelle est à vos yeux la principale difficulté de ce vaste chantier ?
j-pp. Il y en a principalement deux. Tout d'abord, même si je connais l'équipe du style de Peugeot et sa grande valeur depuis longtemps, j'apporte aussi un changement de culture et d'organisation et cela ne peut pas se faire du jour au lendemain. Ensuite, vu que notre projet n'a rien à voir avec la provocation, la recherche du choc ou du rôle de trublion, il va falloir apprendre à gérer la retenue. Il faudra faire des efforts de retenue, car le non-design est parfois fécond et en adéquation avec le positionnement de certaines marques, ce qui ne rime nullement avec banalité ou manque d'ambition, entendons-nous bien.

JA. La revitalisation du style Citroën, spectaculaire aujourd'hui, a tout de même pris du temps, quel est le calendrier prévisionnel que vous retenez pour celle de Peugeot ?
j-pp. Nous devrons aller plus vite, nous n'avons pas d'alternative !!! Chez Citroën, cela a pris environ 4 ou 5 ans, mais nous irons plus vite pour Peugeot. C'est aussi possible car l'image de Peugeot est meilleure que celle de Citroën à l'époque, en 2000, et parce que l'équipe en place est très performante, ce qui n'était pas non plus tout à fait le cas chez Citroën à mon arrivée. Bref, avec Peugeot, nous allons essayer d'aller plus vite et vous aurez des choses à voir, des surprises dès Francfort…

JA. Vous étiez au style Audi quand Martin Winterkorn, Homme de l'Année 2008, présidait aux destinées de la marque : quel souvenir gardez-vous de lui ?
j-pp. Honnêtement, je ne peux pas répondre à cette question car je n'ai pas eu l'occasion de le côtoyer. Je me souviens qu'il venait parfois dans les studios pour regarder les dessins et les maquettes des projets, mais je n'ai jamais vraiment échangé avec lui.

JA. D'un point de vue professionnel, que vous inspire le style de la marque Volkswagen ?
j-pp. C'est une grande et une incontestable réussite, même si c'est plus l'image de marque que le style qui compte. C'est là qu'on mesure l'incroyable force de l'image de cette marque ! En creux, cela renvoie aussi au temps qu'il faut pour construire une image de marque aussi solide. Et cela revient à ce que je disais tout à l'heure, à savoir qu'il y a des design de retenue qui fonctionnent très efficacement. Même si la retenue est en l'occurrence très retenue…

JA. Comment définiriez-vous le style d'Audi ?
j-pp. Avec Audi, on est clairement dans l'élégance et la retenue en version Premium. Et la gamme est très homogène.

JA. Quel regard portez-vous sur le style de Seat ?
j-pp. Je vais utiliser mon joker…

JA. D'une manière générale, quelle est la marque au design le plus fort au sein du groupe Volkswagen ?
j-pp. Même s'il faut bien sûr comparer ce qui est comparable, je dirais que c'est incontestablement Lamborghini. Avec un vrai design de parti pris, très puissant, qui apporte de la magie au sein du groupe. J'aime aussi beaucoup Bugatti, mais pour des raisons plus historiques.

JA. Le mot de la fin ?
j-pp. Quand je me souviens de l'annonce de mon élection l'an dernier, je me rappelle que je m'étais senti mal à l'aise. Mais cela a eu une réelle importance pour la place du design dans le groupe. Je remercie donc le JA et surtout les membres du jury.

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