Une reprise qui incite encore à la prudence
...n'a pas suffi à lever toutes les incertitudes.
Avant de rentrer dans le détail des quatre parties de l'enquête, Jean-André Lasserre, directeur adjoint de l'IPTL et responsable des études et recherches, tient en guise de préambule à définir les contours du panorama de la logistique en 2004 : "En 2004, les responsables logistiques ont clairement fait le choix de la prudence. Ils ont considéré qu'en dépit d'un rebond de l'activité économique, l'horizon n'était pas suffisamment dégagé pour se lancer dans des investissements de capacité. En lieu et place, ils ont opté pour des solutions internes ou externes relevant des formes d'ajustements conjoncturels classiques dans le marché du travail de la logistique". Parmi ces formes d'ajustements, on peut notamment évoquer une progression des solutions de mobilité interne, de la sous-traitance des opérations de transport et de logistique, ou encore du recours à l'intérim. Sur ce dernier point, Jean-André Lasserre précise d'ailleurs que "ce parti pris de la prudence intervient dans une période e renouvellement des contrats avec les prestataires de transport-logistique, ce qui ne va pas sans expliquer le recours par ces derniers à l'intérim de façon plus significative qu'à l'accoutumée".
Une logique de régionalisation, amorcée en 2003, s'est confirmée en 2004
Le premier volet de cette 11e enquête sur les besoins en emplois et formations dans la logistique est consacré aux "espaces logistiques". Dans ce domaine, l'année 2004 a été marquée par une rationalisation des circuits d'approvisionnement et de la sous-traitance. Pour l'industrie automobile, on constate que les principaux fournisseurs étaient ainsi localisés en région (38,3 %), en France (34,3 %), et à l'étranger (27,4 %). "L'année 2004 s'est caractérisée par une augmentation de l'approvisionnement en région, qui se traduit par la progression des fournisseurs régionaux, alors que la tendance antérieure était plutôt à l'élargissement de l'aire d'organisation de la logistique", commentent Jean-André Lasserre et Valérie Castay, chargée d'études. Sur le front des sous-traitants, la localisation pour l'industrie automobile se décline comme suit : 40 % en région, 50,2 % en France, et 9,8 % à l'étranger. Une logique de régionalisation, amorcée en 2003 avec la sous-traitance, se confirme et tend d'ores et déjà à gagner la logistique d'approvisionnement, mais aussi à la logistique client. Pour l'automobile, les clients finaux se trouvaient donc à 7,8 % en région, en progression, à 44,5 % en France, et à 47,7 % à l'étranger. "Le renforcement de la couverture logistique locale est cohérent avec le raccourcissement des délais de livraison demandés par les clients, mais aussi avec la croissance des besoins en services de proximité qui nécessitent de nouveaux relais locaux pour assurer les tâches de contrôle, voire de finition en fin de chaîne et d'interventions auparavant assurées par le producteur, à travers le recours intensif à la différenciation retardée des produits par exemple", explique Jean-André Lasserre. En fait, d'une manière générale, l'enquête révèle un raccourcissement des flux logistiques, qui s'accompagne d'une prise de décision accrue au niveau même de l'établissement (80,6 % pour l'automobile en 2004 contre 56,1 % en 2003 !), et indique que la régionalisation de la logistique repose sur une double inflexion. D'une part, les établissements cherchent à rationaliser les flux en concentrant leurs différents partenaires autour des unités de production ou de distribution. Ce phénomène présente l'intérêt de rapprocher les entreprises des bassins de consommation, mais surtout de les rendre moins sensibles aux effets pervers d'une gestion en flux tendus, que fragilise la distance avec les fournisseurs et les sous-traitants, et ainsi de fiabiliser ces flux. D'autre part, alors que se développent les dépôts multi-pays et les infrastructures mutuelles couvrant plusieurs pays, on peut avancer l'hypothèse que les régions françaises qui bénéficient d'atouts (infrastructures, main d'œuvre qualifiée, potentiel de consommation…) profitent de ces nouvelles implantations.
Tous les établissements automobiles de plus de cent salariés ont aujourd'hui un responsable logistique
Dans un second temps, l'enquête s'attarde sur les organisations et les stratégies logistiques. Au premier chef, il appert que 100 % des établissements de plus de 100 salariés dans l'industrie automobile disposent désormais d'un responsable logistique. Ce taux n'était encore que de 87,9 % en 2002. En revanche, on note une accalmie dans la réorganisation des services liés à la logistique. L'enquête souligne que "cette tendance se vérifie particulièrement pour le secteur automobile, qui accuse les variations les plus fortes et avait connu précédemment les changements les plus nombreux, parvenant ainsi à une forme de rééquilibrage". Ainsi, la proportion des établissements ayant réorganisé leur logistique au cours des trois dernières années s'établit à 36,6 % en 2004, contre 79,3 % en 2003 et 65,5 % en 2002 ! Les motivations qui ont présidé aux réorganisations ont aussi évolué. Les entreprises automobiles se sont focalisées sur le changement de prestataire en 2004, tandis qu'elles avaient privilégié la réorganisation de la logistique client en 2003. "L'importance du nombre de citations relatives au changement de prestataire peut signifier que les établissements sont arrivés en 2004 à la fin d'un cycle de contrats qu'ils ont été amenés à renouveler. Pour autant, il n'est pas certain que le fait de contracter avec un nouveau prestataire amène en soi une rupture dans l'organisation logistique", relativise les auteurs de l'enquête. Par ailleurs, la diversification ou le recentrage de l'activité reste une constante d'une année sur l'autre. Toujours au chapitre de l'organisation, on constate le développement des systèmes d'information et de gestion. Internet est devenu incontournable (taux d'équipement global de 97,8 %), au même titre que l'intranet (76,5 %) et à un degré moindre, de l'EDI (60,8 %). L'ERP (Entreprise Resources Planning) et les systèmes APS (Advanced Planning&Scheduling) connaissent aussi un essor significatif. Enfin, l'enquête met en évidence une progression de la sous-traitance en 2004 après une nette période de recul en 2003. 65,9 % des établissements de l'industrie automobile déclarent ainsi avoir eu recours à sous-traitance de fonctions logistiques en 2004, contre 50 % en 2003. "On sait bien que la sous-traitance réagit toujours à la consommation intérieure. Ce recours à la sous-traitance s'explique par des besoins conjoncturels en entreposage&stockage et en manutention. Parallèlement, le co-manufacturing bondit", explique Jean-André Lasserre, avant d'ajouter : "Par manque de perspectives à moyen terme ou de visibilité sur le caractère durable de la reprise, mais aussi peut-être parce qu'elles ont été prises de vitesse, les entreprises n'ont pas engagé les investissements qui auraient permis d'accroître durablement leurs capacités logistiques, mais ont plutôt retenu l'option de recourir à des modes de production plus flexibles".
Après des recrutements logistiques massifs en 2003, les entreprises automobiles ont nettement marqué le pas en 2004
Les auteurs de l'enquête s'orientent ensuite sur le thème de l'emploi et des recrutements dans le secteur logistique. L'année 2004 se caractérise par une tendance à la baisse des effectifs pour les cadres (7,6 % contre 4,3 % en 2003) et par une stabilité pour les opérateurs (13,6 % de diminution contre 14,5 % en 2003). Il convient ici de rappeler que les opérateurs représentent environ 80 % des emplois logistiques dans l'Hexagone et que le secteur logistique correspond à environ 1,1 million d'emplois dont 500 000 emplois directs. Jean-André Lasserre tient aussi à relever que "la population des techniciens suit d'ordinaire la même évolution que celle des cadres, alors que cette année, elle épouse celle des opérateurs, c'est-à-dire celle de la stabilité". Dans ce contexte de stabilité des effectifs, la mobilité interne s'accroît sans surprise. Ainsi, 34 % des entreprises affirment avoir pourvu des postes par ce biais, contre 28 % en 2003. Au niveau des recrutements à proprement parler, on constate que seulement 10 % des établissements automobiles déclarent avoir embauché en 2004. Cependant, les auteurs de l'enquête soulignent que cette donnée doit être mise en perspective car les entreprises du secteur avaient massivement recruté en 2003 (45 % !). D'un point de vue structurel, l'enquête stigmatise que "la croissance économique n'est plus le premier facteur d'évolution à la baisse ou à la hausse des effectifs logistiques, l'impact des réorganisations logistiques sur l'emploi prenant de l'importance". Par ailleurs, si les difficultés de recrutement persistent dans le secteur, l'industrie automobile semble relativement épargnée. 14 % des entreprises seulement affirment avoir éprouvé des difficultés de recrutement en 2004. Parallèlement, le recours à l'intérim s'intensifie (62,8 % en 2004 contre 60,8 % en 2003). Même si l'intérim fait son apparition pour des postes de cadres, il reste principalement utilisé pour des postes d'opérateurs, surtout pour les opérations de manutentions, de conduite d'engins de manutention et pour l'emballage. Toujours dans une perspective de politique d'emploi, Jean-André Lasserre et Valérie Castay tirent la sonnette d'alarme en indiquant que moins de 20 % des entreprises ont mis en place des mesures pour faire face au vieillissement de leur pyramide des âges. Une donnée inquiétante quand on connaît les projections délivrées récemment par le Commissariat Général du Plan… "Les entreprises n'ont pas de politique arrêtée par rapport à cette problématique. Malheureusement, elles n'anticipent pas les difficultés à venir", glisse Jean-André Lasserre.
Pour la population des opérateurs, le Bac Pro logistique est plébiscité par les recruteurs
Enfin, l'enquête s'achève sur quelques données relatives à la formation. Si l'expérience professionnelle prime toujours pour les recruteurs, un regain d'intérêt pour les formations spécifiques à logistique mérite aussi d'être souligné. Pour les cadres, les diplômes Bac +2 (DUT gestion logistique et transport, TSMEL…) reprennent le dessus sur les candidats issus des écoles spécialisées en logistique délivrant des diplômes de niveau Bac +4 (Isteli, Cerelog, Esli, Isli, Isel…). "Les recruteurs privilégient délibérément les formations les plus opérationnelles", constate Jean-André Lasserre. Disponibles depuis peu, les licences professionnelles font une percée notable et cette émergence risque fort de se confirmer au détriment des écoles spécialisées à Bac +4. En ce qui concerne les opérateurs, les recruteurs embauchent une main d'œuvre de plus en plus qualifiée. Le Bac Pro logistique est plébiscité, devant le BEP logistique et commercialisation. D'une manière générale, Jean-André Lasserre constate que "les entreprises connaissent plutôt mal la structure de l'offre de formation initiale de leur secteur". Un phénomène qui se vérifie aussi par rapport au catalogue de formation continue. La formation continue a connu un net recul en 2004 : 47 % des entreprises ont réalisé des formations continues contre 57 % en 2003. Au final, Jean-André Lasserre indique que "l'absence de visibilité à moyen terme ne favorise guère l'anticipation dans les recrutements ou encore dans le développement des compétences". D'ailleurs, sauf confirmation évidente et durable de reprise économique, 80 % des entreprises annoncent la poursuite d'une politique de prudence et de stabilité cette année, principalement sur le front de l'emploi.
A.G.
*L'enquête logistique est basée sur une population de référence de 6 600 établissements de taille égale ou supérieure à 100 salariés répartis sur tout l'Hexagone et appartenant à six secteurs d'activité, dont l'industrie automobile, retenus en raison notamment de leur poids en effectifs logistiques. L'échantillon de la 11e enquête, sélectionné à partir des statistiques de l'Unedic, comporte 630 établissements, soit 5 % de plus qu'en 2003.
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