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L’e-commerce, beaucoup de questions, des débuts de réponses

Publié le 14 novembre 2013

Par Gredy Raffin
10 min de lecture
Pourquoi l’automobile est-elle le dernier secteur à ne pas avoir intégré l’e-commerce de manière concrète à ses canaux de distribution ? A priori pour des raisons de prudence ou de conservatisme. Mais depuis quelques mois, les initiatives se multiplient et attirent l’attention.
Pourquoi l’automobile est-elle le dernier secteur à ne pas avoir intégré l’e-commerce de manière concrète à ses canaux de distribution ? A priori pour des raisons de prudence ou de conservatisme. Mais depuis quelques mois, les initiatives se multiplient et attirent l’attention.

Imaginez la scène. Vous circulez dans les rayons d’un supermarché, poussant votre chariot. Là, un produit vous interpelle, au sens propre du terme. Il y parvient en diffusant un film publicitaire ou une promotion contextuelle. Comment cela se fait-il ? Ce bidon de lessive ou cette boîte de conserve vous a reconnu, a établi votre sexe, a estimé votre âge, a anticipé votre besoin… Ce concept fou d’objets intelligents et connectés vient de voir le jour aux Etats-Unis. Il est l’œuvre de Mondelez, le groupe qui fabrique les biscuits Oreo. Délire d’artiste ou extravagance d’une équipe marketing, l’idée a, au moins, le mérite de pousser à la réflexion. Les supermarchés, justement, un univers qui semblait immuable. Un système qui a su pourtant se remettre en question, au moment où cela devenait nécessaire. Dans un premier temps, ils ont bien imaginé prendre position sur l’automobile, finalement on les aura vus se relancer avec les “drive”. Et les chiffres dépassent toutes les prévisions : en 2012, la barre des 2 milliards d’euros initialement anticipés par les analystes a été largement dépassée. Nul besoin d’aller loin pour en trouver la raison, ils ont su répondre à une attente. Qu’on ne s’y trompe pas, transposer un tel schéma à la distribution automobile ne saurait être à l’ordre du jour. Cocher des cases et payer en ligne avant de passer récupérer son véhicule en point de retrait relève de la science-fiction, sinon de l’inimaginable.

Pourtant, des experts de l’automobile jugent la chose plausible. Un constructeur l’aurait étudiée il y a quelques années à peine. Mandatant un cabinet spécialisé, il avait imaginé s’affranchir d’un réseau de distribution traditionnel et proposer ses produits en ligne. Il aurait confié la logistique à un prestataire et l’entretien à des réparateurs agréés – aux frais fixes moindres. Après calcul, il se dit que l’équation fonctionne. L’économie des primes, du financement des stocks et autres soutiens normalement accordés aux distributeurs finançait la chaîne de valeur, le tout sans entamer la perception du service par le client ni la profitabilité. “Mais pour exister, toute marque doit avoir un réseau physique”, contrecarre un analyste. Ce dernier accorde toutefois du crédit à la thèse et s’interroge sur l’opportunité que cela représente pour des constructeurs en quête de parts de marché en Europe, tels Cadillac, Fisker, les Chinois ou Tesla, le révolutionnaire dans l’âme.

Le tout digital n’a aucun avenir. Le tout physique n’en a plus

Les consommateurs automobiles veulent toujours se rendre en point de vente pour finaliser leur achat, les résultats d’études sont formels, quand bien même 90 % d’entre eux entament leur parcours sur Internet. Mais pour combien de temps ? Qui aurait cru, il y a dix ans en arrière, que le Net prendrait une telle ampleur, et qui peut donc réellement savoir quelle place il tiendra d’ici la fin de la décennie ? Le rapport à l’automobile change et, avec le renouvellement des générations, les habitudes de consommation aussi. Rien ne se fera dans l’immédiat car, rappelons-le, le client VN en France a environ 50 ans en moyenne. Il garde certains repères et ne les changera certainement pas. “On espère que le modèle classique durera, car rien ne nous oblige à accélérer le progrès”, revendique un distributeur du nord-est de la France.

Le tout digital n’a aucun avenir. Le tout physique n’en a plus. Si les pure-players l’ont compris, les concessionnaires hésitent. “En réalité, les professionnels de l’automobile ne sont pas encore prêts, juge François Cormier, directeur marketing d’Ubiflow. L’automobile a été précurseur dans la gestion de la relation client et la constitution de bases de données, mais elle manque encore de maturité sur les services en ligne. En comparaison, l’immobilier, l’autre grand poste de dépense des ménages, se montre plus structuré, avec des agences digitales qui existent depuis longtemps.” Et Charles Forget, directeur de la division automobile du cabinet Equancy, de tempérer : “Les marques ont investi dans des réseaux physiques et ne peuvent tout détruire subitement.” Certes, mais cela ne justifie pas que des professionnels de la vente de véhicules ignorent encore jusqu’à la possibilité de mettre leurs stocks de produits en ligne, comme c’est encore le cas selon des observateurs. Et un analyste de dépeindre une inquiétante réalité : “Les concessionnaires ne prennent pas le temps de s’organiser, de se former, ni de s’équiper pour faire face aux enjeux.”

D’abord le VO, ensuite le VN ?

Il y a pourtant une notion d’impératif, comme le croit Xavier Cotelle, le fondateur de Bee2Link : “Nous voyons aux Etats-Unis et depuis peu en Europe que des nouveaux entrants s’apprêtent à constituer de puissantes places virtuelles de marché dédiées au VO. S’ils ne réagissent pas, les distributeurs finiront par le regretter.” La crise frappe et amène avec elle son lot d’incertitudes, d’où l’inertie apparente dans l’Hexagone. Un trompe-l’œil qui cache de plus en plus de mouvements. “Il y a eu une prise de conscience chez les grands groupes, remarque Yves Delieuvin, président du groupe éponyme. L’e-commerce est une opportunité, et ne pas la considérer serait suicidaire, mais il ne faut pas se réduire au statut de simple centre de livraison.” Ce dernier reconnaît ne pas compter parmi les plus avancés sur le sujet, mais confirme son implication depuis près de dix-huit mois. En complément des efforts de ces constructeurs, notamment de Renault, l’accent a été mis en priorité sur la notoriété en ligne. “Après étude, nous avons noté que 60 % des groupes majeurs n’étaient pas à la hauteur. Nous étions nous-mêmes catastrophiques”, estime-t-il. Depuis que ses équipes ont œuvré, il a “significativement” amélioré ses résultats et, en bout de chaîne, la rotation de son stock d’occasions. Il compte maintenant moins de 12 produits de plus de 6 mois dans tout le groupe. La qualité du référencement, c’est une première partie du vaste chantier qu’est en train d’achever le groupe Jean Lain. “Nous travaillons le référencement et ne souhaitons pas faire de vente en ligne pour le moment, confirme Philippe Bette, son responsable marketing. Nous préparons notre stratégie, il y a beaucoup de questions et ne pensons pas être prêts avant trois ou quatre ans.”

Le Peugeot Webstore prouve l’engagement des constructeurs. Mais quand l’e-commerce naît d’une initiative distributeur, quel est le produit qui doit en profiter ? A priori le VO, à en croire les investisseurs sondés. Prenons en exemple le projet fraîchement abouti du groupe Tressol-Chabrier, dont le site Auto-web.fr propose de nombreux services autour du VO, de la cotation à la vente en passant par la reprise immédiate. Mais le VN peut aussi entrer en ligne de compte, comme sur le site Bodemerauto.com, du groupe Bodemer. Le client a alors de la visibilité sur le stock, sur les arrivages immédiats et sur les modalités de financement. De surcroît, moyennant versement d’une somme allant de 90 à 150 euros, le système s’engage à bloquer le produit jusqu’à cinq jours.

Un autre grand groupe du Top 10 travaillerait actuellement à un projet qui, à long terme, intégrera le VN en plus du VO. Mais pour Xavier Cotelle, son prestataire et conseil, il convient d’en rester à une logique de préparation d’achat, car la problématique est complexe à résoudre, en ce sens que la vente de VN en ligne sous-entend une mise en avant de rabais substantiels, de l’ordre de 20 à 30 %, et risque d’assimiler le distributeur à un “discounter”, sur sa zone de chalandise. Tel est l’un des pièges du commerce en ligne : le client vient chercher un prix.

La limite des ventes privées

Jouer sur les terres des mandataires avec une entité indépendante ? Un pari risqué et surtout mal vu des constructeurs, à juste titre. Une idée alternative émerge alors, il s’agit des ventes privées. A l’instar du groupe Kroely en 2012 avec le VO, de grands groupes s’y sont essayés au cours de cet été, notamment accompagnés de l’agence Canal-Web qui a développé une solution protéiforme. “Les ventes privées sont plus élitistes, plus confidentielles. Elles limitent la destruction de valeur, car les remises arrêtées coupent court aux négociations”, estime Emmanuel de la Bouillerie, le fondateur de Canal-Web. Toutefois, ce dernier semble faire preuve de retenue : “Ces opérations sont plus porteuses à l’après-vente qu’au VN ou au VO, et nous allons en démarrer très prochainement avec des grands groupes.” Pourquoi une telle manœuvre ? Parce qu’il juge que le paiement en ligne n’a jamais marché et que la prime d’immobilisation n’offre pas pleine satisfaction. Un point sur lequel il rejoint Henri-Pierre Hervé de Peugeot Citroën Retail (voir ci-contre) : “Nous en resterons à la génération de contacts qualifiés”, tranche ce dernier.

Les ressources, un contre-argument

Sans aller parler de boîte de Pandore, enquêter sur l’e-commerce soulève bien des interrogations au sein des réseaux des constructeurs. Dacia, qui s’y est entraîné à l’étranger (au Royaume-Uni, aux Pays-Bas et en Italie), n’a, au mieux, que créé le buzz avec des volumes jugés “anecdotiques” par les porte-parole. “Ce canal est propice aux gens rompus à l’achat en ligne ou faisant preuve de détachement vis-à-vis de l’auto”, juge Charles Forget, le directeur d’Equancy. Culturelles d’abord, les problématiques relèvent ensuite de la technique, comme le souligne Thibaut Chassagne, de NeoWebcar : “Aujourd’hui, le principal frein au développement des ventes de VN sur le Net est technique, à savoir qu’il est difficile de basculer son stock de voitures en ligne. Il n’existe pas de passerelles avec les DMS comme pour le VO. Cela représente un apprentissage long et des investissements technologiques conséquents. Les groupes n’ont pas les moyens de recruter des développeurs.” On parle de somme allant de 6 000 à 35 000 euros pour le développement et de centaines d’euros de coûts mensuels d’entretien.

Les ressources, un contre-argument qui agace certains consultants : “Un showroom de 500 m2 coûte environ 1,5 million d’euros. Au lieu de construire des cathédrales qui sont vides de clients une grande partie de la journée, les réseaux pourraient financer leurs investissements Internet avec une partie de cet argent.” Qui va piano va sano. Mais sur-abreuvés d’études concordantes, les distributeurs n’ont plus le temps de prendre la mesure. Toutes les invitent à accélérer la manœuvre.

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L’avis de… Thibault Chassagne, co-fondateur de Neowebcar

“Nous observons une demande forte et croissante de la part des particuliers pour accéder en ligne à une offre de voitures neuves émanant des concessionnaires. C’est une certitude. En revanche, du côté des distributeurs, il y a encore du travail à accomplir. Actuellement, encore un lead sur trois n’est pas traité, et si nous ajoutons les leads “mal traités”, nous montons à deux sur trois, ce qui est énorme. Toutefois, nous relevons un changement d’état d’esprit et une prise de conscience grandissante des professionnels pour la logique de WebToStore, et cela se traduit par un impact dans l’organisation des points de vente. Ainsi, nous avons vu se créer des cellules de gestion des leads ainsi que des structures de business développement pour prendre des rendez-vous pour les vendeurs, des groupes recrutent des Web sellers et d’autres sous-traitent la gestion des leads à des sociétés spécialisées. Certes, cela représente un coût de structurer son organisation commerciale, mais cette transition est aujourd’hui indispensable pour un groupe s’il veut être performant dans les prochaines années.”

 

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