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L’abonnement automobile fait son chemin

Publié le 8 novembre 2021

Par Catherine Leroy
11 min de lecture
Le monde du financement automobile est en pleine effervescence. Constructeurs, distributeurs, loueurs et sociétés de financement avancent leurs pions sur un terrain de l'abonnement automobile qui grandit, mais qui pourrait s’avérer risqué.
L’abonnement automobile pourrait représenter 15 % des ventes de voitures neuves en Europe

L’abonnement : phénomène de mode ou nouvelle façon de consommer ? L’accès à la téléphonie portable avait déjà creusé un sillon dans la société. Netflix et les autres plateformes de streaming à la demande ont définitivement ouvert la brèche. À tel point que la grande distribution se positionne également sur des offres d’abonnement. Carre­four, Casino et Monoprix ayant lancé un test à destination de leurs clients depuis quelques jours.

 

Et dans l’au­tomobile ? Le secteur n’échappe pas à la tendance, bien sûr. Une récente étude réalisée par le Boston Consul­ting Group prévoit même que le marché de l’abonnement automobile pourrait atteindre en valeur 40 mil­liards de dollars en Europe et aux États‑Unis d’ici 2030. Une formule qui, en volume, concernerait 15 % des ventes de voitures neuves, soit 5 à 6 millions d’abonnements. L’Eu­rope pourrait notamment devenir le plus grand marché de l’abonnement.

 

Sur le Vieux Continent, le premier constructeur à lancer ce type de formules est Lynk & Co, la marque appartenant au constructeur chinois Geely. Déjà présent à Amsterdam, aux Pays‑Bas, à Anvers en Belgique et prochainement en France, le mo­dèle de distribution de Lynk & Co se base sur un abonnement sans engagement qui comprend la loca­tion, tous les services inclus, d’un véhicule pour un montant mensuel de 500 euros. Depuis ces annonces, les tentatives se multiplient sur ce segment de la location sans engage­ment. "Le sans engagement est au­jourd’hui dans l’air du temps", nous indiquait récemment Lionel French Keogh, président de Hyundai Mo­tor France.

 

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Après Seat, le construc­teur coréen est le deuxième acteur qui communique fortement sur ce service. "Le sans engagement conci­lie la liberté de la location de courte durée avec des mensualités mesurées de la location de longue durée", ré­sume‑t‑il. Ainsi, Hyundai propose de rendre sans frais le véhicule après six mois "pour éviter les effets d’au­baine", note Lionel French Keogh, quand Seat a fixé le retour possible au bout du 31e jour du contrat et Fiat, douze mois, pour ne citer que ces marques.

Changer sa voiture selon ses besoins

 

Ainsi, tous les types de formules co­habitent en ce moment. Entre le faux sans engagement qui pénalise quand même l’automobiliste qui rend le vé­hicule avant la date fixée à l’avance, le contrat qui court sur une année minimum et la location de courte et moyenne durée, toutes les solu­tions existent et surtout se testent. Le mouvement n’est pourtant pas si nouveau.

 

Il y a quelques années, le loueur Europcar avait lancé la loca­tion à la carte – la formule s’appelle désormais DuoFlex – avec la possi­bilité de changer de véhicule selon ses besoins (un SUV pour l’hiver à la montagne, un cabriolet pour les week‑ends du printemps et un monospace pour les vacances en famille). Mais l’offre, très onéreuse pour les clients, ne génère que peu d’enthousiasme.

 

"Cette solution est toujours difficile à rentabiliser, ex­plique Philippe Botton, fondateur du loueur de moyenne durée Roulenloc. La marge se génère sur la durée du contrat. Ce type de for­mules ne fonctionne pas sur la valeur résiduelle du modèle comme d’ha­bitude, mais plutôt sur la vie totale de la voiture. Pourtant, la multimo­bilité, type Netflix, est inéluctable." Le fondateur du loueur de moyenne durée vient, en effet, de lancer une offre sans engagement à partir de sa plateforme roulenloc.com. "Difficile d’établir une règle précise, mais d’une manière générale, la durée minimale démarre à 7 ou 8 mois d’abonnement. Deux types de clientèles font appel à notre offre : ceux qui hésitent avec une location de courte durée, car leur be­soin est vraiment ponctuel et les pro­fessionnels, par exemple, qui partent sur une mission dont le terme arrive au bout de moins d’un an", poursuit Philippe Botton.

 

Business model différent

 

L’étude du Boston Consulting Group aborde justement le modèle éco­nomique de ces formules, dont la rentabilité n’est pas toujours au ren­dez‑vous. "La manière dont les four­nisseurs de services gèrent leur appro­visionnement en véhicules est d’une importance cruciale pour leur réussite financière. Certains, comme la société allemande Cluno, achètent la plupart des véhicules. Les coûts de ces derniers pour une entreprise d’abonnement re­présentent environ 50 % des revenus, de sorte qu’un achat judicieux contri­bue considérablement à la valeur. Une remise de 20 % sur les achats peut améliorer la marge brute de 10 %", précise l’étude.

 

Pour autant, ce marché pourrait être entravé par de nombreuses contraintes. Les coûts plus élevés, les offres monomarques, le manque de plateformes numériques conviviales pour changer facilement de modèle constituent des freins pour le consommateur et une rentabilité en berne pour les opérateurs. Or, le seul moyen de trouver un équilibre financier et même une marge né­cessite de changer l’esprit de son bu­siness model.

 

Si la notion de valeur résiduelle est à oublier, celle de taux d’utilisation doit être retenue, à l’ins­tar des loueurs de courte durée. Pour rentabiliser une offre d’abonnement, le taux d’utilisation de la voiture, tout au long de sa vie, doit atteindre au moins 80 %. Rien de pire qu’un véhi­cule qui dort dans un parking ! C’est d’ailleurs sur ce taux d’utilisation que le modèle de Lynk & Co a été construit. Le client n’aura pas forcé­ment un véhicule neuf mais juste une voiture, qui a d’ailleurs certaine­ment été louée le mois précédent par un autre automobiliste. Une stratégie qui se complète par des possibilités d’autopartage pour les abonnés afin de limiter le loyer.

 

Un pari audacieux puisque, pour l’instant, les offres se heurtent à la réalité du terrain. Nis­san, fin 2016, avait testé auprès des locataires d’une nouvelle Micra la possibilité de la partager avec leurs voisins grâce à une application bapti­sée GoMore. Très vite, le constat est sans appel, car dans la pratique, très peu de clients souhaitent partager leur véhicule.

 

Les constructeurs ont été parmi les premiers à proposer des offres d’abonnement. Mais celles‑ci ont également permis l’émergence d’un tissu de start‑up : Fair, Cluno, Dro­ver ou encore Bipi, plateforme qui vient d’être récemment rachetée par RCI Bank and Services. Cazoo, le vendeur britannique de voitures en ligne est entré sur le marché des abonne­ments en rachetant Drover (en dé­cembre 2020), qui en France opérait avec BMW entre autres, puis Cluno (en février 2021).

 

 

La formule d'abonnement lancée par Roulenloc propose trois catégories de véhicules.

 

Dans sa communication, RCI Bank and Services explique que l’inté­gration de Bipi au sein de son uni­vers contribuera à la concrétisation de la stratégie du groupe Renault et particulièrement de sa marque Mobilize, fondée en janvier 2021. En effet, l’entité hispano‑française participera au développement d’offres toujours plus flexibles et basées sur les besoins de mobilité émergents, à mi‑chemin entre la LLD/LOA et la location courte du­rée. Les experts s’accordant à dire que ce modèle économique pourrait accaparer une part significative dans le mix des solutions de financement retenues par les consommateurs. La prise de participation récente dans la plateforme de vente de véhicules d’occasion Heycar devrait également concourir au déploiement des offres d’abonnement.

 

"Les synergies entre Bipi et Heycar sont assez évidentes, même si elles ne sont pas indispen­sables pour le développement de ces deux plateformes. La transaction avec Heycar est en cours de valida­tion, mais nous envisageons bien sûr de proposer des offres d’abonnement sur Heycar, avec l’expertise de Bipi", avance João Leandro, directeur gé­néral de RCI Bank and Services. Bipi gardera l’agilité d’une start‑up avec une autonomie de développement, mais l’objectif est également de trou­ver des schémas de complémentarité avec le réseau de distribution. Du côté de Stellantis, l’offre passe par Free2move et le service Car On Demand qui se déploie désormais au Royaume‑Uni et en Allemagne, après un lancement en France, Es­pagne, Portugal et aux États‑Unis.

 

Le client comme juge de paix

 

Les sociétés de financement, de leur côté, ne sont pas en reste. BNP Pari­bas Personal Finance a notamment été à l’origine de l’offre sans engagement proposée par Hyundai. "La formule de l’abonnement et celle de la LOA plus classique existent à notre catalogue. Ce sont deux systèmes un peu si­milaires, mais nous devons être vigi­lants pour que le prix de la liberté prônée par les consommateurs ne soit pas rédhibitoire, affirme Christophe Michaëli, directeur du marché auto­mobile pour la France. Toute la diffi­culté et l’enjeu sont de trouver un équi­libre pour garder des offres compétitives." Ainsi, les frontières entre la location de courte durée, de longue durée et la location avec option d’achat ne sont plus étanches.

 

Mais se­lon Christophe Michaëli, la réalité éco­nomique de l’usage du véhicule repose sur le coût de la location de courte du­rée. "Sur cette base, il faut bien com­prendre que le juge de paix sera le client. L’objet de la LOA sans engagement est aussi d’apprendre et pour cela, nous de­vons également accepter de nous trom­per."

 

Des offres adaptées au véhicule d’occasion

 

Jean‑Claude Puerto, fondateur et dirigeant d’Ucar, reste un fin connaisseur de ces sujets sociétaux, mais aussi économiques liés à la loca­tion et au partage des véhicules. En juin 2019, il lançait son offre Ucar2Share avec une proposition al­léchante : louer une Fiat Panda pour 49 euros par mois, à condition de mettre son véhicule à disposition d’autres locataires pendant sept jours par mois.

 

"Les consommateurs bougent, leurs besoins évoluent et viennent modifier la relation qu’ils souhaitent. Nous avons un enjeu de production de services et de contrac­tualisation de ces derniers. Mais aujourd’hui, aucun acteur ne peut le faire seul. Nous parlons ici d’un enjeu de financement, de scoring et de plateforme. Mais le sujet est très complexe et personne ne sait qui va sortir vainqueur", indique‑t‑il. Une mutualisation des connaissances à laquelle s’ajoute également le su­jet de l’assurance automobile. Pour CGI Finance, les offres d’abonne­ment sont typiquement adaptées aux véhicules d’occasion. "Si un client cherche un abonnement mensuel, c’est qu’il ne souhaite pas une marque ou un modèle spécifiques, mais bien une offre de mobilité. C’est également une opportunité pour le distributeur auto­mobile qui peut ainsi rendre roulant son stock de véhicules d’occasion. Tous les groupes de distribution sont très à l’écoute actuellement concernant ce type d’offres, précisent Jean‑François Marchand et Ludovic Van de Voorde, respectivement directeur automobile et directeur général de CGI Finance. L’abonnement renforce la mutation de la logique de propriété enclenchée par la LOA au détriment du crédit sec il y a quelques années." Mais dans tous les cas, l’abonnement pourrait être très utile aux groupes de distribution.

 

A lire aussi : BYmyCAR lance sa formule d'abonnement

 

Ces derniers ne cachent pas leur in­térêt d’ailleurs. Et pour de nombreux professionnels du secteur, il s’agit éga­lement d’une réponse à la volonté de nombreux constructeurs de passer d’un contrat de distributeur à celui d’agent, avec notamment la perte du choix du partenaire financier sur les ventes. L’abonnement, dans un sens, permettrait de sécuriser le business model du financement dans le pay­sage de la distribution automobile, qui est essentiel à la rentabilité des groupes. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que Jean‑Hugues Delvolvé, ex‑directeur général de CGI Finance, est devenu, à la fin de l’été, directeur de la division financement du groupe BYmyCAR.

 

"Les réseaux de distribu­tion sont les mieux placés, car ils dis­posent d’une véritable proximité avec les clients sur le territoire. De plus, ils ont une parfaite maîtrise des process de rachat de véhicules et de remarketing. Les distributeurs seront les gagnants de cette évolution", observe ce dernier. Reste à connaître l’impact de l’élec­trification des gammes des construc­teurs. Si l’abonnement semble la formule idéale pour le véhicule élec­trique, il se heurte cependant à une barrière de taille : pour bénéficier du bonus écologique, le véhicule électrique doit être gardé au moins 24 mois par le client. À moins que la législation évolue…

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