L’abonnement automobile fait son chemin
L’abonnement : phénomène de mode ou nouvelle façon de consommer ? L’accès à la téléphonie portable avait déjà creusé un sillon dans la société. Netflix et les autres plateformes de streaming à la demande ont définitivement ouvert la brèche. À tel point que la grande distribution se positionne également sur des offres d’abonnement. Carrefour, Casino et Monoprix ayant lancé un test à destination de leurs clients depuis quelques jours.
Et dans l’automobile ? Le secteur n’échappe pas à la tendance, bien sûr. Une récente étude réalisée par le Boston Consulting Group prévoit même que le marché de l’abonnement automobile pourrait atteindre en valeur 40 milliards de dollars en Europe et aux États‑Unis d’ici 2030. Une formule qui, en volume, concernerait 15 % des ventes de voitures neuves, soit 5 à 6 millions d’abonnements. L’Europe pourrait notamment devenir le plus grand marché de l’abonnement.
Sur le Vieux Continent, le premier constructeur à lancer ce type de formules est Lynk & Co, la marque appartenant au constructeur chinois Geely. Déjà présent à Amsterdam, aux Pays‑Bas, à Anvers en Belgique et prochainement en France, le modèle de distribution de Lynk & Co se base sur un abonnement sans engagement qui comprend la location, tous les services inclus, d’un véhicule pour un montant mensuel de 500 euros. Depuis ces annonces, les tentatives se multiplient sur ce segment de la location sans engagement. "Le sans engagement est aujourd’hui dans l’air du temps", nous indiquait récemment Lionel French Keogh, président de Hyundai Motor France.
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Après Seat, le constructeur coréen est le deuxième acteur qui communique fortement sur ce service. "Le sans engagement concilie la liberté de la location de courte durée avec des mensualités mesurées de la location de longue durée", résume‑t‑il. Ainsi, Hyundai propose de rendre sans frais le véhicule après six mois "pour éviter les effets d’aubaine", note Lionel French Keogh, quand Seat a fixé le retour possible au bout du 31e jour du contrat et Fiat, douze mois, pour ne citer que ces marques.
Changer sa voiture selon ses besoins
Ainsi, tous les types de formules cohabitent en ce moment. Entre le faux sans engagement qui pénalise quand même l’automobiliste qui rend le véhicule avant la date fixée à l’avance, le contrat qui court sur une année minimum et la location de courte et moyenne durée, toutes les solutions existent et surtout se testent. Le mouvement n’est pourtant pas si nouveau.
Il y a quelques années, le loueur Europcar avait lancé la location à la carte – la formule s’appelle désormais DuoFlex – avec la possibilité de changer de véhicule selon ses besoins (un SUV pour l’hiver à la montagne, un cabriolet pour les week‑ends du printemps et un monospace pour les vacances en famille). Mais l’offre, très onéreuse pour les clients, ne génère que peu d’enthousiasme.
"Cette solution est toujours difficile à rentabiliser, explique Philippe Botton, fondateur du loueur de moyenne durée Roulenloc. La marge se génère sur la durée du contrat. Ce type de formules ne fonctionne pas sur la valeur résiduelle du modèle comme d’habitude, mais plutôt sur la vie totale de la voiture. Pourtant, la multimobilité, type Netflix, est inéluctable." Le fondateur du loueur de moyenne durée vient, en effet, de lancer une offre sans engagement à partir de sa plateforme roulenloc.com. "Difficile d’établir une règle précise, mais d’une manière générale, la durée minimale démarre à 7 ou 8 mois d’abonnement. Deux types de clientèles font appel à notre offre : ceux qui hésitent avec une location de courte durée, car leur besoin est vraiment ponctuel et les professionnels, par exemple, qui partent sur une mission dont le terme arrive au bout de moins d’un an", poursuit Philippe Botton.
Business model différent
L’étude du Boston Consulting Group aborde justement le modèle économique de ces formules, dont la rentabilité n’est pas toujours au rendez‑vous. "La manière dont les fournisseurs de services gèrent leur approvisionnement en véhicules est d’une importance cruciale pour leur réussite financière. Certains, comme la société allemande Cluno, achètent la plupart des véhicules. Les coûts de ces derniers pour une entreprise d’abonnement représentent environ 50 % des revenus, de sorte qu’un achat judicieux contribue considérablement à la valeur. Une remise de 20 % sur les achats peut améliorer la marge brute de 10 %", précise l’étude.
Pour autant, ce marché pourrait être entravé par de nombreuses contraintes. Les coûts plus élevés, les offres monomarques, le manque de plateformes numériques conviviales pour changer facilement de modèle constituent des freins pour le consommateur et une rentabilité en berne pour les opérateurs. Or, le seul moyen de trouver un équilibre financier et même une marge nécessite de changer l’esprit de son business model.
Si la notion de valeur résiduelle est à oublier, celle de taux d’utilisation doit être retenue, à l’instar des loueurs de courte durée. Pour rentabiliser une offre d’abonnement, le taux d’utilisation de la voiture, tout au long de sa vie, doit atteindre au moins 80 %. Rien de pire qu’un véhicule qui dort dans un parking ! C’est d’ailleurs sur ce taux d’utilisation que le modèle de Lynk & Co a été construit. Le client n’aura pas forcément un véhicule neuf mais juste une voiture, qui a d’ailleurs certainement été louée le mois précédent par un autre automobiliste. Une stratégie qui se complète par des possibilités d’autopartage pour les abonnés afin de limiter le loyer.
Un pari audacieux puisque, pour l’instant, les offres se heurtent à la réalité du terrain. Nissan, fin 2016, avait testé auprès des locataires d’une nouvelle Micra la possibilité de la partager avec leurs voisins grâce à une application baptisée GoMore. Très vite, le constat est sans appel, car dans la pratique, très peu de clients souhaitent partager leur véhicule.
Les constructeurs ont été parmi les premiers à proposer des offres d’abonnement. Mais celles‑ci ont également permis l’émergence d’un tissu de start‑up : Fair, Cluno, Drover ou encore Bipi, plateforme qui vient d’être récemment rachetée par RCI Bank and Services. Cazoo, le vendeur britannique de voitures en ligne est entré sur le marché des abonnements en rachetant Drover (en décembre 2020), qui en France opérait avec BMW entre autres, puis Cluno (en février 2021).
Dans sa communication, RCI Bank and Services explique que l’intégration de Bipi au sein de son univers contribuera à la concrétisation de la stratégie du groupe Renault et particulièrement de sa marque Mobilize, fondée en janvier 2021. En effet, l’entité hispano‑française participera au développement d’offres toujours plus flexibles et basées sur les besoins de mobilité émergents, à mi‑chemin entre la LLD/LOA et la location courte durée. Les experts s’accordant à dire que ce modèle économique pourrait accaparer une part significative dans le mix des solutions de financement retenues par les consommateurs. La prise de participation récente dans la plateforme de vente de véhicules d’occasion Heycar devrait également concourir au déploiement des offres d’abonnement.
"Les synergies entre Bipi et Heycar sont assez évidentes, même si elles ne sont pas indispensables pour le développement de ces deux plateformes. La transaction avec Heycar est en cours de validation, mais nous envisageons bien sûr de proposer des offres d’abonnement sur Heycar, avec l’expertise de Bipi", avance João Leandro, directeur général de RCI Bank and Services. Bipi gardera l’agilité d’une start‑up avec une autonomie de développement, mais l’objectif est également de trouver des schémas de complémentarité avec le réseau de distribution. Du côté de Stellantis, l’offre passe par Free2move et le service Car On Demand qui se déploie désormais au Royaume‑Uni et en Allemagne, après un lancement en France, Espagne, Portugal et aux États‑Unis.
Le client comme juge de paix
Les sociétés de financement, de leur côté, ne sont pas en reste. BNP Paribas Personal Finance a notamment été à l’origine de l’offre sans engagement proposée par Hyundai. "La formule de l’abonnement et celle de la LOA plus classique existent à notre catalogue. Ce sont deux systèmes un peu similaires, mais nous devons être vigilants pour que le prix de la liberté prônée par les consommateurs ne soit pas rédhibitoire, affirme Christophe Michaëli, directeur du marché automobile pour la France. Toute la difficulté et l’enjeu sont de trouver un équilibre pour garder des offres compétitives." Ainsi, les frontières entre la location de courte durée, de longue durée et la location avec option d’achat ne sont plus étanches.
Mais selon Christophe Michaëli, la réalité économique de l’usage du véhicule repose sur le coût de la location de courte durée. "Sur cette base, il faut bien comprendre que le juge de paix sera le client. L’objet de la LOA sans engagement est aussi d’apprendre et pour cela, nous devons également accepter de nous tromper."
Des offres adaptées au véhicule d’occasion
Jean‑Claude Puerto, fondateur et dirigeant d’Ucar, reste un fin connaisseur de ces sujets sociétaux, mais aussi économiques liés à la location et au partage des véhicules. En juin 2019, il lançait son offre Ucar2Share avec une proposition alléchante : louer une Fiat Panda pour 49 euros par mois, à condition de mettre son véhicule à disposition d’autres locataires pendant sept jours par mois.
"Les consommateurs bougent, leurs besoins évoluent et viennent modifier la relation qu’ils souhaitent. Nous avons un enjeu de production de services et de contractualisation de ces derniers. Mais aujourd’hui, aucun acteur ne peut le faire seul. Nous parlons ici d’un enjeu de financement, de scoring et de plateforme. Mais le sujet est très complexe et personne ne sait qui va sortir vainqueur", indique‑t‑il. Une mutualisation des connaissances à laquelle s’ajoute également le sujet de l’assurance automobile. Pour CGI Finance, les offres d’abonnement sont typiquement adaptées aux véhicules d’occasion. "Si un client cherche un abonnement mensuel, c’est qu’il ne souhaite pas une marque ou un modèle spécifiques, mais bien une offre de mobilité. C’est également une opportunité pour le distributeur automobile qui peut ainsi rendre roulant son stock de véhicules d’occasion. Tous les groupes de distribution sont très à l’écoute actuellement concernant ce type d’offres, précisent Jean‑François Marchand et Ludovic Van de Voorde, respectivement directeur automobile et directeur général de CGI Finance. L’abonnement renforce la mutation de la logique de propriété enclenchée par la LOA au détriment du crédit sec il y a quelques années." Mais dans tous les cas, l’abonnement pourrait être très utile aux groupes de distribution.
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Ces derniers ne cachent pas leur intérêt d’ailleurs. Et pour de nombreux professionnels du secteur, il s’agit également d’une réponse à la volonté de nombreux constructeurs de passer d’un contrat de distributeur à celui d’agent, avec notamment la perte du choix du partenaire financier sur les ventes. L’abonnement, dans un sens, permettrait de sécuriser le business model du financement dans le paysage de la distribution automobile, qui est essentiel à la rentabilité des groupes. Ce n’est d’ailleurs pas par hasard que Jean‑Hugues Delvolvé, ex‑directeur général de CGI Finance, est devenu, à la fin de l’été, directeur de la division financement du groupe BYmyCAR.
"Les réseaux de distribution sont les mieux placés, car ils disposent d’une véritable proximité avec les clients sur le territoire. De plus, ils ont une parfaite maîtrise des process de rachat de véhicules et de remarketing. Les distributeurs seront les gagnants de cette évolution", observe ce dernier. Reste à connaître l’impact de l’électrification des gammes des constructeurs. Si l’abonnement semble la formule idéale pour le véhicule électrique, il se heurte cependant à une barrière de taille : pour bénéficier du bonus écologique, le véhicule électrique doit être gardé au moins 24 mois par le client. À moins que la législation évolue…
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