Entretien avec Jacques Benoist, président de la Csneami : "Le VGE, ce sera 200 000 expertises en plus !"
...politique de lutte contre l'insécurité routière engagée mi-2002 ayant porté ses fruits, le nombre de sinistres automobiles a évidemment baissé. Et dans les mêmes proportions le nombre de dossiers d'expertise. Une situation dont - officiellement - les experts ne peuvent que se féliciter, mais qui provoque évidemment une remise en question de la profession. Dans le même temps - toujours sous le signe de la lutte contre l'insécurité routière -, les pouvoirs publics transforment le VGA en VGE. Du "véhicule gravement accidenté", on passe au "véhicule gravement endommagé". Une subtilité qui change tout : le périmètre d'action des forces de l'ordre est décuplé, la procédure administrative simplifiée et, surtout, les experts pourront eux aussi déclencher le processus. Une procédure qui devrait générer, selon Jacques Benoist, président de la Csneami, 200 000 expertises supplémentaires et autant de réparations…
En BrefBaisse d'activité des experts |
Le Journal de l'Automobile : Quel bilan tirez-vous de l'année 2003 ?
Jacques Benoist : Tout dépend des régions. Celles qui ont été touchées par les catastrophes naturelles - le Sud-Est, entre autres - ont conservé leur niveau d'activité de l'année précédente, voire même progressé de 1 à 2 %. En revanche, pour les autres cabinets d'expertise, on enregistre une baisse de 5 à 20 %. A titre personnel, sur le 91, à nombre de clients égal, je perds 15 %. Je compense en rentrant un client supplémentaire. Les statistiques diffèrent aussi en fonction de la proportion des dossiers "épaves" traités par les entreprises : moins de gros chocs entraîne moins d'épaves. Si bien que là où un expert installé en ville aura perdu 5 % d'activité, son collègue de la campagne enregistrera une baisse de 17 ou 18 %. On note aussi des différences en fonction des portefeuilles : mes collègues spécialisés dans les flottes et les utilitaires subissent un ralentissement moins sévère, par exemple. Maintenant, globalement, nous enregistrons une baisse d'activité en 2003, un mouvement déjà engagé fin 2002.
J.A. : Autre sujet d'actualité, la décision imposant au BCA un changement de statut. Certains parlent de "11 septembre" de la profession. C'est votre avis ?
J.B. : Je ne vois pas en quoi cette décision pourrait être ainsi qualifiée. Elle va inévitablement provoquer des remous, mais pas à ce point. Si le BCA adopte un nouveau statut de SA, par exemple, il sera obligé de facturer de la TVA et d'intégrer dans son compte d'exploitation les investissements à venir. Ses tarifs seront dès lors au même niveau que ceux des libéraux et la concurrence plus saine. ça, c'est pour le côté positif. Sur le plan négatif, je note que le BCA n'embauche plus actuellement, et donc forme moins. A terme, quand les affaires redémarreront, il risque d'y avoir carence d'experts et donc pillage des effectifs entre employeurs.
J.A. : Le VGE remplacera bientôt le VGA. Quel est le calendrier de mise en place de cette nouvelle procédure ?
J.B. : Le décret est actuellement entre les mains du Conseil d'Etat pour validation. Les circulaires devraient être fabriquées avant l'été et l'application effective au cours du dernier trimestre 2004, disons septembre ou octobre.
J.A. : Quelles sont les grandes différences entre le VGA et le VGE ?
J.B. : Le VGA n'est déclenché que par les forces de l'ordre et seulement à l'occasion d'un choc important et ayant entraîné des dommages corporels. Prenons le cas du véhicule qui sort seul de la route, sans corporel : les forces de l'ordre n'interviennent pas et ne déclenchent donc pas le VGA. Et puis la procédure VGA était complexe sur le plan administratif, ce qui n'incitait pas les forces de l'ordre à la pratiquer systématiquement. D'où son relatif échec. Avec le VGE, on change de registre. Administrativement, c'est plus simple : un carnet à souches à remplir, comme une contravention, point. Ensuite, son initialisation peut être engagée à n'importe quel moment : il suffit que les forces de l'ordre constatent que le véhicule ne peut pas se mouvoir par ses propres moyens ou qu'il est dangereux pour les autres usagers. Enfin, le VGE pourra aussi être déclenché par l'expert automobile, dans le cadre d'une mission.
J.A. : Vous avez des exemples ?
J.B. : Vous roulez avec un pare-chocs partiellement arraché et constituant une partie saillante. Vous constituez incontestablement un danger pour les piétons et les deux-roues : vous conduisez un véhicule gravement endommagé. Ou alors, une mission me conduit à un véhicule dont un demi-train a été arraché : je déclenche la procédure VGE pour que la réparation soit effectuée dans les règles de l'art, avec contrôle avant, pendant et après la réparation, et restitution d'un véhicule conforme à l'origine.
ZOOMEscroquerie à l'assurance : la Csneami réagit |
J.A. : Cette notion de VGE peut porter à contestation, surtout vis-à-vis de l'expert. Vous imposez-vous des barrières ?
J.B. : C'est le grand chantier du dossier VGE : édicter clairement les critères de dangerosité qui doivent conduire l'expert à déclencher une telle procédure. Car il est clair que nous prenons ici le risque de froisser l'assuré et de subir la pression de nos mandants. Ces critères sont encore en cours d'élaboration, mais on en connaît déjà les grandes lignes. Nous les avons classés en 6 familles, puis avons détaillé les dysfonctionnements qui s'y rattachent : trains roulants, freinage, sécurité des personnes, carrosserie, direction et énergie. Et, afin que ce soit bien clair, nous allons éditer un vade-mecum avec photo, du style "ceci est un VGE", "ceci n'est pas un VGE".
J.A. : Les forces de l'ordre n'auront pas une approche technique aussi pointue : en cas d'erreur de leur part, à qui appartient la décision de remettre le véhicule en circulation ?
J.B. : A l'expert, puisque c'est à lui de valider le processus de réparation. Il pourra donc décider si le véhicule est un VGE, ou bien ne l'est pas.
J.A. : Parmi vos critères de dangerosité, vous intégrez la sécurité des personnes. Pouvez-vous préciser ?
J.B. : Par exemple, cela pourrait être la ceinture de sécurité endommagée, un airbag déclenché ou un siège chauffeur qui donne des signes de faiblesse. A ce propos, je tiens à signaler que nous nous opposerons à l'utilisation de pièces d'occasion dans de tels cas. Pas question de réparer avec une glissière ou un siège qui ne sont pas neufs. Vous vous voyez avec une glissière qui cède au moment où vous vous apprêtez à freiner ?
J.A. : A terme, combien de VGE seriez-vous amenés à traiter ?
J.B. : Le VGE devrait représenter 5 à 8 % de nos missions, hors VEI. Soit 170 à 270 000 VGE par an. Disons une moyenne de 200 000 dossiers.
J.A. : Avez-vous la capacité d'intégrer un tel travail supplémentaire ?
J.B. : Ce n'est pas complètement un travail supplémentaire. Les VGE déclenchés par les experts seront déjà à la base des missions. Maintenant, le VGE arrive au moment où notre activité se réduit par ailleurs. Si risque d'embouteillage il y avait, ce serait dans le cas où les forces de l'ordre nous amèneraient d'un coup un gros volume de véhicules à contrôler.
J.A. : Ce risque existe-t-il vraiment ? Au quotidien, voyez-vous beaucoup de véhicules susceptibles d'être frappés d'une procédure VGE par les forces de l'ordre ?
J.B. : C'est difficile à quantifier, mais nous en voyons tous les jours sur la route. C'est vrai que notre œil est plus exercé que celui du profane, mais il y a des véhicules dangereux en circulation. Et puis il y aura aussi le cas des véhicules modifiés.
J.A. : Vous pensez au tuning ?
J.B. : Evidemment. Pour les forces de l'ordre, le VGE est le moyen imparable de bloquer un véhicule ultra rabaissé ou élargi exagérément. Sans parler des modifications moteur. Le VGE, c'est certainement la mort du tuning ! Nous voyons parfois des voitures dont les pneus frottent contre les ailes : on connaît mieux en matière de sécurité automobile.
J.A. : Quelle est la réaction des assureurs vis-à-vis de cette procédure VGE ?
J.B. : Pour l'instant, ils sont encore réticents, car ils voient le problème sur le plan financier. Mais à mesure que le dossier prend forme, ils prennent conscience de l'intérêt d'une telle procédure : le but est de rendre le parc roulant plus sûr et donc de limiter encore les accidents, par conséquent les remboursements. J'en veux pour preuve les chiffres de contre-visites des centres de contrôle technique. Quand on voit que la Twingo de plus de 10 ans génère 25 % de contre-visites. Les statistiques du contrôle technique démontrent que les pneumatiques ont 16 % de dysfonctionnements, près de 10 % sur les flexibles de freins, 14 % sur les freins de service et 10 % sur les disques de freins : c'est qu'il y a obligatoirement en circulation des véhicules qui ne sont pas sûrs à 100 %. Si la procédure VGE permet à certains véhicules de ne plus jeter l'ancre pour s'arrêter au feu rouge, nous serons tous gagnants... Tant l'usager de ce véhicule que les gens qui traversent au passage piéton.
Propos recueillis par Pascal Litt
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