Tribune - Crise logistique automobile : prémices des mutations de la mobilité
Des milliers de voitures bloquées sur les parkings des constructeurs, alors même que leurs acheteurs attendent désespérément d’être livrés. Déjà tendu par les délais de production et le manque d’entrain des consommateurs, le marché automobile aurait volontiers fait l’économie de pareilles ruptures dans la chaîne logistique. En cause, plusieurs facteurs : la pénurie mondiale de semi-conducteurs qui a provoqué un effet de “stop and go” dans les usines, la pénurie de chauffeurs routiers qui affecte durablement toute l’Europe depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine, ou encore la nouvelle loi paquet mobilité européenne qui réduit fortement les possibilités de cabotage. Enfin, reconstituer la flotte de camions porte-voiture, qui a baissé d’environ 20% lors de la crise sanitaire, prend du temps.
L’ensemble de la supply chain automobile est impacté, et d’autres transformations structurelles viennent challenger l’organisation traditionnelle. Quelle sortie de crise pour le secteur ? Quels nouveaux modèles émergent ?
Consommer la voiture autrement : une révolution déjà en marche
Au-delà de la pénurie de chauffeurs routiers, plusieurs tendances de fond dessinent un marché en pleine transformation. C’est d’abord l’explosion du leasing, reflet d’un nouveau rapport à l’automobile, où l’usage prime sur la possession. Entre 2012 et 2021, les formules de leasing sont ainsi passées de 11% à 47% des financements par les particuliers pour leurs achats de voitures neuves pour les particuliers (Cabinet C-Ways).
La plupart des formules étant des contrats sur trois ans, une plus forte rotation des véhicules est à prévoir, et un engorgement des parcs automobiles en conséquence. La crise du marché du neuf remet, par ailleurs, l’occasion au centre du jeu : l’offre disponible ne peut répondre à la demande et les prix sont à la hausse. Cette tension s’accompagne d’une modification des flux logistiques : les véhicules d’occasion n’empruntent pas les mêmes trajets logistiques que les neufs, par définition. Enfin, le boom des achats de voiture en ligne va s’accompagner d’un tsunami dans la supply chain, car qui dit vente en ligne, dit livraison à domicile, et donc passage d’une logistique « de masse » depuis les usines jusqu’aux concessions, à une logistique « à l’unité », directement chez le consommateur.
Avènement de la livraison "à l’unité", chaînon manquant de la logistique auto
Réussir à toucher les consommateurs demande à s'intéresser au dernier kilomètre. Or sa maîtrise est extrêmement complexe pour des acteurs habitués à acheminer des véhicules en lot. Ce segment est le plus coûteux pour les logisticiens automobiles, tant sur l’aspect financier qu’environnemental, avec un transport à vide au fur et à mesure de la tournée et une anticipation complexe des tournées. Les plateformes digitales de convoyage, qui acheminent les véhicules un à un en les conduisant par la route, constituent le chaînon manquant de la supply chain automobile, et répondent à ce nouveau besoin né des nouveaux usages.
Leur particularité dans l’écosystème est une approche de la livraison "à l’unité" et orientée d’abord vers le client final (celui qui réceptionne son véhicule). Ce nouveau prisme change tout, et le secteur glisse peu à peu d’une logique fonctionnelle vers une logique de service. Le numérique sur lequel elles se basent permet d’injecter plus de rapidité et de transparence, de proposer du sur-mesure. Autre atout du modèle de la livraison « à l’unité », sa plus grande sobriété par rapport au transport par camion : le convoyeur est formé à l’éco-conduite et repart en transport en commun.
Maximiser le taux d’usage pour mieux accompagner les nouvelles mobilités
Au-delà de ses atouts pour répondre aux nouveaux besoins des consommateurs, la livraison à l’unité permet la transformation du secteur vers plus d'usage. Nous allons vers un modèle où chaque véhicule doit être paradoxalement plus mobile, mieux employé, pour in fine que notre parc automobile privé et professionnel soit mieux exploité. En France, on compte environ 40 millions de véhicules, qui ne sont pas à ce jour utilisés de manière optimale tout au long de leur cycle de vie. Avec l’avènement du car-as-a-service, un marché de l’occasion plus national et fluidifié par les sites e-commerce, et des solutions qui permettent de déplacer rapidement les véhicules partout sur le territoire, nous sommes sur la bonne voie.
Si les émissions carbones générées par sa fabrication ne changent pas, maximiser l’usage d’une voiture permet d’étaler celles liées à l’utilisation sur un cycle de vie plus long. Au-delà de se conformer aux exigences environnementales à venir, qui font une plus grande place aux mobilités douces, c’est aussi un moyen de répondre aux besoins d’utilisateurs pour qui se déplacer reste une nécessité impérieuse. Rappelons que dans les zones peu denses du territoire national, plus des trois quarts des déplacements se font en voiture.
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