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Comment exister dans l’ombre de La Centrale et du Bon Coin ?

Publié le 13 avril 2012

Par La Rédaction
11 min de lecture
Longtemps ouvert et convoité, le secteur des petites annonces de VO est rentré dans une nouvelle ère beaucoup plus concurrentielle et tendue, où chaque acteur s’efforce tant bien que mal de tenir sa position. Deux favoris se dégagent nettement et les outsiders s’organisent. Une course à deux vitesses est engagée.
François Couffy, directeur général de La Centrale

Depuis environ deux ans, La Centrale/Caradisiac et Le Bon Coin ont accéléré le rythme. Leaders incontestés d’un marché longtemps éclaté, grâce à une forte pénétration auprès des professionnels pour La Centrale et une notoriété impressionnante auprès des particuliers pour Le Bon Coin, les deux entités impriment un rythme soutenu que la concurrence ne parvient pas à suivre. S’il était prévu et attendu de longue date, le passage au payant du Bon Coin, en juin dernier, n’a pas enrayé la dynamique du site et s’est révélé un accélérateur certain de la concentration du marché. La période d’adolescence débridée, qui faisait la singularité du marché français, est révolue. Le secteur des petites annonces a acquis les bases de la maturité et affiche désormais une physionomie analogue aux autres principaux marchés européens, qui se caractérisent par la dominance d’un binôme complémentaire composé d’un acteur spécialisé et d’un second généraliste. La Centrale et Le Bon Coin, qui appartiennent respectivement aux puissants groupes Spir Communication et Schibsted Classified Media, sont structurés et armés pour conforter leur statut quelques années encore.

Désormais, c’est derrière que la bataille fait rage. Entre la nécessaire rentabilité, des coûts de référencement de plus en plus conséquents et un potentiel de croissance réduit auprès des professionnels, l’équation se révèle plus que jamais difficile à résoudre et rend par conséquent les places très chères. A en croire certaines réactions, la mue du marché n’est pas encore terminée et des mouvements pourraient de nouveau s’opérer dans les prochains mois. “Aujourd’hui, 80 % des acteurs n’ont plus raison d’être, ce qui n’était pas le cas il y a quatre ou cinq ans”, lance Jean-Philippe Cartier, fondateur et président d’AutoReflex. “Cinq ou six opérateurs qui ont une activité rentable et pérenne me semblent encore trop. Le marché va continuer à se consolider et certains vont débrancher la prise car les professionnels font de plus en plus attention à leurs investissements”, observe Vincent Belloc, responsable de www.automobile.fr au sein d’eBay.

Conséquence logique de ce redécoupage, mais aussi du développement des outils de mesure de performance, les professionnels, plus mûrs et rationnels, ont en effet répondu par un arbitrage de leurs budgets en faveur des sites leaders. La période durant laquelle ils investissaient dans sept ou huit sites de petites annonces semble terminée. “L’équation économique qui prévaut est celle du retour sur investissement. La logique du professionnel est de gagner de l’argent et d’optimiser sa rotation de stocks. Il acceptera de payer plus cher pour l’offre La Centrale si elle permet d’améliorer sa rentabilité”, analyse François Couffy, directeur général de La Centrale.

La Centrale, la cible numéro 1 des challengers

Si les autres acteurs n’ont pas dit leur dernier mot, soutenant que le marché est suffisamment important pour abriter plusieurs acteurs importants et ambitieux, le défi est de taille pour exister dans l’ombre de ces deux mastodontes. La cassure est effective. Mais pas insurmontable, de l’avis des dirigeants d’AutoReflex. Racheté en septembre dernier par la co-entreprise EMAS Digital, fondée par les groupes Mondadori France et Axel Springer France, le site Internet créé en 2001 revendique à ce jour la troisième place sur le podium. Si les synergies avec la co-entreprise n’ont pas encore été pleinement exploitées, le site s’est clairement donné les moyens de jouer un rôle grandissant sur le marché. “Le groupe Axel Springer est un actionnaire solide qui jouit d’une forte expérience dans le digital et a pris pour habitude de n’investir que dans les sites leaders. Nous ne le sommes pas, aujourd’hui, mais nous allons nous donner les moyens de rattraper La Centrale d’ici trois ans. Je reste persuadé qu’il reste de la place pour deux sites de petites annonces spécialistes, le Bon Coin ayant un positionnement CtoC généraliste”, juge Jean-Philippe Cartier. La communication, la publicité et le positionnement commercial sont autant de leviers sur lesquels AutoReflex entend jouer pour grignoter son retard. Récemment déployée, l’offre “6 + 6”, six mois gratuits et six mois payants, qui est suspendue au respect de la charte qualité édictée par le site, s’inscrit clairement dans une démarche de conquête de la clientèle professionnels et de prise de part de marché. “Etre moins cher est un vrai levier car les professionnels sont plus sensibles aux prix”, juge Jean-Philippe Cartier, qui annonce un prix d’abonnement moyen de 170 euros, 30 % moins cher que La Centrale. L’entité a d’ailleurs pour vocation d’arrêter définitivement les annonces de particuliers en 2012.

eBay veut miser sur la complémentarité et le rayonnement de ses sites

Principale victime de l’arrivée fulgurante du Bon Coin, eBay Auto et ses deux autres vitrines que sont Automobile.fr et Mobile.de n’ont pas non plus abdiqué et entendent miser sur leur rayonnement européen pour se mêler à la lutte. “Il y a encore de la place pour un troisième acteur, juge Vincent Belloc. A court terme, notre vision est de nous positionner comme challenger et de devenir incontournable auprès des professionnels derrière ces deux acteurs. A long terme, notre ambition est de poursuivre notre croissance en nous appuyant sur notre offre solide et nous nous permettons de penser que nous pouvons venir concurrencer les deux leaders.” Le groupe entend notamment miser sur la notoriété d’eBay et la puissance européenne de Mobil.de. “Avec nos trois sites, nous touchons l’ensemble des cibles en phase avec un achat d’un véhicule d’occasion. Chaque mois, selon le phénomène de cross-border trade, un million de visiteurs uniques français vont directement sur le site Mobil.de. Cette offre complémentaire et à dimension internationale délivre une vraie valeur aux professionnels”, argumente Vincent Belloc. La plate-forme de vente européenne va prochainement être déployée en République tchèque et en Russie.

AutoScout24 et ParuVendu fragilisés, mais pas vaincus

Autre victime de cette concentration et du durcissement du marché, AutoScout24 a dû se résoudre à alléger drastiquement sa structure française pour rationaliser ses coûts, mais réfute tout départ du marché français. Propriété du géant allemand Deutsche Telekom, le site est revenu sur le marché en 2007, auréolé d’un solide statut à l’échelle européenne et avec des ambitions clairement affichées qui se sont matérialisées par des investissements marketing conséquents. Des efforts trop tardifs, et donc insuffisants pour atteindre une notoriété importante auprès des particuliers et s’élever parmi les leaders du marché. “La partie douloureuse de la réorganisation est faite. Nous restons sur le marché français avec une équipe réduite à 4 ou 5 personnes chargées d’assurer les démarches, les relations commerciales et d’administrer la société en France”, précise Eric Laffont, directeur général d’AutoScout24 France. Le marketing sera assuré par le siège en Allemagne et la filiale belge. Cette dernière prend également le relais pour la communication BtoB, le CRM et l’administration de la partie magazine du site. La modération sera pour sa part assurée depuis les trois pays. “Nous avançons pour trouver la meilleure formule sans faire de compromis sur la qualité et l’accompagnement du client”, souligne Eric Laffont, qui maintient que le groupe allemand restera maître des destinées du site en France. “Deutsche Telekom est un grand groupe qui n’a jamais franchisé ou confié l’exploitation d’une de ses marques dans un pays à un acteur extérieur. Ce n’est absolument pas dans les pratiques de la maison.”

Proche de disparaître en novembre dernier suite à la liquidation judiciaire de la société éditrice Comareg, et de sa filiale d’impression Hebdoprint, le site Internet ParuVendu revit depuis son rachat par Digital Virgo, en janvier dernier. “Il existe deux domaines dans lesquels nous avons un avantage structurel par rapport à la concurrence : une présence forte en local, qui a triplé en moins d’un an et que nous allons encore augmenter, et une expertise solide dans les domaines du Net et du mobile”, avançait Emmanuel Florent, directeur général de Digital Virgo, sur notre site Internet en février dernier. En reconquête sur le plan national, ParuVendu jouit toujours d’une pénétration forte sur la région Rhône-Alpes.

Se différencier pour continuer d’exister à moindre échelle

Un ancrage local qui fait également la force des sites CarOuest et Ouest-France. Certains acteurs qui ont bâti leur stratégie sur un positionnement de niche et qui entendent se différencier, par l’innovation, les services ou encore un rayonnement régional fort, ont encore toutes les raisons de cohabiter sur ce marché au côté des sites leaders. Tout en nourrissant des ambitions plus mesurées. “Il existe plusieurs modèles de développement. Nous sommes sur un business online, qui repose sur un savoir-faire technologique. Il ne faut donc pas sous-estimer le rôle de la plate-forme. Et dans ce domaine, nous sommes à la pointe. Par ailleurs, je pense qu’il est possible de sécuriser une place dans le peloton de tête en misant sur la qualité de service, l’accompagnement, l’innovation, estime Eric Laffont. Nous ne serons peut-être pas les mieux-disants en termes de publicités en ligne, mais nous avons la capacité d’aller chercher du trafic utile et de qualité avec des stratégies de marketing intelligentes”.

Un positionnement que partage également Gilles Battan, président de FranceProNet, qui édite le site AutoSélection : “Pour exister, nous devons attirer les professionnels sur une niche très spécialisée où nous apportons des outils, des services à valeur ajoutée ou encore de la formation et un accompagnement répondant à leurs besoins journaliers. Nous travaillons à ce jour sur des produits horizontaux et proposons une démarche Web spécifique et personnalisée aux professionnels selon leur marque, leur zone géographique ou encore leur profil.” L’entité toulousaine, qui se définit commet une agence Web, déploie déjà une offre de sites Internet pour les groupes de distribution et travaille actuellement sur un projet de CRM. La société devrait également, ces prochains mois, concrétiser son rapprochement avec la société Dobson, fondée par Thierry Châteauneuf, ancien directeur Europe d’AutoContact Réseaux, et mène actuellement des discussions avec l’acteur allemand Autobid, spécialisé dans les enchères électroniques.

De plus, le marché français des petites annonces conserve une petite singularité puisqu’il héberge des acteurs aux profils très hétérogènes, qui appartiennent à des sociétés ou des groupes qui se sont diversifiés dans d’autres secteurs d’activités et qui ont, le plus souvent, les finances nécessaires pour perdurer sur ce secteur. “Notre volonté de diversification ne répondait pas tant à une nécessité économique qu’à une problématique de veille opérationnelle, de manière à rester au fait des nouvelles technologies et innovations”, justifie Gilles Battan.

Mais être présent ne suffit plus, il faut surtout être rentable. Le marché est arrivé à un tournant et devrait continuer de muter au gré des orientations stratégiques et des arbitrages économiques des groupes poursuivants, qui devront déterminer s’il est encore raisonnable de continuer d’investir dans ce secteur et, surtout, comment et avec qui.

Benoît Landré

NB : Pour consulter les tableaux, cliquer ici.

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QUESTIONS A François Couffy, directeur général de La Centrale

JOURNAL DE L’AUTOMOBILE. Au-delà du phénomène de concentration, comment expliquez-vous le durcissement du marché ?
FRANÇOIS COUFFY.
La forte augmentation d’acquéreurs de mots clés sur le Net, qui sont les constructeurs, les mandataires mais aussi les distributeurs, a rendu la barrière à l’entrée beaucoup plus onéreuse qu’avant.
Quand quelques centaines de milliers d’euros pouvaient, il y a quatre ou cinq ans, suffire à pénétrer le secteur des petites annonces, il faudrait aujourd’hui des millions d’euros de dépense en marketing et en référencement pour être visible, et sans la moindre certitude de résultats.

JA. Votre position sur le marché répond-elle à votre ambition ou votre objectif est-il de devenir le leader incontesté du marché ?
FC.
Aujourd’hui, nous estimons avoir atteint notre ambition de leadership auprès des professionnels de l’automobile sur le marché français. Le Bon Coin est un concurrent – puisqu’il capte désormais des abonnés professionnels payants – qui a un positionnement généraliste, complémentaire du nôtre, et qui est perçu différemment. La comparaison avec ce site est donc plus compliquée car nous n’avons pas les mêmes armes, la même offre ni la même valeur ajoutée.

JA. Quel est désormais l’objectif que vous vous fixez ?
FC.
La Centrale revendique à ce jour une pénétration de 50 % auprès des professionnels et se fixe un objectif de 70 % à horizon 2014, niveau qui correspond à celui du site Seloger.com, qui est le leader incontesté sur le marché des petites annonces immobilières.
Propos recueillis par Benoît Landré

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ZOOM - Une croissance résultant d’un effort

Depuis 2007, le gouvernement a mobilisé 2,25 milliards d’euros afin de soutenir le développement des services numériques du futur : 850 millions d’euros ont été investis dans la recherche et le développement au travers d’appels à projets (couvrant des secteurs tels que le cloud computing, l’e-santé, l’e-éducation, les services mobiles sans contact, la nanoélectronique…) ; 1,4 milliard d’euros sont allés au FSN (Fonds pour la société numérique), qui permet à l’Etat de co-investir dans des projets rentables, en fonds propres ou quasi-fonds propres ; 400 millions d’euros au FSN PME, dont la mission est d’accompagner les PME innovantes.

 

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