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Carrosserie : un avenir à redessiner avec la crise sanitaire

Publié le 12 mai 2021

Par Mohamed Aredjal
13 min de lecture
Plombée par la pandémie, l’activité carrosserie peine à redécoller dans les ateliers, poussant les acteurs de la filière à anticiper les mutations du marché. De la digitalisation à la consolidation, l’industrie de la réparation collision est à la croisée des chemins.
L'organisation des ateliers carrosserie est repensée pour améliorer leur productivité.

 

 

Un an après les débuts de la crise du Covid‑19, le marché de la réparation‑collision peine à retrouver son équilibre. Fortement perturbée par la conjoncture sanitaire et économique, l’activité tourne toujours au ralenti. En effet, après un exercice 2020 marqué par une baisse moyenne du chiffre d’affaires de 15 %, les carrossiers ont enregistré une nette dégradation de leurs entrées en atelier depuis janvier dernier, selon le baromètre de la FFC (réalisé par le cabinet Gipa).

 

"Début 2021, le secteur accuse une baisse de 20 à 25 %", constate Christophe Bazin, secrétaire de la branche carrossiers‑réparateurs de la fédération. Des résultats corroborés par la dernière étude CNPA-Solware qui fait état d’un repli de 20,9 % du chiffre d’affaires des ateliers de carrosserie en février 2021 (en janvier, le recul était de 34 %). Cette érosion de l’activité carrosserie est directement liée à la baisse du kilométrage parcouru depuis le début de la pandémie. Un sondage mené en octobre dernier par l’Observatoire des mobilités émergentes confirme une tendance à la démobilité.

 

 

Parmi les sondés, 55 % déclaraient limiter leurs déplacements et plus de 19 % ne sortaient que pour des activités indispensables (courses alimentaires, travail, rendez‑vous médicaux, etc.). Le développement du télétravail, à temps plein ou partiel, a largement favorisé ces nouveaux comportements. Ainsi, selon l’enquête, près de 70 % des personnes ayant la possibilité de travailler à distance (soit 42 % de la population active) ont maintenu le "home office". "Les mesures de télétravail impactent énormément notre activité. Les clients ne roulent plus et la sinistralité bris de glace est en baisse. Auparavant, les carrossiers travaillaient avec 15 jours d’avance et ce délai est passé à 2 ou 3 jours. Certains travaillent même au jour le jour", confirme Christophe Bazin.

 

Chez les fabricants de peinture, le constat est identique. Depuis mars 2020, leurs volumes de vente ont été sensiblement impactés par la situation sanitaire. "Ce début d’année reste compliqué, note Éric Verwacht, directeur commercial et des opérations ECR France de la marque R‑M. Ce qui peut s’expliquer de la façon suivante : l’an dernier, nous avons réparé tous les véhicules qui étaient en attente. Depuis, nous travaillons au jour le jour et les délais de réparation ont été raccourcis. Et nous ne savons toujours pas si la mobilité va retrouver son niveau d’avant crise à la sortie de cette période… Nous observons moins d’accidents mais, bizarrement, ils sont plus importants. Ce qui est néfaste pour notre activité puisque ces véhicules sont souvent irréparables. Une chose est sûre : 2021 restera une année compliquée, mais moins qu’en 2020, où nous avons été à l’arrêt pendant 2 mois et demi."

 

 

Une baisse globale mais des disparités régionales

 

 

Un discours partagé par Redhwan Amine, directeur commercial Refinish France d’Axalta Coating Systems, qui estime que cette pandémie laissera des traces. "Ce début d’année 2021 est toujours atone et nous n’avons pas retrouvé un niveau de mobilité équivalent à la période préCovid. Nous ne sommes pas encore sortis de cette crise, qui devrait perdurer jusqu’à l’été", déplore‑t‑il.

 

Si la situation est compliquée pour les acteurs de la réparation‑collision, le niveau d’activité n’est toutefois pas homogène sur l’ensemble du territoire et il convient de distinguer de fortes disparités régionales. Les ateliers ayant su diversifier leurs affaires tirent notamment leur épingle du jeu selon Jean‑Christophe Servant, directeur de Valspar Automotive France : "J’ai le sentiment d’un marché à deux vitesses avec, d’une part, les carrosseries de taille importante qui semblent plus pénalisées par la crise. Les groupes de concessions ou grosses carrosseries, très liés à l’évolution de la sinistralité automobile, ont moins d’activité et s’en tirent plus difficilement que les petites et moyennes structures. Ces dernières s’en sortent mieux, car elles sont souvent à l’écart des centres urbains et disposent parfois aussi d’une activité mécanique qui génère un flux de business."

 

 

Vers une consolidation des carrosseries ?

 

 

Dans cet environnement morose, les professionnels de la filière s’interrogent de plus en plus sur la pérennité de leur activité. Le baromètre de la FFC révèle, en effet, que 54 % des réparateurs estiment que leur nombre va baisser en 2021. Ils étaient 18 % en 2019 à le penser… Faut‑il effectivement craindre une consolidation du marché dans les prochains mois ? Pour Christophe Bazin, la situation est plus complexe. "Le nombre de sinistres ne baisse pas, mais leur typologie évolue. Nous sommes passés de chocs nécessitant 36 h de travail il y a 20 ans à 6/7 h aujourd’hui. L’activité est donc en recul, ce qui laisse penser que le nombre de carrossiers va se réduire. Pour le moment, les chiffres ne le prouvent pas. Il va falloir attendre le remboursement des PGE pour savoir si cette crise a eu un fort impact sur le nombre d’ateliers. […] Les carrossiers sont aussi confrontés au départ à la retraite de nombreux collaborateurs et à des difficultés de recrutement. De plus en plus d’ateliers choisissent donc de réduire leur taille pour se concentrer sur des activités plus rentables, au détriment du volume."

 

 

La crise sanitaire a poussé en l'avant l'e-commerce pour la fourniture de peinture notamment.

 

 

Une chose semble acquise : la consolidation devrait s’accélérer dans les prochains mois pour les carrosseries. "Ce mouvement est perceptible chez les indépendants et les réseaux des constructeurs. Nous voyons un certain nombre de carrosseries qui cessent leur activité, tandis que celles de taille plus importante multiplient les acquisitions", observe Bernard Lanne, président de PPG Industries France. Une analyse partagée du côté de R‑M : pour Éric Verwacht, si la crise a provoqué une chute brutale de l’activité, l’érosion des entrées en atelier de carrosserie est un phénomène structurel qui va effectivement favoriser une consolidation du marché. La population de carrossiers devrait ainsi se polariser sur deux catégories : des groupes multisites aux process industriels (Emil Frey, BYmyCAR, Albax, Serenicar, etc.) et des carrosseries de taille intermédiaire, contraintes de se spécialiser pour pérenniser leur activité.

 

"En raison notamment du développement des Adas, l’investissement en équipements et en formation va devenir conséquent pour ces structures. Elles ne pourront peut‑être plus couvrir l’ensemble du parc et devront dès lors développer une expertise spécifique", complète le directeur commercial.

 

 

Les fabricants en soutien des carrossiers

 

 

Dans cet environnement difficile, les fabricants de peinture ont fait du soutien à leurs clients distributeurs et carrossiers une priorité. À l’instar de PPG qui, dès la fin du premier confinement en 2020, a misé sur l’accompagnement humain. "Nous souhaitions une présence sur le terrain assez forte, c’est pourquoi nous avons fait revenir nos forces de vente au plus vite. Ce qui a été très apprécié de nos clients, distributeurs et carrossiers et a contribué à une année record en termes d’installations avec 350 nouveaux clients A et B", confie Arnaud Racapé, directeur marketing Europe du Sud de PPG Automotive Refinish.

 

Ce n’est pas tout : alors que la productivité et l’efficience sont devenues deux maîtres mots dans les ateliers, le groupe américain a mis l’accent sur le déploiement de ses concepts de réparation rapide. À l’instar de la méthodologie Smart Repair qui permet notamment de réduire de 59 % les coûts de peinture et de main‑d’œuvre pour une réparation de taille A4 et d’environ 38 % pour une surface plus vaste. Soutenir les distributeurs et les ateliers, c’est également la mission que s’est fixée General Paint dans la conjoncture actuelle. Après avoir décalé ses facturations et stabilisé sa politique tarifaire, pour éviter de pénaliser la trésorerie de ses clients, le fabricant de peinture s’apprête à lancer une nouvelle gamme d’apprêts et vernis à durcissement à l’air, alliant "rapidité, qualité et prix", baptisée Accelero. Elle devrait être disponible au second semestre.

 

Parallèlement à ces actions de terrain, les fabricants ont aussi renforcé leur éventail de services avec, là encore, l’ambition d’aider au mieux leurs clients à piloter leur activité dans cet environnement incertain. C’est la voie suivie notamment par Axalta qui devrait dévoiler, dans les prochains mois, un nouveau tableau de bord destiné aux carrossiers. "Ce service vise à leur donner des indicateurs de performance (ni‑ veaux de rentabilité, temps de cycle, etc.) en temps réel sur leur activité de la journée, de la semaine ou du mois. C’est un véritable cockpit de pilotage pour le réparateur. L’idée étant de sécuriser la marge que ce dernier peut réaliser grâce à nos produits. Quand les volumes d’activité sont en baisse, il est très important de pouvoir sauvegarder la rentabilité du poste peinture. Cet outil digital va s’accompagner d’un suivi humain, notamment à travers nos distributeurs", souligne Redhwan Amine.

 

 

Nouveau souffle pour l’e‑commerce

 

 

Si la distribution traditionnelle de peinture n’a donc pas été épargnée par cette pandémie, certains acteurs du marché ont mieux tiré leur épingle du jeu dans ce contexte. Les opérateurs du canal e‑commerce ont, en effet, su profiter de la situation pour convaincre de nouveaux clients. "Lorsque certains groupement ont pris la décision de fermer leurs entrepôts pour se concentrer sur les pro‑ duits de première nécessité, les carrossiers ont dû poursuivre leurs achats et se sont parfois tournés vers l’e‑commerce", reconnaît Jean‑Christophe Servant.

 

Parmi ces distributeurs 100 % on line, Color‑box.eu, qui a vu le jour en 2010, a déjà séduit 12 000 carrossiers en France, dont 2000 en 2020 ! Autre pure player, Peinturevoiture-pro.fr s’est, quant à lui, lancé en février dernier. Derrière la plateforme, on retrouve la société Techn’Ecar, fondatrice, en 2013, de Peinturevoiture.fr, un site de vente de peinture à particulier. Si Techn’Ecar a donc récidivé avec une déclinaison BtoB, ce n’est pas tout à fait un hasard. "Avec le Covid, beaucoup d’agences en local étaient fermées et, du coup, les professionnels se sont tournés vers des sites comme les nôtres. Ce n’est évidemment pas la seule raison qui nous a poussés à lancer notre site pro, mais cela a accéléré le mouvement", explique Vincent Lasserre, dirigeant et fondateur de Techn’Ecar.

 

 

Les deux pure players annoncent des progressions à deux chiffres grâce notamment à leurs tarifs attractifs, jusqu’à 30 % plus bas que ceux proposés par la distribution traditionnelle. "Les petites carrosseries ont aujourd’hui des trésoreries très tendues et c’est pour cela qu’elles se tournent davantage vers nous. Le carrossier compte, il calcule son prix de revient et mesure l’importance que revêt l’achat de consommables sur sa facturation. Avant le Covid, ces considérations‑là étaient sans doute moins prises en compte", estime Vincent Lasserre. Du côté des marques premium, si elles ne nient pas l’émergence du canal e‑commerce, elles mettent toutefois en garde les carrosseries, leur rappelant qu’elles ne peuvent pas attendre de ces sites le même accompagnement que leur distributeur local. "Les carrossiers pourraient être séduits par le Web parce qu’ils sont à la recherche d’une solution économique, mais c’est une fausse économie. Ils ont besoin d’un partenaire et pas unique‑ ment d’un fournisseur. La vente d’un produit peinture doit s’accompagner d’un service technique. C’est une vraie valeur ajoutée", insiste Éric Verwacht.

 

Des propos contre lesquels Leslie Thibault, directrice du marketing et de la communication de Color-box, a réagi en rappelant que l’offre de services de son site s’est étoffée ces dernières années. "Nous vendons les mêmes produits, mais nous ne faisons pas le même métier, c’est vrai. Cela dit, tous nos collaborateurs sont issus de la réparation automobile, ce qui nous permet de répondre à n’importe quelle question technique. Certains clients nous disent également que nous livrons plus vite que leur distributeur de proximité (H +12 ou J +1). Enfin, n’oublions pas qu’aujourd’hui, toutes les marques premium que nous distribuons sont excellentes en hydrodiluables et les carrossiers sont rompus à leur utilisation. Du coup, beaucoup ne jugent pas utile de payer leurs produits au prix fort, alors qu’ils se passent très bien de l’accompagnement des distributeurs traditionnels." Sans compter qu’en termes de stock, ces acteurs n’ont pas non plus à rougir. Color‑box n’hésite pas à se positionner comme le premier distributeur indépendant de France "avec le plus gros stock disponible", tandis que Peinturevoiture-pro annonce quelque 3 000 références en stock.

 

 

Les marques b, un remède anticrise ?

 

 

Quid des marques dites B ? Proposant des gammes de produits réduites et faciles à appliquer, à des tarifs très attractifs, ces marques alternatives se sont imposées dans le paysage de la réparation‑collision ces dernières années. Alors que les carrossiers font face à une situation financière de plus en plus délicate, ces produits semblent rencontrer un meilleur accueil auprès des réparateurs. "Le marché français est en pleine évolution depuis la crise sanitaire, analyse Unai de la Fuente, responsable commercial France de Sinnek. Le carrossier recherche un produit de qualité premium au vrai prix de la peinture, ce qui favorise une croissance de la demande pour la marque Sinnek."

 

 

S’il confirme, de son côté, un essor des marques B, Jean‑Christophe Servant estime que cette progression n’est pas liée à la pandémie : "Je ne suis pas sûr que le Covid les ait boostées. J’ai l’impression que ce segment de marché se développe parce que de plus en plus de carrossiers, notamment dans les réseaux des constructeurs, en ont assez de payer leur peinture trop cher et préfèrent optimiser leur marge." Les produits de peinture seraient‑ils devenus trop onéreux pour les carrossiers ? Selon le dernier bilan de l’association SRA, le coût des ingrédients de peinture a augmenté de 4,8 % en 2020 (+ 3,3 % en 2019).

 

Et cette hausse pourrait bien s’accélérer cette année, en raison de fortes perturbations des capacités de production chez les fabricants, en partie liées à certaines substances essentielles à la fabrication des peintures. Selon la Fédération des industries des peintures, encres, couleurs, colles et adhésifs et préservation du bois (Fipec), certaines d’entre elles ne sont aujourd’hui plus disponibles ou sous des conditions d’allocation extrêmement strictes.

 

Résultat : la flambée des prix des matières premières devrait entraîner une très forte augmentation du coût de revient des produits de peinture. Malgré ces hausses, Bernard Lanne veut se montrer rassurant, rappelant que la peinture ne représente que "5 à 6 % des charges" d’une carrosserie. "Un certain nombre de carrossiers sont dans des situations financières compliquées, mais ce n’est pas avec une marque B ou avec quelques économies sur la peinture qu’ils vont améliorer leurs résultats. La couleur reste le cœur du réacteur dans notre métier. Si l’atelier peine à obtenir une bonne précision colorimétrique et à gagner en productivité, il ne s’y retrouvera pas", conclut le président.

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