Alès à l’heure écologique
De l’extraction du charbon à la promotion des véhicules écologiques. C’est l’antithèse qui illustre les RIVE (Rencontres Internationales des Voitures Ecologiques) où, sur le Pôle mécanique d’Alès (30), tout près de la mine de Ladrecht, les organisateurs enterrent le véhicule à énergies fossiles, fort émetteur de CO2. Pour cette 4e édition tenue les 3 et 4 juillet derniers, élus, opérateurs de mobilité, fournisseurs d’énergie, constructeurs et équipementiers étaient présents. Une hétérogénéité qui fait la force de ces rencontres organisées par le Club des voitures écologiques. Si la dimension européenne et le mix énergétique étaient mis à l’honneur, le cœur du débat a cédé à l’antienne des infrastructures de recharge, perpétuel frein au déploiement de masse du véhicule écologique, en tout cas électrique.
Pour lancer les hostilités, le député des Bouches-du-Rhône, François-Michel Lambert, n’a pas hésité à voler dans les plumes de Renault. Premier parlementaire à avoir acquis une Zoé, il a regretté le manque de bornes de recharge sur le trajet qu’il a emprunté jusqu’au Pôle mécanique. Le ton était donné. Patrick Le Cœur, de la Direction de la voirie et des déplacements de la Ville de Paris, a ainsi rappelé les difficultés intrinsèques de la voirie. “Il n’y a pas eu d’extension dans la capitale depuis les travaux d’Haussmann. Toutes opérations d’aménagement confondues, la ville a supprimé 30 000 places de stationnement en voirie”, a-t-il exposé. Se pose ainsi la question de la place des infrastructures, quand le linéaire d’un emplacement Autolib s’étend sur 30 mètres supplémentaires. Ainsi, Paris réfléchit-elle à installer des points de charge sur les zones de livraison, et lancera un appel d’offres à l’automne.
“Pas une simple prise”
La vision de Frédéric Baverez, directeur général adjoint de Kéolis, président d’Effia, est antagoniste : “L’évidence de bon sens, c’est de placer les points de charge dans les parkings en ouvrage. Il est plus facile d’y tirer des câbles qu’en voirie, et le temps de stationnement y est plus important. De plus, en l’état du droit, affecter sur la voirie une place à un type d’usage, c’est scabreux. Le premier qui va au tribunal administratif fait sauter la borne !” Et d’évoquer les verrous liés aux normes réglementaires. “Dire que le véhicule électrique (VE) est plus dangereux, c’est un problème. Construire un mur coupe-feu tous les 10 mètres est trop contraignant. Ensuite, il y a la promotion de la double gratuité, à savoir l’emplacement et la recharge. Mais quelqu’un doit payer… On demande aux opérateurs d’investir et de ne faire aucune recette derrière, c’est problématique. Enfin, il y a le refus qui nous est fait de vendre la recharge sur la base de la consommation effective. Donc, nous ferons des forfaits où nous margerons beaucoup plus”, a-t-il regretté.
Le manque de vision à long terme et d’anticipation a aussi été déploré par Guillaume Delmas, directeur délégué nouvelle mobilité Cofely Ineo. “Si je souhaite acheter une Renault Zoé à Angoulême, par exemple, je ne pourrai pas la recharger sur les infrastructures qui viennent d’être installées avec le nouveau système d’autopartage. Cela arrête l’acte d’achat. Il y a indéniablement un problème d’accès physique aux points de charge”, a-t-il assuré. Selon lui, “il faut faire attention à ce que l’on installe. Dans les appels d’offres, il y a encore beaucoup de bornes non communicantes. Mais ce n’est pas juste une prise, il faut voir plus loin. Il faut pouvoir interagir avec la borne, notamment à l’approche du véhicule”.
Alain Dorison, chargé de mission au Conseil général de l’économie, de l’industrie, de l’énergie et des technologies CGEIET, était quant à lui présent pour rappeler que “l’année 2013 devrait être l’année du décollage”. Alors qu’il estime un besoin de 60 000 bornes de recharge à l’horizon 2015, il rappelle que de nombreuses collectivités, à l’image de Paris, Lyon, Grenoble ou Angoulême, ont lancé leur service d’autopartage. “Il y a aussi beaucoup d’acteurs privés qui se mobilisent, comme dans la grande distribution notamment. Mais il ne faut cependant pas perdre de vue que 80 % des recharges se font à domicile ou sur le lieu de travail”, a-t-il souligné. Et une bonne nouvelle : 40 millions d’euros de subventions restent à distribuer. De quoi initier de nouveaux projets.
Comportements vertueux
Devant tant de freins et face au décalage entre le temps public et le temps privé, les RIVE ont voulu mettre en lumière les initiatives locales et régionales, afin de voir se créer des projets de mobilité durable. Les exemples, naissants ou déjà concluants, sont légion dans l’Hexagone, et l’autopartage y tient une part prépondérante. Raisonnant comme un chef d’entreprise, le député du Var, Philippe Vitel, prône l’exemple de son département et du plan de déplacement d’entreprise (PDE) appliqué au conseil général. “Nous avons voulu réfléchir à ce que faisaient nos 5 200 agents, et quelles solutions nous pouvions apporter. Nous avons formulé des préconisations, et fait une évaluation financière et environnementale de ce que l’on pouvait gagner”, précisait-il.
Avec un approvisionnement en VE, des stages d’éco-conduite, une augmentation du covoiturage, un glissement vers une utilisation accrue des transports en commun, un prêt à taux zéro pour les acquéreurs de vélos à assistance électrique et des visioconférences plus nombreuses, le conseil général du Var atteint 7 % d’économies dans son budget. “Nous avons voulu des objectifs les plus modestes possible, et en termes environnementaux, nous arrivons déjà à 18 % d’émissions en moins, se réjouissait Philippe Vitel. Pour arriver à l’adhésion, il faut avoir des objectifs limités. De trop grandes ambitions amènent inévitablement à un blocage. Nous sommes dans une société qui a ses forces de l’habitude. Si on multiplie cela par le nombre de conseils généraux, de collectivités… Je crois qu’on a là le début d’une prise de conscience, une évolution positive vers des comportements vertueux.”
Et de citer l’exemple de Ball Packaging, usine de canettes installée à La Ciotat (13), où les collaborateurs sont intéressés aux économies réalisées par des conduites saines sur toutes les économies consommables, d’eau et d’électricité, mais aussi sur les transports, générées dans le cadre de l’entreprise. “Et il y a une réversion de 50 % des économies à chacun des salariés. C’est une démarche gagnante qui implique tout le monde, un challenge dans le cadre d’une RSE. A la sortie, le salarié et l’entreprise sont vainqueurs”, a-t-il assuré.
Retours d’expérience
En Moselle, des projets de mobilité durable ont aussi été initiés. Comme l’explique François Tanguy, responsable projet électromobilité au conseil général, “le département est engagé dans l’électromobilité depuis la fin 2010. Le secteur représente 12 000 emplois directs et 6 000 emplois indirects, avec les présences de PSA et Smart. Le site de Hambach dépasse aujourd’hui les 1 000 Smart ED par mois”. La Moselle profite notamment de sa situation frontalière pour le déploiement de bornes standard, bénéficiant des retours d’expérience autant français qu’allemands. “Fin novembre, nous étions les premiers à installer des bornes comprenant les types 2 et 3 ainsi qu’une prise domestique. Nous avons également lancé le projet interrégional “Elec’TRA”, qui est un concept de réseau de parc relais, e-hubs, avec des véhicules en complément des transports en commun. Un projet qui viendra à son terme en octobre 2014”, relayait François Tanguy.
Partout ailleurs, les initiatives naissent. Du côté d’Angoulême, on se targue d’être la première ville moyenne à se lancer dans une alternative de mobilité. La ville a fait le choix des véhicules Mia et des bornes de recharge Schneider, favorisant ainsi son bassin d’emploi. “Nous avons une dizaine de véhicules en autopartage, dont deux utilitaires. Une sixième station sera opérationnelle dès fin juillet”, a annoncé Michel Germaneau, vice-président du Grand Angoulême en charge de la mobilité.
Des projets qui étaient réservés aux grandes villes, et dont on constate un déplacement à tous types de collectivités. Sans oublier la réflexion sur les usages. En visant à ne pas substituer à tout prix les motorisations thermiques rendues sans cesse plus vertueuses, il semblerait que les acteurs publics dessinent aujourd’hui les comportements de demain. A huit mois des élections municipales, le Club des voitures écologiques entend bien continuer d’exercer une pression sur les élus.
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En Chiffres
Les RIVE
• 35 parlementaires et élus locaux
• 1 200 acteurs et décideurs publics et privés
• 40 véhicules écologiques présentés
• 1 500 essais
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FOCUS - L’innovation technologique en démonstration
Bosch et PSA Peugeot Citroën ne sont pas venus les mains vides. L’équipementier allemand et le constructeur français ont en effet profité des RIVE pour présenter le tout dernier fruit de leur collaboration, baptisé “OpEneR” (Optimal Energy consumption and Recovery). Monté sur une 3008 électrique, ce système d’optimisation de l’énergie accroissant l’autonomie repose sur trois innovations. Pour les véhicules hybrides et électriques, la réduction de la consommation ne passe plus seulement par la récupération d’énergie au freinage, mais aussi par le roulage libre.
Au volant du prototype, il suffit de laisser filer le véhicule une fois lancé, pour enclencher ce système Stop & Start de nouvelle génération. Moteur coupé, le roulage libre maintient une vitesse suffisante en environnement urbain, et permet ainsi de réduire sa consommation. “En termes énergétiques, c’est plus efficace que de freiner pour récupérer de l’énergie”, justifie Franck Cazenave, directeur innovation Robert Bosch France. Des gains de 7 % sont attendus, en plus des 5 % liés au Stop & Start tel qu’on le connaît. Allié à ce système, l’”ESP hev” gère la régénération, tandis que le iBooster permet d’amplifier la force de freinage à vide. Des technologies à retrouver en série prochainement, à l’horizon 2015.
Non loin de là, NTN-SNR présentait ses innovations électriques, en accord avec l’orientation stratégique prise il y a quelques années. Venu avec Too’In, véhicule à moteurs-roues électriques, il a fait la démonstration de son savoir-faire. La mairie d’Annecy exploite ce véhicule développé avec Lazareth, pour la distribution de son courrier. Selon Vincent Pourroy-Solari, responsable département Innovation, division Automobile, le moteur-roue présente l’avantage d’offrir une hybridation à moindre frais.
L’équipementier présentait également un étrier de frein électromécanique, où un capteur d’effort intégré permet de connaître la pression de freinage. NTN-SNR vise ici le gain de masse dans les systèmes ESP et ABS, pour une application sur les segments A et B. Si ces développements sont réalisés au Japon, les RIVE sont l’occasion de relever un plus grand défi : permettre au roulementier de faire savoir qu’il a élargi le champ de ses compétences.
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FOCUS - En route vers la transition énergétique ?
Bioéthanol, biogaz, GPL… des énergies dont on entend parler depuis des années, et dont la part à l’usage reste marginale. Elles ne bénéficient pas de la même promotion que peuvent connaître le tout électrique et l’hybridation, ou pire, sont freinées au point de vue réglementaire. “Une évolution de la réglementation au 1er janvier a assimilé l’éthanol à un hydrocarbure”, regrette Nicolas Rialland, responsable éthanol et bioénergies chez CGB (Confédération générale des planteurs de betteraves). Un correctif de cette réglementation est en cours, tandis que 40 à 50 nouvelles stations-service devraient le proposer à la fin 2013, en plus des 300 existantes. “Là où le bioéthanol est proposé, il se vend”, martèle Nicolas Rialland, avant de préciser que si le E85 en est la principale vitrine, ce n’est pas le seul débouché.
Le GPL, lui, aurait séduit 250 000 automobilistes, alors qu’une seule station sur sept en propose. Joël Pedessac, directeur général CFBP (Comité français du butane propane), a souhaité mettre l’accent sur la technologie abordable que représente le GPL pour le grand public. Avec une liste de véhicules compatibles importante (Dacia, Fiat, Opel), il est en effet plus facile d’accéder à un carburant coûtant moins de 0,90 euro/litre, émettant moins de CO2 pour une autonomie comparable au Diesel notamment.
Cette mise en valeur rituelle aux RIVE fait aujourd’hui écho à l’avis du Cese (Conseil économique, social et environnemental), “la transition énergétique dans les transports”, votée le 10 juillet (139 pour 20 abstentions). “La transition énergétique et plus largement le développement des éco-industries constituent une opportunité de relance économique, de structuration de filières industrielles françaises ou européennes dans les énergies renouvelables et les technologies « bas carbone », créatrices d’emplois”, énonce l’avis. Outre l’électrification et l’effort de R&D prônés, des technologies sont bien là, profitant d’ores et déjà à la mobilité individuelle comme aux transports en commun, et qu’il serait opportun de promouvoir. C’est ainsi que le Cese soutient notamment les travaux en cours sur les biocarburants de 2e et 3e générations, qu’il faut “renforcer et accélérer”.
En ouverture de ces rencontres, Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques, déplorait que la mobilité et le transport soient “le parent pauvre du débat sur la transition énergétique”. Voilà peut-être, depuis, une prise de conscience à la hauteur des enjeux. Philippe Martin, nommé ministre de l’Ecologie et du Développement durable à la veille de ces RIVE, pourfendeur de la culture OGM, a désormais fort à faire, aussi, dans le champ de la mobilité douce. La conférence environnementale, les 20 et 21 septembre prochains, aura valeur de test.
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Questions à... Marc Teyssier d’Orfeuil, délégué général du Club des voitures écologiques, cofondateur des RIVE.
JOURNAL DE L'AUTOMOBILE. Quel message souhaitez-vous distiller en donnant une dimension européenne aux débats ?
MARC TEYSSIER D’ORFEUIL. Les enjeux de l’automobile sont mondiaux, et nous avons un axe franco-allemand qui est historique et fort, il faut en profiter. Ce qui est vrai en pollution dans la circulation à Berlin l’est aussi à Paris. Entre ces deux poids lourds de l’Europe, il est donc nécessaire de discuter.
Cela vient au moment, aussi, où les Allemands, avec BWM-i, ont la volonté d’aller vers l’hybride, et dans le groupe Mercedes, la Smart ED, électrique et produite en France. Il faut faire comprendre aux élus français qu’il y a des initiatives qui se prennent ailleurs, que l’Allemagne est en train de rattraper son retard, notamment sur les infrastructures de recharge. Nous établissons d’ailleurs un partenariat avec Munich Expo, pour une collaboration transfrontalière. C’est un axe important.
JA. Quel constat faites-vous de l’avancée de l’électromobilité dans le monde ?
MTO. Les Etats-Unis et la Chine sont en train de rattraper leur retard, et nous dépassent, ce qui est dommage. La Chine cible le vélo électrique, tout en développant évidemment des voitures électriques. Les villes y sont très polluées, donc il pourrait y avoir chez eux un saut technologique, sans passer par le véhicule thermique. Des villes complètes sont en train de sortir de terre. Ce sont des villes modernes où l’on peut imaginer que les habitudes seront à créer et non pas à changer. Par ailleurs, concernant les Etats-Unis, on a vu le démarrage de la Tesla, qui certes est une voiture chère, mais qui se vend à 2 000 unités par mois.
JA. Better Place vient de disparaître. Quelles conclusions tirez-vous d’un échec comme celui-là ?
MTO. Better Place pouvait être effectivement adaptée à Israël, pour un tout petit pays. Mais sur le principe, avoir une station-service d’interchangeabilité de batterie pour une voiture dans une marque, j’avais des doutes. C’est comme si Total ou Shell ne pouvaient servir qu’une voiture dans une marque, tout cela pour 2 millions d’euros d’investissement. Quand la voiture électrique est sortie, l’idée était excellente : on change les batteries comme on changeait les chevaux à l’époque. Entre-temps, les technologies ont évolué, Opel a sorti son Ampera et nous avons aujourd’hui, avec les Range Extender, des voitures qui ont 80 km d’autonomie en électrique. J’ai presque envie de dire “A quoi bon aller échanger une batterie ?”.
JA. Selon vous, 2013-2014 est une année charnière. Quel déclic attendez-vous ?
MTO. Charnière, oui, mais aussi année de tous les dangers. C’est une année où les bornes de recharge n’ont pas été suffisamment installées. L’argent de l’Etat, 50 millions d’euros, attend sur une étagère depuis maintenant deux ans. Les Renault Zoé sont sorties et elles se vendent peu ou prou au rythme souhaité. Cette année, en amont des élections municipales, il faut que les candidats s’engagent, mais il faut surtout une volonté de déploiement des bornes de recharge. Et il faut changer de rythme. Ne pas rester à un rythme public qui n’accompagne pas la sortie des véhicules privés.
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