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Industrie

Véhicule autonome : Les équipementiers préparent le terrain

Publié le 6 mai 2015

Par Frédéric Richard
10 min de lecture
Au quotidien, les grands équipementiers développent des systèmes de plus en plus intelligents, dont les fonctionnalités ont pour mission d’apporter une plus grande autonomie au véhicule, tout en préparant l’utilisateur à l’arrivée du véhicule automatisé.
La redondance des fonctions est une évidence dans la voiture autonome, mais ne constitue pas un problème technique. Plutôt une histoire de coûts.

L’électronique est partout dans l’automobile, et ne fait pas débat. Pour les constructeurs, le sens de l’histoire en la matière consistait à s’appuyer sur des équipementiers experts, afin de faire progresser leurs véhicules. Ils ont ainsi délégué le développement de leurs produits, élargissant peu à peu le champ des possibles, année après année. Tout est parti d’une évolution des besoins et de contraintes réglementaires, qui ont accéléré l’introduction de l’électronique dans l’automobile, avec deux tendances principales, la sécurité et la baisse de la consommation. De là, les multitudes de possibilités ont germé dans l’esprit fécond des ingénieurs, rapidement rejoints par des start-up ayant compris l’importance du besoin de mobilité et de simplicité des consommateurs. Avec des fonctionnalités ou des applications rendues viables grâce à l’électronique, qui est, à ce titre, devenue visible et incontournable.

Dans l’automobile, l’électronique s’immisce au cœur de trois univers. Au niveau du contrôle châssis tout d’abord, pour assurer la sécurité (ABS, ESP…), puis dans la gestion moteur, toujours plus fine afin de répondre aux contraintes de pollution, et enfin dans le pilotage des fonctions de confort (infotainement, connectivité…).

Or, ce cloisonnement naturel tend à disparaître. Les systèmes modernes d’aide à la conduite ont besoin d’informations provenant du châssis par exemple, et peuvent se voir amenés à contrôler certaines fonctions moteur. Tandis que des “acteurs de la mobilité”, comme ils se nomment, s’invitent à la table et profitent de l’avancée technologique des véhicules pour amener leurs solutions sous forme d’applications ou d’idées novatrices. L’électronique et l’informatique embarquées rebattent donc clairement les cartes. La voiture, qui vivait seule son paisible développement, voit désormais ses plans de développement bouleversés par ce nouvel écosystème aux multiples intervenants. Pour les équipementiers, la difficulté est technique, mais surtout culturelle. Impossible aujourd’hui de prévoir quelles seront les fonctions plébiscitées demain. Or, il faut innover sans cesse pour rester dans la course.

Evolution quotidienne

Les architectures électroniques sont en permanence remises en cause. Un capteur ESP, par exemple, peut désormais voir ses prérogatives utilisées dans le fonctionnement d’une centrale inertielle, un élément important pour la conduite autonome. En fait, chaque information captée sur le véhicule peut être détournée de sa nature pour d’autres fonctionnalités ou un nouvel usage.

Si l’on résume l’état de l’art, l’industrie auto se situe au même point que celle du téléphone mobile il y a quinze ans. Personne n’aurait alors parié que le téléphone servirait à tout (e-mail, paiement, localisation, Internet…), et seulement encore un peu à téléphoner. “L’auto se trouve un peu dans cette logique. On sent qu’un bouleversement fort de l’usage, lié à la connectivité, se profile, on sait que cette révolution sera tirée par les fonctions, et que la technologie doit s’adapter. Et de nombreuses questions subsistent, liées à la sécurité notamment”, prévient Guillaume Devauchelle, directeur de l’innovation et de la recherche scientifique de Valeo.

Postulats et prérequis

Avant de s’intéresser à la technologie, parlons sociologie et acceptabilité. Car c’est de cela qu’il s’agit avant tout. Le véhicule autonome peut fait peur. Il ne suffit pas de mettre une fonction sur le marché, il faut qu’elle soit acceptable. Et pour cela, elle doit être comprise par l’utilisateur, donc simple. Ce qui se révèle beaucoup plus complexe qu’il n’y paraît.

“On réfléchit beaucoup à l’acceptation des systèmes par l’automobiliste. Je ne suis pas sûr que les clients aient envie de ruptures technologiques. On ne peut pas mettre sur le marché un véhicule dont l’utilisation serait radicalement différente de celle d’une autre marque, par exemple”, estime Thierry Métais, responsable du compte PSA pour TRW. Soutenu par Guillaume Devauchelle, chez Valeo : “Je ne pense pas que la voiture doive être en avance en termes d’ergonomie. Tout doit se faire progressivement. Il est inimaginable de supprimer le volant d’une automobile, par exemple. Ce serait inacceptable pour un client aujourd’hui. Nous avons largement médiatisé nos fonctionnalités de parking automatisé pour cette raison. Cela habitue peu à peu les gens et crée de la confiance dans les systèmes.”

Une fois qu’une solution a été validée par le constructeur, la tâche de l’équipementier se révèle finalement plus facile sur le sujet de l’acceptabilité. En effet, c’est au constructeur de définir le meilleur moyen de la présenter au client, selon sa stratégie, son image… C’est dans l’interface homme-machine que se situe donc toute la complexité. Voilà la raison pour laquelle le besoin de standardisation de l’architecture automobile se fait criant, et les exemples d’ergonomie personnalisée se multiplient. Demain, il y a fort à parier que l’ergonomie viendra avec l’utilisateur, au moyen d’une configuration contenue dans le smartphone par exemple. Dans ce scénario, le virage sera plus complexe pour le constructeur, qui devra jouer finement pour ne pas abandonner ce qui fait (encore) son ADN et sa différenciation.

Taux de disponibilité et mise sur le marché

Se montrer prudent avec l’utilisateur, ne pas trop le dérouter, constitue néanmoins un avantage pour les équipementiers et les constructeurs. Certes, ils assemblent de plus en plus rapidement les briques de la voiture autonome, mais doivent encore faire face à des écueils importants. A ce titre, il est heureux que l’automatisation se fasse progressivement, “comme s’est déployée la couverture des réseaux pour le téléphone cellulaire”, se risque Guillaume Devauchelle. Il faut voir l’automatisation comme une évolution progressive, qui se construit pierre après pierre, avec l’idée d’augmenter petit à petit le seuil de disponibilité d’une fonction, au fur et à mesure des générations. “Le régulateur de vitesse est apparu, il est ensuite devenu adaptatif, puis adaptatif + (gérant le ralentissement jusqu’à l’arrêt du véhicule). En lui adjoignant les services d’un capteur d’angle mort, le système permettra bientôt de déboîter automatiquement si le conducteur a mis son clignotant. Enfin, si l’on pousse encore un peu plus loin le raisonnement, il s’agira d’autoriser la manœuvre sans la demande de l’automobiliste. Mais ce détail, si anodin soit-il, suppose de donner des infos de situation au véhicule, de s’assurer que personne ne vient en face, par exemple”, tempère Christophe Minster, responsable des ventes systèmes d’aide à la conduite de TRW.

Si le taux de disponibilité s’avère faible sur les premières générations de certaines fonctions, c’est donc que les systèmes ne peuvent appréhender de suite l’ensemble des situations qu’ils seront amenés à rencontrer. C’est cette nécessaire période qui justifie des développements ultérieurs et prend des années, à mesure des retours d’expérience.

Infrastructures, besoin de capteurs et redondance

Chacun s’entend sur la pertinence de la communication des véhicules avec les infrastructures ou entre les véhicules. L’interaction d’un véhicule avec une route n’est pas indispensable, mais apporte un plus indéniable. Par exemple, on peut imaginer qu’en entrant dans un parking, la voiture en télécharge le plan, et aille automatiquement se garer sur une place libre. Les gestionnaires de parking réfléchissent à cela. Mais quand on parle d’infrastructures publiques, le discours est moins évident. Au plan financier, personne n’est prêt pour de tels investissements et, quand bien même, la voiture autonome n’attendra pas cela pour se lancer sur les routes. Alors, elle doit pour l’heure se situer seule dans son environnement, en utilisant des technologies de pointe et sûres en tout point.

Là encore, il s’agit donc de proposer au public des systèmes “imparfaits”, dont la disponibilité est largement perfectible, pour en augmenter l’acceptation, générer la demande et les faire évoluer.

Au départ, notre voiture autonome devra donc se guider seule. Ce qui sous-entend l’utilisation de divers capteurs, dont les données fusionnent pour situer précisément le véhicule dans son environnement. Trois capteurs principaux sont aujourd’hui nécessaires pour assurer la redondance, la sécurité de fonctionnement. Valeo a choisi le Scanner Laser, issu de sa coopération avec le groupe Safran. La technologie n’est pas nouvelle, mais ce modèle s’affiche environ 200 fois moins cher que les systèmes utilisés d’ordinaire pour cette fonction. Par ailleurs, il est conçu pour durer la vie de la voiture. Son rôle consiste à positionner les objets en 3D dans l’environnement. En revanche, le scanner reconnaît difficilement la nature de l’objet. Ce que fait très bien une caméra, isolant les piétons des panneaux, etc., mais appréhendant mal les distances. L’association des deux technologies donne une information fiable. Le troisième capteur, c’est le radar, qui vient assister la caméra en cas d’éblouissement par exemple.

La redondance est donc une évidence, mais ce n’est pas un problème technique de risque lié à une défaillance potentielle de l’électronique. C’est un simple problème de physique, pour assurer la continuité d’une fonctionnalité. La nuit, les caméras sont moins efficaces que le jour, par exemple. Ainsi, on pallie ce problème en utilisant le radar. C’est une redondance. On a toujours intérêt à disposer de plusieurs mesures physiques qui établissent au final la même information, pour maintenir la fonction.

La forme de redondance automobile ne consiste donc pas à doubler des capteurs identiques, mais à suppléer les fonctions d’un capteur par celles d’un autre, dans des situations précises.

La gestion du flux d’informations

Ces dizaines (parfois plus) de capteurs qui dialoguent toutes les millisecondes avec des non moins nombreux calculateurs posent la question du débit de données qui transitent sur le réseau de bord, et sur les astuces utilisées pour que le CAN BUS, malgré son âge, reste une solution viable et rivalise avec le FlexRay, plus rapide et au débit plus important.

En fait, les ingénieurs donnent des priorités aux messages. Les infos châssis et moteur, par exemple, sont des messages très courts, qui exigent des temps de réponse ultra-rapides. Ils sont dits déterministes, donc prioritaires, car quand vous appuyez sur la pédale de frein, l’ABS, par exemple, doit être opérationnel de suite. Par ailleurs, d’autres fonctions n’ont pas la priorité au sein d’un calculateur, tel l’autoradio, qui délivre des messages non déterministes. Ce qui signifie que le calculateur peut faire autre chose de plus urgent avant de changer une station FM, par exemple. C’est comme cela que se gère aujourd’hui le besoin de débit.

La consommation

Tous ces petits boîtiers électroniques ont fait grimper la consommation électrique en flèche. Toutefois, ils permettent le fonctionnement de systèmes offrant une économie d’énergie associée. Par exemple, si l’on monte des caméras sur les portières, on supprime les rétroviseurs (gain de poids, gain financier), et le bilan est très positif.

Par ailleurs, le surcroît de consommation se gère facilement avec l’alternateur embarqué. Une situation encore plus vraie dans le cas des hybrides ou des VE, dont les systèmes récupèrent beaucoup d’énergie au freinage. En effet, les batteries présentent un rendement faible, il peut donc se révéler pertinent de les contourner en prenant du courant à la source de production, pour alimenter le réseau de bord. En gros, il faut consommer pour obtenir un meilleur rendement global.

Enfin, avec tous ces systèmes, “on conduit mieux, donc on consomme moins, en tout cas on optimise sa conduite. Les études montrent que l’ACC permet une économie de 20 % sur autoroute. C’est donc très sensible”, révèle Thierry Métais.

De la tâche ardue des équipementiers

Etre équipementier n’est pas chose aisée. Il faut savoir innover sans cesse, sous la contrainte de paramètres qu’on ne maîtrise pas, comme la stratégie des constructeurs ou l’acceptabilité des clients. Des items qui peuvent décider de la vie ou de la mort d’un système, même s’il a demandé plusieurs mois de mise au point. La technologie n’est que rarement en cause, puisque ses limites servent justement à faire entrer de nouveaux systèmes dans la tête des usagers, petit à petit.

Il y aura toujours des limites à la conduite autonome, toujours des cas particuliers où le conducteur devra reprendre la main. Il faut assumer cela, et comprendre que l’automobiliste veut garder le contrôle en cas de besoin. Aux fournisseurs et experts de proposer des détections suffisamment fines pour exprimer avec précision au conducteur le moment opportun pour reprendre la main, le moins souvent possible. Ce sont ces barrières que définissent aujourd’hui TRW et Valeo, entre autres. Ces barrières qui deviendront les standards de l’industrie, et qui se repoussent peu à peu pour aboutir à la conduite automatisée.

 

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