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Industrie

"Rien ne permet de douter de la robustesse du futur bonus automobile", KPMG Avocats

Publié le 28 septembre 2023

Par Catherine Leroy
6 min de lecture
Des interrogations subsistent sur la validité et l'équité des constructeurs pour atteindre le score environnemental qui va déterminer l'obtention du futur bonus automobile. Le Journal de l'Automobile a demandé à Stéphane Chasseloup, associé en commerce international et Emmanuel Tricot, associé en droit français et européen de la concurrence chez KPMG Avocats de se prononcer sur les aspects juridiques de cette nouvelle disposition.
Stéphane Chasseloup, associé en commerce international et Emmanuel Tricot, associé en droit français et européen de la concurrence chez KPMG Avocats.
Stéphane Chasseloup, associé en commerce international et Emmanuel Tricot, associé en droit français et européen de la concurrence chez KPMG Avocats.

Le Journal de l'Automobile : Quelle analyse juridique faites-vous des textes publiés par le gouvernement pour le futur bonus écologique ?

Stéphane Chasseloup : Le bilan carbone était jusqu’à présent basé sur les émissions d'un véhicule électrique - autrement dit "zéro émissions". Le gouvernement souhaite aujourd’hui calculer ces émissions sur l'ensemble du cycle de vie du véhicule, et il a alors fixé des critères pour se faire :  matériaux utilisés pour la production, lieu d'assemblage des véhicules, consommation énergétique des zones ou du site, type et technologies des batteries, ainsi que logistique et acheminement. Ces critères ont été fixés par le décret et l'arrêté parus le 20 septembre 2023. L'objectif annoncé est d’appréhender plus globalement la sobriété des émissions de CO2 des véhicules électriques.

 

Emmanuel Tricot : En ce qui concerne la fabrication de batteries par exemple, dans la mesure où le score correspond en effet à l'accumulation de résultats obtenus par le biais de six critères, un véhicule qui disposerait d'une note favorable pour cinq critères autres que celui de l'empreinte carbone liée à la production de la batterie pourrait le cas échéant être équipé de batteries fabriquées dans une zone géographique hors Union européenne. Il y a donc une volonté de mettre en place un bonus écologique pour ce qu'il a de plus efficace. Avec l’objectif conjoint de ne pas freiner le développement de la filière des véhicules électriques en France et en Europe.

 

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J.A. : Certaines voix s'élèvent pour dénoncer le caractère illégal des critères de ce bonus au regard de règles du commerce international. Qu'en pensez-vous ?

S.C. : La nouvelle clé de voûte, que ce soit pour la future taxe carbone aux frontières ou même le bonus, c’est la part d'émission carbone dans la fabrication des véhicules.

De nombreux observateurs se sont interrogés sur la compatibilité de ces nouveaux dispositifs à la norme constitutionnelle, européenne et internationale.

La critique est le plus souvent fondée sur les règles de l’OMC, qui prévoient une considération équivalente entre les produits importés dans une zone douanière et ceux fabriqués localement.

Mais il est important de noter qu’il est possible de déroger à ce principe en invoquant l’article XX du GATT relatif à l’environnement.

Pour évaluer la conformité du dispositif, il faut analyser les critères fixés et vérifier que si les produits importés sont principalement visés par les nouvelles normes et voient leur bonus baissé ou invalidé, ils le sont à des fins environnementales, de manière pertinente et objective, au cas présent.

 

E. T. : Nous sommes face à un texte à caractère technique, au sein duquel la mise en œuvre de chacun des critères fait l'objet d'équations sophistiquées qui résultent d'un raisonnement approfondi visant spécifiquement à mesurer l'empreinte carbone des différentes étapes de production et logistique des véhicules électriques. Il n'existe aucune raison de considérer a priori que ces critères manqueraient d'objectivité ou n’auraient pas été élaborés avec sérieux.

 

J.A. : Quels sont les risques encourus par ce nouveau dispositif au regard des règles de l'OMC ?

S.C. : À nouveau, il faudrait démontrer que les critères ne seraient pas objectifs et qu'ils cibleraient des véhicules électriques d’une zone géographique en particulier. Il est difficile de le dire en l’état sans une comparaison poussée des critères et de l’offre des constructeurs mondiaux.

Les discussions se poursuivent puisque la liste des véhicules électriques concernés ou non par un bonus sera publiée le 15 décembre prochain par l’Ademe. Les constructeurs auront d’ailleurs la possibilité après cette date de contester la place qui sera faite aux véhicules qu’ils commercialisent, par une démonstration objective de leurs émissions CO2.

En tout état de cause, il ne faut pas non plus oublier que ce dispositif, tout comme la taxe carbone aux frontières, s'inscrit dans une logique internationale mêlant volonté de réindustrialiser et de réduire les émissions carbone. Certains pourront y voir une forme de réponse européenne aux mesures américaines annoncées par Joe Biden avec l'IRA (Inflation Reduction Act).

 

E. T. : La France n’est pas isolée. Sa démarche s'inscrit dans une logique européenne. L'enquête antidumping lancée sur le contrôle des subventions d’États étrangers en Europe, dont l’État chinois, démontre que l'Union européenne ferait bloc dans l’hypothèse où une enquête de l'OMC serait ouverte. Les textes sur le bonus écologique font en outre partie d'un tout, ce qui contribue à les solidifier. Aujourd’hui, nous n’avons connaissance d'aucun indice permettant de douter de la robustesse ou de la pertinence du dispositif et, a fortiori, des critères qu’il met en œuvre. Concrètement, personne ne remet actuellement en cause le mode de calcul retenu.

 

J.A. : D'autres pays européens pourraient-il suivre l'exemple de la France et favoriser ainsi la création d'un bonus européen ?

E. T. : Absolument. L’analyse des valeurs de référence du facteur d'émission carbone de la production de métaux ferreux, critère exprimé dans l’annexe de l’Arrêté du 19 septembre 2023 « relatif à la méthodologie de calcul du score environnemental et à la valeur de score minimale à atteindre pour l’éligibilité au bonus écologique pour les voitures particulières neuves électriques », permet de constater que, pour cet élément du calcul, le facteur de la France est de 1,4, équivalent à celui de l'Allemagne ou de l’essentiel des autres États membres. La Belgique est à 1,3, l'Italie à 1,2, à un niveau plus favorable donc. La France est ainsi positionnée dans le peloton des États de l’Union européenne, sans avantage particulier pour la mise en œuvre de ce facteur. D’autres États pourraient ainsi considérer que l’adoption dans leur droit interne d’un système de bonus écologique inspiré du système français aurait des effets similaires à ceux qu’on observera sur le marché français.

 

J.A. : Pour la fixation du bonus et des émissions CO2, les États membres vont-ils prendre le cycle de vie du véhicule ou certains vont-ils continuer à envisager leur bonus sur la base de ses seules émissions (zéro au cas présent) ? 

S.C. : On peut anticiper une tendance générale en Europe à aller vers ce type de dispositif et à calculer la part carbone dans une acception large. Toutefois n’oublions pas que l’interdiction fixée par l’UE dans le cadre du dispositif FIT for 55 des véhicules thermiques en 2035 n’est basée que sur leurs émissions de CO2.

 

J.A. : Ces critères vont-ils obliger les constructeurs chinois à investir sur un outil de production en Europe ?

E. T. : Les constructeurs chinois, mais aussi japonais et coréens, seront probablement incités à implanter des unités de production en Europe, même si la mise en œuvre de bonus écologiques ne rééquilibrera probablement pas complètement le différentiel de coûts de production entre les véhicules électriques produits en Europe et un grand nombre de ceux produits en Chine, notamment.

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