Lubrifiants : plus dure sera la chute
D’abord, l’état des lieux du marché. Quelque peu sinistré et en tout état de cause préoccupant, comme le confirment les données chiffrées du CPL, soit le Centre professionnel des Lubrifiants. Avec un volume de 308 290 tonnes, dont 158 000 tonnes pour les voitures de tourisme (les essence et mixtes pesant 122 600 tonnes et le Diesel tourisme 32 000 tonnes), l’exercice 2012 s’est conclu sur une note largement négative pour le secteur des lubrifiants automobiles, avec un recul de 5,7 % par rapport à 2011.
Pour ce qui est de 2013, le trend négatif se poursuit sans surprise, et s’accentue même. Ainsi, tandis que le mois de février a connu un retrait de 8,6 % par rapport à février 2011, mars (avec 24 600 tonnes, dont 12 650 tonnes pour les moteurs de VL) enregistre pour sa part un recul de 9,3 % par rapport à la même période de l’année précédente ! Du jamais vu. Finalement, en prenant en compte l’ensemble du premier trimestre 2013, la baisse se situe à 8,1 %. En outre, prendre en considération les données relatives à l’année courante (soit du 1er avril 2012 au 31 mars 2013) ne change pas grand-chose au problème puisque, avec quelque 301 800 tonnes, la régression s’établit tout de même à 7 %. “Qu’il s’agisse de l’année 2012 en globalité ou du début d’année 2013, ces résultats dénotent avant tout les difficultés de l’environnement économique et les dégradations des secteurs clés qui consomment des lubrifiants, résume Christophe Pouts, le président du CPL. Ainsi, sur le premier trimestre, le marché automobile a plongé de 10 % et, aujourd’hui, nous n’avons aucun signe indicateur d’une reprise, à l’instar du secteur de la construction, par exemple.” Effectivement, le premier trimestre 2013 a vu la commercialisation de 17 000 VN de moins, un “manque à gagner” certain côté lubrifiants pour ce qui est du premier plein. Plus globalement, les économistes font état d’une récession économique de 0,2 %, identique à celle du dernier trimestre 2012.
La conjugaison de la baisse de consommation de carburant et du kilométrage moyen
Reste que, comme le fait remarquer justement Thierry Martin, coordinateur marketing opérationnel de Motul, l’année n’est pas terminée : “Selon moi, le marché peut se redresser en gommant la baisse de moitié, avec des décalages liés à la saisonnalité, à des reports. Ainsi, en ce qui nous concerne, nous avons réalisé un mois de mars plutôt négatif, mais un mois d’avril exceptionnellement bon. Dans ce genre de situation, plus on intègre les éléments sur une courte période, moins ils sont significatifs. En fait, il faut prendre un certain recul.” Il faut savoir que, sur l’ensemble de l’année 2012 caractérisée par la baisse que l’on connaît, l’industriel du graissage (IG) d’Aubervilliers réalisait une progression de presque 9 % sur le seul secteur de l’automobile grâce à sa stratégie axée sur les produits à forte valeur ajoutée, couplée à une puissante présence terrain par le biais d’une cinquantaine de commerciaux.
Certes, les dernières statistiques de l’Ufip (Union française des industries pétrolière) laissent entrevoir une éclaircie. En effet, selon l’institution, pour la première fois depuis novembre dernier, la consommation française de carburants est repartie à la hausse en avril. Si la hausse globale se situe à 3,4 %, dans le détail, les livraisons de gazole ont augmenté de 3,8 % et celles de l’essence de 1,8 %. Toutefois, cette hausse sur avril ne doit pas faire oublier la régression enregistrée sur les quatre premiers mois de l’année. En effet, la consommation nationale de carburant a baissé de 1,6 % par rapport à la même période de l’année 2012. En clair, le Français roule moins et ce n’est pas nouveau, puisque la moyenne kilométrique annuelle ne cesse de diminuer. De 13 300 km en 2011, celle-ci est passée à 13 111 km en 2012. Or, qui dit baisse du kilométrage moyen dit report des entrées en atelier. Christophe Guillaumenq, directeur commercial lubrifiants (marché professionnels) au sein de BP France, qui distribue Castrol, voit pour sa part un autre facteur, structurel cette fois : l’évolution du mix produit côté véhicules. “Le mix est clairement tiré vers le bas du fait de la commercialisation massive de petits véhicules, fait-il remarquer. En outre, l’évolution technologique des moteurs, illustrée par le downsizing, engendre également une contenance de carter plus faible. Aujourd’hui, cette contenance est inférieure de 1 à 1,5 litre par rapport à celle des carters plus anciens.” Concrètement, la moyenne parc se situe entre 3,5 l et 4 l, à l’instar du carter du fameux moteur Ford 1.0 EcoBoost, dont la contenance est précisément de 4 litres ! Les espacements de vidange ? Bon nombre d’acteurs du marché s’accordent à penser que ce vecteur n’est plus aussi significatif que par le passé. “Aujourd’hui, nous assistons en quelque sorte à la fin du cycle de l’accroissement des intervalles”, résume Christophe Guillaumenq. Et les propos de Christophe Pouts vont dans le même sens. “D’abord, les espacements de vidange n’augmentent plus, confirme-t-il. Tout au plus, pouvons-nous constater que les nouveaux véhicules entrant dans le parc, et qui remplacent donc des véhicules très anciens, ont des périodicités de vidange supérieures. Mais encore une fois, ce n’est plus un levier essentiel.” Effectivement, les intervalles de vidange sont désormais stabilisés entre 20 000 et 30 000 km en moyenne pour ce qui est de l’Europe, certains constructeurs tel Renault ayant fait machine arrière au printemps 2012. En effet, en fonction des motorisations, cet intervalle de vidange est désormais fixé à un an ou 30 000 km (Diesel munis d’un FAP) ou un an ou 20 000 km (moteur turbo essence), la démarche pouvant dans ce cas être incorporée à la révision. Autre exemple, PSA. Jusqu’ici calé sur un intervalle de deux ans ou 30 000 km (certaines motorisations Diesel étant à 20 000 km), le constructeur est revenu à une opération annuelle (ou 20 000/30 000 km selon motorisations) pour les modèles commercialisés depuis juillet 2012.
La vidange est l’opération d’entretien la plus retardée
Il faut dire que la capacité moyenne des carters des véhicules de nouvelle génération, alliée à l’emploi de biocarburants, ne va pas non plus dans le sens d’une augmentation des périodicités. Cela dit, pour ce qui est du parc et non des recommandations officielles constructeurs, la périodicité moyenne se situerait toujours aux alentours des 15 000 km. Une donnée qui en amène une autre. Selon le Gipa, le marché de la vidange aurait représenté 115 816 900 litres en 2011. A titre comparatif, il se situait à 130 630 000 litres en 2009 et à 138 208 900 en 2007…
Bref, selon Christophe Pouts, la baisse du pouvoir d’achat serait aujourd’hui un facteur conjoncturel bien plus perturbant pour le secteur : “Au niveau de la vidange, il est clair que cette baisse joue contre la délégation et doit sans doute dynamiser le do it yourself. Au minimum, ceux qui demeurent fidèles à leur garagiste peuvent également être amenés à repousser la démarche.” Effectivement, une étude du Gipa montre que la vidange est l’opération d’entretien la plus retardée, devant le remplacement des pneumatiques. “A force de différer la démarche, sur un cycle de vie, il est très facile d’occulter une vidange sur une année”, fait remarquer fort justement Eric Candelier, le directeur commercial et marketing de Yacco. Il faut dire que la baisse du pouvoir d’achat s’est établie à 0,9 % sur l’année 2012. La plus forte régression recensée depuis trente ans ! Maintenant, pour ce qui est du “do it”, le Gipa estimait sa part à 25 % en 2011. “Le “do it” ne concerne pas les véhicules sous garantie, il s’adresse plutôt aux véhicules de 5 ans et plus, rappelle Eric Candelier. Pour juger de son éventuelle progression, il faudrait connaître les données de l’année 2012, ce qui n’est pas évident.”
Des cartes en main, côté distribution
Selon le Gipa, et ceci pour ce qui concerne 2011, les réseaux constructeurs (concessionnaires + agents) demeurent largement majoritaires avec 37 % des parts, devant les MRA (25 %) et les centres-autos (17 %). Dans le contexte de récession que l’on connaît, comment s’en sortent les concessionnaires en particulier ? Selon Christophe Guillaumenq (BP/Castrol), ils parviendraient à maintenir leurs parts de marché, tout du moins à limiter le recul. “En revanche, les réseaux de marques sont confrontés à plusieurs types de clientèle, dont l’une se révèle plus volatile, note-t-il. Or, aujourd’hui, ils souffrent un peu du fait de ne pas disposer d’une offre diversifiée qui leur permette de répondre à ce type de clientèle. Dommage, car une étude réalisée par nos soins montre qu’à offre équivalente, les réseaux de marques ne sont pas plus chers que les centres-autos.” Ainsi, selon lui, leur challenge principal est de proposer une offre d’entrée de gamme qui ne vienne pas cannibaliser les offres à forte valeur ajoutée. Pas simple. Pour Shell Lubrifiants, des solutions existent pour juguler en partie l’érosion des volumes. “Les grands groupes structurés qui disposent d’une force de vente externe ont la possibilité d’aller chercher un peu de croissance chez leurs agents de marque, explique Stéphane Bienvenu, responsable commercial du secteur concessionnaires au sein de Shell Lubrifiants France. Plus globalement, les concessionnaires dynamiques peuvent s’en remettre à des programmes de rétention visant à fidéliser leur clientèle, tel celui que nous avons lancé avec trois niveaux d’offres. Dans ce registre, l’idée est de diriger le consommateur final vers le produit préconisé par le constructeur, soit le plus souvent des produits de synthèse (5W30, 0W30…) dans le but d’augmenter la rentabilité de l’entreprise, plutôt que de laisser le consommateur opter pour un produit ancienne génération, positionné à un niveau low cost.”
La difficulté consiste à trouver le juste équilibre
Concrètement, un produit de grade 5W30, par exemple, peut être commercialisé à un niveau de prix de 50 % supérieur, au minimum, à celui d’un 10W40. Ainsi, en fonction de la politique commerciale, un concessionnaire peut très bien dégager un CA supplémentaire de 20 à 30 € par vidange. Dans cette optique, le site Web LubeMatch (www.shell.com/lubematch), mis en place par le pétrolier au printemps 2012, prend toute sa signification. Disponible en 26 langues, libre d’accès pour tous les utilisateurs et en particulier les professionnels, il offre une navigation conviviale en vue de sélectionner le lubrifiant adéquat. “Grâce à ce service sur Internet, nous sommes en mesure de préconiser systématiquement le bon produit et même un produit positionné au-dessus d’un point de vue qualitatif, c’est-à-dire un produit doté d’une plage de protection en mesure d’assurer une garantie maximale tout au long de la vie du véhicule, souligne Eric Lhomer, directeur commercial France du marché Automotive de Shell Lubrifiant France. Maintenant, dans un contexte économique vacillant et un pouvoir d’achat en baisse, la difficulté est de trouver le juste équilibre entre un produit Premium haut de gamme, et sa capacité à être en phase avec le marché.” Effectivement, un trop fort décalage avec la réalité marché pourrait inciter le consommateur à se diriger davantage vers le centre-auto, voire même vers le MRA souvent réputé pour son très bon rapport qualité/prix, avec en sus la notion de proximité. Les propos d’Eric Candelier (Yacco), le confirment : “La tendance sur les quatre premiers mois de l’année montre que les MRA tirent leur épingle du jeu, bien mieux que les agents de marque, indique-t-il. Par comparaison, ces derniers enregistrent une baisse deux fois supérieure à celle des concessionnaires, qui se maintiennent relativement bien.”
Maintenant, qu’en est-il sur le segment des GMS (12 % du marché) ? La tendance des dernières années se confirme, comme l’illustrent les propos de Stéphane Bienvenu. “Les GMS sont passées du grade 15W40 au grade 10W40, qui représente encore leur cœur de marché, explique-t-il. Le plus souvent, le consommateur adepte des GMS, ce qui n’est pas forcément le cas de celui qui achète chez les spécialistes ou dans les centres-autos, recherche avant tout le prix. En outre, vient se greffer le problème des produits spécifiques à chaque constructeur. Si leur prix se révèle bien plus élevé que celui d’un 10W40, ils ne vont pas non plus dans le sens d’une recherche de gain de place sur les linéaires.” Selon lui, les hypermarchés, notamment, ont perdu les 2/3 de leur surface, qu’ils consacrent plutôt à l’alimentaire ou aux produits relatifs à l’ère du numérique, plus rentables et dotés d’un bien meilleur taux de rotation.