La filière automobile se consolide au Maroc
Mi‑mai 2023, la visite du roi du Maroc aux deux constructeurs marocains, Neo Motors et NamX, n’est pas passée inaperçue. Me demandant si je travaillais au Maroc, ma voisine de siège dans le Casablanca‑Paris, à qui j’indiquais que j’étais venu voir une installation industrielle, m’a immédiatement parlé de la visite du roi, la veille, aux deux constructeurs marocains. Pourtant, cette brave grand‑mère marocaine n’avait pas le profil d’un jeune car guy ! Cette anecdote illustre la transformation industrielle du Maroc, perçue par une large part de sa population et tout particulièrement dans le domaine de l’automobile.
Lors de la dernière édition d’Équip Auto, Saad Bendourou, chef de mission adjoint à l’ambassade du Maroc à Paris, soulignait que, grâce au Plan d’accélération industrielle mis en place par le ministère de l’Industrie et du Commerce, le Maroc apparaissait désormais sur les radars de l’industrie automobile. « Nos côtes sont à 14 km de l’Europe et nos schémas logistiques nous permettent d’être à 36 h de route de son cœur industriel. » Le Maroc entend pleinement tirer parti de sa position géographique et de sa stabilité politique.
Dans ce contexte, l’industrie automobile constitue, comme l’a indiqué Basma Mharzi, chargée du service de la promotion des écosystèmes automobiles à la Direction des industries de l’automobile au ministère de l’Industrie et du Commerce, le premier exportateur du pays et ce, depuis huit années.
Les autorités marocaines ont défini trois zones économiques (Tanger, Kénitra et Agadir) particulièrement attractives pour les investissements étrangers. Elles proposent une imposition sur les sociétés nulle jusqu’au cinquième exercice et de 15 % au‑delà, des droits de douane et une TVA à 0 %, ainsi que la non‑taxation des dividendes.
Eldorado des investisseurs étrangers
À ces atouts, il faut ajouter un large dispositif d’aides à la formation des ingénieurs, techniciens et opérateurs de production, ainsi que la maîtrise de la langue française. Pas étonnant donc que Renault et Stellantis se soient implantés fortement au Maroc au cours des dix dernières années. Chez Renault, le Maroc a décollé avec la Logan à la Somaca, puis la montée en puissance s’est poursuivie avec l’implantation de Tanger pour les différents véhicules de la plateforme B0. L’an dernier, le groupe Renault a produit 255 000 véhicules à Tanger dont 173 000 Sandero, ainsi que 73 000 exemplaires de l’utilitaire Renault Express.
De plus, le site de Tanger fabriquera, dès cette fin d’année, le véhicule électrique Mobilize Duo. Au total, les deux sites de Renault au Maroc ont fabriqué 350 000 véhicules en 2022 avec 12 000 personnes. En novembre dernier, la Somaca a fêté le millionième véhicule produit depuis 2005, année au cours de laquelle Renault en était devenu l’actionnaire majoritaire. Chez Stellantis, l’usine de Kénitra a lancé sa production fin 2019 avec la Peugeot 208 à laquelle se sont ajoutées les Citroën Ami et Opel Rocks-e. Ce site, dans lequel Stellantis a déjà investi 600 millions d’euros, fait actuellement l’objet d’une enveloppe de plus de 300 millions d’euros pour y industrialiser la plateforme d’entrée de gamme dite « smart car ». Ainsi, sa capacité de production atteindra 400 000 unités auxquelles s’ajoutent 50 000 Citroën Ami et dérivés.
Stellantis dispose aussi d’un important centre de développement, l’Africa Technical Center, situé à Casablanca. Il compte plus de 1 000 ingénieurs et techniciens, notamment en charge du développement des motorisations thermiques, mais également de certains systèmes électroniques. Ce centre de R&D dans une région à coût favorable manquait à Stellantis, alors que Renault dispose depuis longtemps d’une telle implantation en Roumanie. Actuellement, le taux d’intégration locale des productions de Renault et de Stellantis est de 64 % et tous deux visent les 70 %.
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L’an dernier, les deux constructeurs ont acheté pour 5 milliards d’euros d’équipements à leurs fournisseurs implantés au Maroc et ce chiffre devrait doubler dans trois ans. Les équipementiers comptent près de 250 sites de production au Maroc. Ils leur permettent de livrer à la fois les usines de Renault et Stellantis pour les véhicules produits dans le pays et d’exporter pour la première monte sur le sol européen, ainsi que la rechange marocaine. Tous les grands équipementiers des bases fournisseurs de Stellantis et de Renault sont présents dans le pays et ils font monter leurs sites en puissance en lien avec les demandes de leurs clients.
Par ailleurs, la stabilité politique et la croissance économique du pays attirent les investissements des producteurs de faisceaux électriques au détriment de la Tunisie ou de l’Ukraine et de la Biélorussie. Ainsi, Yazaki dispose, depuis la fin 2022, d’une quatrième usine dans le pays à Kénitra. L’équipementier y a investi 35 millions d’euros et emploie 3 300 personnes. Au total, ce producteur de faisceaux électriques compte 16 000 salariés au Maroc à Tanger, à Meknès et à Kénitra où il dispose de deux usines. Yazaki a l’objectif de rester le numéro 1 du secteur au Maroc et, pour cela, vient de mettre en place un centre de formation aux standards mondiaux du groupe.
Nos côtes sont à 14 km de l’Europe et nos schémas logistiques nous permettent d’être à 36 h de route de son cœur industriel, Saad Bendourou
L’un de ses concurrents, Sumitomo Electric, suit une trajectoire parallèle. L’entreprise a signé, fin décembre 2022, un accord‑cadre portant sur l’implantation de neuf sites industriels dans différentes régions du pays. L’investissement global de 200 millions d’euros entraînera la création de 16 000 emplois à l’horizon 2028. Sumitomo est déjà présent au Maroc depuis 2001 par l’intermédiaire de ses différentes filiales. Pour sa part, Lear Corporation disposera, à Tanger, d’une nouvelle unité de production de pièces électroniques et de composants en plastique à la fin de l’année. La société a déjà plusieurs usines et un centre d’ingénierie au Maroc, où elle emploie plus de 19 000 personnes.
L’autre domaine dont la production dépend fortement de la main-d'œuvre est celui des coiffes de siège. Faurecia a signé en fin d’année dernière un protocole d’accord avec les autorités marocaines pour la création d’une nouvelle usine. L’investissement prévu est de 15 millions d’euros avec la création de 1 400 emplois à terme. Faurecia dispose déjà de trois sites de production au Maroc.
Devenir un pôle de référence en ingénierie
Outre les constructeurs et les équipementiers, l’écosystème marocain s’enrichit avec l’implantation de sous‑traitants tels que Capgemini Engineering. L’entreprise va investir dans deux centres d’ingénierie pour différents secteurs industriels dont l’automobile, ce qui va entraîner la création de 1 500 emplois en 2026. La filiale marocaine de l’entreprise comprend déjà plus de 3 000 ingénieurs et techniciens.
Enfin, le groupe Utac dispose désormais d’un centre d’essais situé à Oued Zem. Les pistes ont été réalisées par GTR, la filiale des travaux routiers de Colas au Maroc. Utac s’est associé à FEV, l’ingénieriste spécialisé dans les essais de moteurs, pour exploiter ce centre dont le projet a été lancé en 2018. Les deux partenaires y trouvent à la fois une météo favorable permettant de mener des essais plus de 300 jours par an dans des conditions météorologiques constantes avec des coûts optimisés.
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Le site comprend des pistes aux standards mondiaux et Laurent Benoit, président du groupe UTAC, précise : « Pour mener des essais de durabilité et d’endurance, nous déployons à Oued Zem le même modèle économique qu’en Europe. » Pour FEV, comme l’indique Oussama Hafsi, son directeur général pour l’Afrique du Nord, ce site constitue un élément important de la stratégie de croissance de l’entreprise : « Notre objectif est que les constructeurs allemands viennent ici pour nous confier une partie du développement de leurs motorisations. »
Et si les pistes ne suffisent pas, seules trois heures de route séparent le site d’Oued Zem, lui‑même à 800 m d’altitude, des routes de l’Atlas culminant à 2 600 m. L’espace disponible a permis d’aménager différentes zones où, théoriquement, plusieurs clients peuvent travailler de manière confidentielle, sans se voir ni se croiser : un circuit routier de 4,7 km, un anneau de vitesse d’une longueur de 4,2 km doté d’une pente allant jusqu’à 12 % permettant de rouler à 160 km/h, une piste dite de coast down d’une longueur de 4 km destinée à mesurer la résistance à l’avancement lors du test ISO, de 120 km/h jusqu’à l’arrêt, une vaste aire plane et des pistes techniques spécifiques (routes dégradées, pentes de 12 à 30 %, gués d’eau claire ou salée).
Des bâtiments techniques complètent le dispositif. Le Maroc a su créer un environnement économique, technique et pédagogique, apte à lui permettre d’atteindre son objectif : devenir, et rester, le premier pays automobile d’Afrique.
Bertrand Gay
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