E-carburants : Bruxelles assouplit l'interdiction des moteurs thermiques
Fumée blanche à Bruxelles. L'Allemagne a réussi à faire céder la Commission européenne dans sa volonté d'interdire les véhicules thermiques en 2035. Seul moyen de débloquer la ratification du texte phare du Green deal européen, Fit for 55, l'exécutif européen accepte donc l'ajout d'un texte délégué autorisant les e-carburants.
"Nous avons trouvé un accord avec l'Allemagne sur l'utilisation future des carburants de synthèse dans les voitures", a annoncé le 25 mars 2023, le commissaire européen à l'Environnement Frans Timmermans sur Twitter.
Le blocage de Berlin était une initiative des libéraux du FDP. Ce petit parti, crédité d'environ 5% des intentions de vote dans les sondages nationaux, a perdu cinq élections régionales consécutives. Il espère s'affirmer face aux écologistes en se posant en défenseur de l'automobile. Et fait le pari de l'hostilité d'une grande partie de la population à l'interdiction des moteurs thermiques. Pour assurer l'unité de sa coalition, le chancelier social-démocrate, Olaf Scholz, a préféré s'aligner sur la demande du FDP.
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Poussée par des constructeurs allemands, et notamment BMW, et italiens, l'autorisation d'utilisation de ces e-fuels permettra de prolonger la vente des moteurs thermiques après 2035. Bruxelles exige cependant que ces véhicules devront intégrer une technologie qui les empêcheront de rouler si des carburants fossiles sont utilisés.
Comment sont produits les e-carburants ?
Les carburants de synthèse sont produits en associant des molécules d'hydrogène et de carbone. Simple sur le papier mais encore faut-il que l'hydrogène utilisé soit décarboné et que le CO2 soit puisé dans l'atmosphère ou dans la biomasse.
"Si une seule de ces deux conditions n'est pas remplie, le e-fuel est une véritable catastrophe pour l'atmosphère", indique Patrick Pelata, fondateur de Meta Strategy Consulting, qui met en lumière notamment que de nombreux lobbyistes militent pour que les e-fuels soient produits de molécules de CO2 issus de la combustion du charbon.
"Le bilan carbone va dépendre du mix électrique utilisé pour produire l'hydrogène et le combiner avec du CO2. Tout est fonction du pays de production. Plusieurs études académiques ont d'ailleurs démontré que le bilan carbone des e-fuels en Allemagne est supérieur à celui des véhicules électriques et même thermiques", ajoute Aurélien Bigo, chercheur sur la transition énergétique des transports.
Une production d'hydrogène qui sera insuffisante
De plus, rien n'indique à ce jour, que la production des e-carburants soit suffisante pour alimenter des voitures. D'autres secteurs économiques, tels que l'aviation ou encore le ,n'ont pas d'autres solutions pour baisser leurs émission de CO2.
"La demande va aller croissante en hydrogène propre pour des industries que les aciéries, qui produisent autant de CO2 que la moitié des mobilité routières au niveau mondial. Or, dans ce domaine, comme dans d'autres, il n'y a pas d'autres solutions pour diminuer l'empreinte carbone. Il va falloir prioriser l'utilisation de l'hydrogène décarboné. Prendre des e-fuels alors que l'on a la solution de l'électricité pour la voiture n'a pas de sens. La commission européenne le sait d'ailleurs", poursuit Patrick Pelata.
Ainsi, Bruxelles pourrait avoir céder à l'Allemagne tout en sachant que dans quatre ou cinq ans, l'hydrogène décarboné viendra à manquer. Sans compter que produire de l'hydrogène requiert beaucoup d'électricité, jusqu'à sept fois plus.
"Selon une étude de l'Institut de Dortmund, le rendement énergétique d'une voiture en e-fuel atteint 13 % quand il atteint 30 % avec le pétrole et 80 % avec de l'électricité. Le gaspillage d'énergie vient donc s'ajouter à celui de l'hydrogène. Je suis presque certain que l'Europe priorisera dans le futur l'utilisation de l'hydrogène pour certains secteurs. Dans tous les cas, cela se terminera avec des prix très élevés et les constructeurs seront obligés d'abandonner la solution", assure ce dernier.
A moyen terme, le coût de fabrication d'un e-carburant pourrait être deux à trois fois celui d'un carburant fossile. Mais pour l'instant, compte tenu de la faible production, celui-ci atteint entre 10 et 20 euros le litre.
Une analyse également portée par Markus Duesmann, patron d'Audi. Ce dernier estime que les carburants de synthèse ne pourront pas jouer de rôle important dans le segment des voitures particulières.
La procédure de l'acte délégué
Le texte délégué, ajouté à la loi sur l'obligation de vente de véhicules neutres en carbone en 2035, ne passera pas par le vote du Parlement.
La procédure de l'acte délégué que va utiliser Bruxelles évite de soumettre le texte au Parlement. Un groupe d'experts mandatés par la Commission se prononcera sur les normes techniques avant une publication au Journal officiel. Cette procédure assez inédite a été rendue possible grâce au considérant ajouté par le gouvernement allemand lors du trilogue européen.
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Selon de nombreux experts, l'Allemagne aurait ainsi prémédité cette démarche. Ces derniers estiment que le gouvernement Outre-Rhin n'aurait jamais eu l'intention de ratifier le texte.
De fait, deux actes délégués seraient ajoutés par la Commission européenne. Un premier qui vient compléter les normes Euro 6 autorisant les e-fuels. Selon Contexte, cet acte viserait à "ajuster la méthode de calcul de la baisse des émissions de CO₂ de la flotte d’un constructeur dans l’annexe du règlement".
Cela permettrait de créer une sorte de bonus prenant en compte l’apport des véhicules fonctionnant exclusivement aux carburants alternatifs dans la réduction des émissions. Une façon d’encourager le développement de ces véhicules, en somme.
Un second acte délégué viendra modifier de fait l'interdiction de fin de vente des véhicules thermiques. Cet acte devrait intervenir à l’automne 2023, aurait écrit le gouvernement allemand dans la déclaration rédigée pour la Commission. Une fois le texte publié au Journal officiel européen, le Parlement disposera de deux mois pour s'en saisir.
Bataille au Parlement
"Je me prononcerai sur l’acte délégué qui sera pris proposé par la Commission (sous Euro 6) sur la base du contenu et je veillerai à ce que le critère 100% e fuel soit bien contrôlable et effectif pour éviter toute rupture avec notre engagement de neutralité climat. Concernant le second acte délégué, j’attends de voir le contenu pour me prononcer sur la légalité d’un tel acte. Il devra, dans tous les cas, respecter l’accord trouvé dans le cadre des négociations sur les standards de co2. Je me félicite du fait que le green deal continue et que le texte s’applique. Le cap est clair et inchangé. Les constructeurs et les investisseurs savent maintenant dans quoi investir", a indiqué Pascal Canfin, député européen et président de la commission Environnement.
Pour Karima Delli, eurodéputée et présidente de la commission Transport, la bataille ne fait que commencer. "Les e-carburant sont une fausse solution pour la neutralité carbone et un danger pour la santé. Ce sont les constructeurs de voitures de luxe qui souhaitent tordre la loi. Or, l'élite ne peut s'affranchir de la loi", a-t-elle indiqué.
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