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Distribution

Trouver le juste prix, mission impossible ?

Publié le 23 octobre 2024

Par Gredy Raffin
9 min de lecture
L’exercice de positionner les voitures d’occasion au tarif le plus adapté devient un véritable casse‑tête pour les distributeurs. La boussole des outils de cotation est elle‑même perturbée par des fluctuations qui prennent d’autant plus d’amplitude avec les retours croissants de véhicules électrifiés.
Pricing occasion
Résoudre l'équation des valeurs résiduelles est un vrai casse-tête pour les distributeurs automobiles. ©Le Journal de l'Automobile

Le soleil automnal de cette après‑midi normande baigne la pièce de sa lumière. Olivier Hochet prend place autour de la table de réunion qui occupe une partie de l’espace. Et lorsque la première question fuse à propos de la direction que prend le marché de l’occasion, le visage du président de Saint‑Clair Automobiles s’illumine d’un sourire amusé. Pointant du doigt une décoration ornant son bureau, il lâche : "Nous, les concession­naires, nous cherchons tous la boule de cristal qui fonctionne et qui nous dira avec exactitude à quoi nous attendre dans les semaines et mois à venir."

 

La plaisanterie marche toujours – malheu­reusement – tant l’horizon des distribu­teurs paraît bien sombre. Sur le front de la commercialisation des voitures d’oc­casion, ils n’ont, néanmoins, pas vécu un été si décevant. Sur un marché qui a cumulé un peu plus de 1,347 million de transactions de juin à août (+ 4,2 %), le seul canal des professionnels a généré 495 543 ventes, soit 8 % de mieux que l’an passé. Les Français ont retrouvé le chemin des enseignes et de leurs ser­vices lors de leur achat d’une voiture d’occasion. À l’époque où le prix flam­bait, autrement dit en 2022 et 2023, ce paramètre crucial dans leur prise de décision les poussait à s’en remettre à d’autres solutions.

 

L’abondance d’offres écrase les prix

 

Mais le vent a tourné. Les stocks ont repris de l’épaisseur et cela a diminué la pression sur les tarifs. D’une manière générale, il est même possible d’affirmer à la lecture des données éditées par Le Parking pour Le Journal de l’Automobile que, depuis quelques mois, l’Europe a retrouvé un volume d’offres VO, en provenance des professionnels et des particuliers. Et ce n’est pas le léger tas­sement observé en septembre passé qui démentira la tendance de fond.

 

Para­doxalement, les distributeurs tricolores manquent de produits de moins de 7 ans dans leur parc. Selon les statis­tiques d’Autobiz, le niveau est même assez critique. Moins de 425 000 voi­tures occupaient les places d’exposition à fin août, soit 16,4 % de moins que l’an passé. Ce que ne cachait pas récemment Pierre Joannes‑Grotz, directeur de l’activité VO de Renault France, lors­qu’il disait attendre encore l’arrivée des modèles de la Renaulution pour faire souffler une brise de fraîcheur dans les concessions. Toujours est‑il que sous l’effet de la densité, les prix s’affaissent. En considérant sept pays européens de premier plan, ainsi que les deux canaux (BtoC et CtoC), Le Parking a observé une dévaluation de l’ordre de 4,5 % du prix moyen affiché dans les annonces.

 

A lire aussi : Comment pourrait s'achever l'année 2024 pour les voitures d'occasion ?

 

En France, le cadre de Renault souligne également le phénomène, mentionnant les best‑sel­lers Clio et Captur dont les tarifs dans les annonces se sont effrités de 3 % environ. Aucune motorisation n’y échappe. Les deux principaux infomédiaires du marché tricolore s’accordent sur ce point. En fonction de leur clientèle propre, les données varient en termes d’ampleur, mais elles concordent.

 

Oli­vier Flavier, vice‑président mobilité du groupe Leboncoin, partage les données révélées par les annonces publiées à mi‑septembre, en les comparant à l’an passé : les baisses de prix ont été de 8 % sur les voitures d’occasion die­sel (‑ 1 540 euros), de 7,6 % sur les mo­dèles essence (‑ 1 370 euros), de 7,6 % sur les hybrides (‑ 2 880 euros) et enfin de 12,6 % sur les voitures électriques (‑ 3 310 euros). Les effets déflation­nistes sont plus marqués chez La Cen­trale. "Mais depuis trois mois, les prix ont tendance à se stabiliser », constate Antoine Des­pujols, directeur produit et marketing BtoB de La Centrale.

 

Les valeurs résiduelles dévissent

 

Les observateurs, eux, remettent en cause la trajectoire des valeurs résiduelles. Les projections s’avèrent toutes faussées par la réalité du marché. Olivier Flavier admet la difficulté que L’Argus, filiale du groupe, éprouve à donner une juste anticipation des montants à terme. "La situation est d’une telle complexité en ce moment que nous observons désormais une marge d’écart de 5 à 7 points, quand elle était d’à peine 3 points auparavant", confie‑t‑il au sujet du travail sur les VR.

 

Dans sa note de synthèse du marché de juillet, Autovista ne manquait pas de pointer la dégradation des valeurs sur les véhicules âgés de 3 ans. Cela vaut chez nous, comme plus largement en Europe. En France, en juillet, toutes les motorisations ont été impactées, selon les analystes du coteur, passant de 55,5 à 54,8 % de VR en moyenne. Les hy­brides rechargeables ont perdu le plus (‑ 1,1 point, à 52,9 %), tandis que les modèles électriques sont tombés au plus bas (38,4 %, en déclin de 0,7 point). "Les modèles d’occasion restent encore trop chers, ce qui entraîne une baisse des prix mois après mois. Lorsque la demande ne correspond pas à l’offre, le marché observe une forte chute des VR et une diminution des tarifs", a justifié Ludovic Percier, analyste des valeurs résiduelles et du marché pour la France au sein du groupe Autovista.

 

Plus que jamais, en effet, les courbes de prix de VO à moteurs thermiques et celles de VO à motorisations électrifiées se rapprochent, voire se croisent dans certains cas. Indicata en fait la démons­tration dans un rapport édité pour Le Journal de l’Automobile avec les infor­mations de juillet, qui concernent plu­sieurs véhicules de grande diffusion, recommercialisés en boutiques après deux ans (32 000 km). Les courbes du diesel et de l’électrique resserrent leur trajectoire pour nombre de véhicules en vedette, voire s’inverse totalement chez des best-sellers français.

 

Besoin d’une aide des constructeurs

 

Cela résulte de plusieurs facteurs. Mais tout semble partir du jeu risqué au­quel se sont livrés les constructeurs. "Ils ont été agressifs sur les estimations des valeurs résiduelles pour pouvoir remplir les objectifs des normes CAFE. Aujourd’hui, les véhicules rentrent à un tarif décalé du marché", commente un consultant au fait des comptes. L’attractivité ne tutoyant pas des sommets sur les électriques et les PHEV, le monde de la distribution appelle à des me­sures de soutien.

 

D’autant que les en­gagements de reprise sont la plupart du temps assumés par les concessionnaires et non les captives ou les banques. "Seuls les gros arrivent à imposer leurs conditions", rapporte un consultant. En attendant un hypothétique geste gouvernemental, les constructeurs se penchent donc sur la question. Gaël du Bois de Beauchesne, directeur des ventes de Kia France, impulse des cam­pagnes de financement à taux avan­tageux pour sortir les e‑Niro et autres EV6 d’occasion.

 

L’exemple le plus probant vient probablement de Volkswagen avec son offre de quatre mois sur les ID.3. "Une opération bienvenue", disent à l’unisson les concessionnaires hexagonaux. Mais l’un d’eux tire la sonnette d’alarme : "Sur l’ID.3, il y a des engagements de reprise à 30 000 euros en fin de contrat. Si nous avons un client, le service re­marketing nous la revend 17 000 eu­ros, mais au mieux nous parvenons à les commercialiser à 20 000 uros. "La perte par unité serait colossale, selon lui. Nous verrons aussi revenir des MG Motor avec une VR à 3 ans équivalant au prix de vente subventionné initial", prophétise‑t‑il. Et cette réflexion ne prend pas en considération les effets attendus des voitures acquises dans le cadre du leasing social. Un programme qui, sans exception, provoque des fris­sons dans le dos des RVO.

 

Centralisation ou localisation ?

 

Dans ce contexte, la stratégie de posi­tionnement tarifaire prend une nou­velle importance. "Les tensions sur les prix des voitures d’occasion ne sont pas près de prendre fin, atteste Emmanuel Labi, directeur général d’Autobiz. Les VN perdant en attractivité, la demande va se déplacer sur le VO. Ce qui pour­rait perturber l’équilibre de ce segment. Le pricing dynamique devient la clé. "Pour nombre de revendeurs, cela n’a rien de nouveau, mais il faut accélérer et systématiser l’évolution constante des prix pour coller au marché et à ses fluctuations.

 

Mais à qui confier la tâche ? Il n’y a pas de règle. Certains groupes prennent le parti de centraliser cette fonction. Les collaborateurs des holdings scrutent le marché et dotés d’outils de pointe, ils pilotent les dynamiques de prix de toutes les concessions. D’autres désirent encore s’en remettre à leurs responsables VO. Ils leur délèguent les choix avec l’objectif de toujours optimiser l’équilibre entre marge et ro­tation. "Il existe une formule hybride, note Emmanuel Labi. Certains clients de notre suite logicielle laissent la main aux RVO jusqu’à un certain nombre de jours d’exposition. Ensuite, la main passe et le siège décide du tarif à afficher."

 

A lire aussi : Vers une nouvelle flambée des prix des voitures d'occasion en Europe ?

 

Tout est question de sensibilité et de niveau d’expertise des cadres. "Il me semble que les outils doivent donner les grandes tendances de prix et que la sen­sibilité humaine sert à affiner le position­nement tarifaire local, conseille Laurent Payrat, fondateur du cabinet Evok. Fonctionner dans l’autre sens, à savoir corriger à terme une impression avec les outils, est une méthode caduque."

 

En vérité, il n’y a pas de recette miracle. En conclusion d’une vaste étude toute récente, élaborée avec Leboncoin, Éric Champarnaud affirme que l’intérêt de centraliser cette pratique n’a pas encore été démontré. Et le cofondateur du cabinet de conseil C‑Ways d’appuyer : "Les groupes qui laissent de l’autonomie à leurs responsables VO, obtiennent aus­si des résultats solides sur le marché des voitures d’occasion. "

 

Partant de ce constat, La Centrale lan­cera, à la fin de l’année, un nouveau produit. Comme son nom l’indique, Trend livrera les tendances de marché. Ce sera à la fois une aide à l’approvision­nement ciblé et à l’assortiment par point de vente et en fonction du potentiel de chaque zone. Antoine Despujols, di­recteur produit, le présente comme un savant mélange de centralisation et de localisation.

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