Portrait de Paul et Karine Chedid, importateur
Le facteur H
Avec 7 000 m2 et de tels véhicules sur le parking, le centre Hummer de Ballainvilliers pourrait faire figure de relais routier américain. D'autant plus d'ailleurs, que le restaurant qui borde la concession reprend le patronyme d'un illustre cow-boy de l'Ouest américain. Il n'en est rien. Nous sommes dans le Sud de Paris et le maître des lieux y cultive la camaraderie, il n'élève pas de bisons. A l'image du billard et de ce bar qu'il a placé au-dessus du showroom, avec une vue plongeante sur l'atelier. Le client peut y voir les techniciens bichonner sa monture. "C'est comme ça que je conçois le métier. Nous ne sommes pas dans un schéma traditionnel parce que, pour nos clients, leurs véhicules sont des jouets. On essaye de faire en sorte qu'ils se sentent à l'aise ici", explique Paul Chédid. Cet esprit, va pourtant bien au-delà du commerce. C'est l'atmosphère qui sied au caractère du distributeur. Son équipe apparaît soudée. Comme lui, tous sont passionnés. Cela aide. Mais ça n'explique sans doute pas pourquoi on se sent davantage dans un garage coopératif où on bricole entre amis, plutôt que dans une concession automobile. Il est vrai que voir Monsieur le directeur préférer le "jean" au costume et faire du tutoiement une communication naturelle avec tout un chacun, nous renseigne sur la façon dont on travaille chez les Chédid. Une maison dans laquelle Hummer s'associe volontiers avec Humanité et Humilité. "Paul a un grand sens de l'humain, une grande richesse intérieure, mais il a aussi une grande détermination et une grande capacité de travail", prévient son épouse. Un regard gêné, un sourire et c'est monsieur qui rend la pareille à madame. "Cet esprit de famille, c'est Karine. Et puis, elle a un 6e sens. Elle sent beaucoup de choses avant moi. Cela nous évite certains désagréments", assure-t-il. "C'est la famille qui nous fait avancer", rebondit-elle. Lui, à Ballainvilliers, elle dans le showroom du 15e arrondissement de Paris, le couple travaille ensemble avec le même esprit depuis quatre ans. Et cela marche. "Nous sommes complémentaires. Il s'occupe du commerce et moi de tout le ludique, le placement produits, la communication, le marketing", détaille Karine Chédid, avec la fraîcheur et l'enthousiasme que requiert sa fonction.
ZOOMItinéraires croisés En 1983, alors qu'il a 17 ans, Paul Chédid quitte le Liban en guerre et débarque à Clermont-Ferrand. Derrière lui, il laisse ses huit frères et sœurs ainsi que toute sa famille. Devant lui, des études de commerce. A sa sortie de l'IUT, il part sur les routes. Il vend successivement des encyclopédies en porte-à-porte, puis des cosmétiques dans les grandes surfaces. Paul Chédid fait ses premiers pas dans l'automobile dans la succursale Renault de Clermont-Ferrand, où il devient commercial en 1987. Puis il part, encore. Cette fois, pour le siège du constructeur où il intègre la direction des affaires internationales. Après la 1re guerre du Golfe, en 1991, le constructeur lui propose un poste au Koweït. Il refuse, et prend les habits de GO au Club Med. Italie, Grèce, Turquie, Mexique… Il fréquente une dizaine d'établissements durant deux années. Puis en 1993, il rejoint les Etats-Unis. Washington, plus précisément, où Paul Chédid retrouve de la famille. Rapidement, il devient fournisseur de véhicules américains pour plusieurs sociétés françaises. C'est le début de l'aventure Hummer. En 1994, alors que Paul Chédid se promène en Floride, il tombe face à face avec un H1. "Depuis, je n'ai pensé qu'à l'importer. Et ça me trottait tellement dans la tête que dès que je suis rentré en France, je me suis renseigné et commencé à travailler. Dès que nous avons eu la première commande, au lieu de passer par des concessionnaires, je suis allé directement à South Bend, dans l'Indiana, au siège d'AMG. Après deux mois de négociations, je suis devenu importateur. Nous avons signé le contrat à la fin d'année 1997", raconte l'intéressé. Il vend son 1er Hummer en 1997. Après son passage à l'Ecole supérieure de commerce de Poitiers, Karine Chédid entre quant à elle au département des grands comptes d'une société américaine de progiciels de gestion intégrée. Au fil des ans, elle gravit les échelons tout en apportant son soutien et "sa touche personnelle et bénévole", au développement des affaires de son mari. Elle travaille. Beaucoup. "Trop", parfois, reconnaît-elle. "Après mon 3e enfant, j'en ai eu assez de travailler pour les autres. Je gagnais très bien ma vie. Mais je ne voulais plus bosser comme un âne ! Cela correspondait à un moment où Paul avait besoin de quelqu'un au marketing. Nous avons donc fait le choix de la famille", raconte-t-elle. |
Le goût du beau
Parce que cette façon de travailler leur a permis de tisser des liens particuliers avec leur clientèle, ne tentez donc pas de vitupérer à l'égard des possesseurs de Hummer. "Nos clients ne sont pas des porcs. Le Hummer est un jouet, un véhicule plaisir. Nous avons d'ailleurs mené une étude récemment qui a montré que le H2 était le 7e véhicule du foyer. Les clients ne sortent donc pas tous les jours avec pour aller chercher le pain en ville !", martèle Karine Chédid. De "gros jouets", terriblement attirants pour les uns, outrageusement dégoûtants pour d'autres. Mais qu'importe si la marque cristallise à elle seule les reproches des ayatollahs de la mobilité verte. Paul et Karine Chédid en ont cure et jugent ces procès incessants infondés. Notamment au regard de l'utilisation faite desdits véhicules. Ils brandissent, si le réquisitoire se faisait obstiné, une étude du CNW Marketing Research qui, prenant en compte l'intégralité du cycle de production de vie et de destruction ou recyclage d'un véhicule, fait du Hummer H3 un véhicule bien plus écologique que la Toyota Prius.
Une chose est sûre : ces monstres ont un look qui ne laisse pas indifférent. Les deux complices aiment les Hummer, comme ils aiment le beau. L'art même. Ingres, l'école flamande, le clair obscur ou l'architecture d'Hector Guimard pour elle. L'art déco pour lui. "On aime faire profiter les autres de tout ce qu'on aime", tranche Karine. D'ailleurs, à Ballainvilliers, le showroom se mue régulièrement en galerie d'expositions, au gré des rencontres artistiques effectuées par le couple. Elle est loin l'image de rustres, courts et insouciants que voudraient leur coller certains. En automobile, le couple a la même démarche. "Nous préférons avoir moins mais plus beau", explique ainsi Karine Chédid. Elle roule en Mini et rêve de Jaguar Type E. Lui, roule en H2, tout en rêvant à une Porsche 356 cabriolet. Mais pas de collection démesurée, pas d'enfilade de belles américaines rutilantes, malgré la passion que l'un et l'autre éprouvent pour le produit automobile.
Des projets pleins les cartons
L'ouverture d'esprit et la sympathie naturelle de ce champion de ski nautique, associées à la bonne humeur de cette férue de tennis ont fini par faire de ces deux sportifs des professionnels reconnus. Aujourd'hui les jalousies et les doutes rencontrés au début de l'aventure ont disparu. Ils ont même souvent laissé place à une certaine reconnaissance. Un modèle de développement et de pérennité qui a fait des émules. Au point que les difficultés récurrentes de la marque Cadillac en France ont conduit General Motors à leur demander d'entrer dans son réseau de distributeurs. "GM a insisté pendant de longs mois", concède Paul. Mais là encore, pas question de récupérer intégralement l'importation de Corvette et Cadillac en France. "Nous voulons rester dans cet univers de niche et de passionnés pour continuer à faire du business à taille humaine", insiste Karine Chédid. Pourtant, leur groupe a choisi de répondre favorablement aux appels du constructeur. Notamment parce que l'un et l'autre croient au potentiel de Cadillac et de Corvette. "A condition de mettre un budget en face", nous disent-ils de concert. Ils se sont donc donné les moyens de réussir ce pari. A Ballainvilliers bien sûr, mais à Paris également, depuis octobre dernier, à Lyon depuis décembre, puis à Marseille, dans quelques jours. Une participation d'envergure, plus ou moins souhaitée, qui n'empêche toutefois pas Paul et Karine Chédid de mener à bien d'autres projets. A commencer par l'agrandissement du site francilien. Des travaux rendus nécessaires par l'aboutissement d'un autre projet important à leurs yeux : l'importation d'une nouvelle marque américaine pas encore commercialisée en Europe.
Le couple continue à fonctionner de la même façon depuis ses débuts. L'envie de faire partager sa passion des produits. Et qu'importe si la situation de General Motors fait planer le doute quand à l'avenir de la marque Hummer. "C'est sans doute une opportunité", se réjouit Karine. "Quand GM est arrivé, ils ont mis en route le projet H2. Et c'est ce qui nous a permis de décoller. Car, jusque-là, nous ne réalisions que quelques dizaines de ventes avec le H1", se souvient Paul. "Alors, si GM veut vendre la marque, ça ne nous gène pas. Un indien, un chinois… Peu importe, l'investisseur devra mettre de l'argent sur la table pour développer les produits. Ce sera donc une impulsion, une nouvelle ère. Quoi qu'il arrive, nous resterons là", annonce-t-il. Distiller sa passion à l'envi, encore et toujours. Parce que les clients l'exigent bien sûr. Mais parce que c'est aussi de là que les deux époux entrepreneurs tirent leur force et leur envie d'en faire plus.
Photo : Paul Chédid, 44 ans, et Karine Chédid, 38 ans, sont les artisans du succès de la marque en France. L'an dernier, ils ont enregistré un chiffre d'affaires consolidé de 20 millions d'euros.
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