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Distribution

Marc Bruschet, Mobilians : "Les aides à l'achat de véhicules électriques sont contre-productives"

Publié le 26 janvier 2024

Par Catherine Leroy
8 min de lecture
Pour le président des distributeurs automobiles réunis au sein de Mobilians, les aides à l'achat de véhicules électriques empêchent une baisse des prix pourtant nécessaire pour relancer la demande. Une demande en berne qui se caractérise par des prises de commandes exceptionnellement basses en 2023.
Marc Bruschet
Pour Marc Bruschet, le président des distributeurs automobiles réunis au sein de Mobilians, les aides à l'achat de véhicules électriques empêchent une baisse des prix des voitures neuves. ©Mélanie Robin

Le Journal de l'Automobile : Quel bilan tirez-vous du marché automobile en 2023 ?

Marc Bruschet : Nous venons de vivre la quatrième année de crise du marché automobile en France. Les immatriculations sont restées une nouvelle fois en dessous de 1,8 million d’unités. Ce niveau reste artificiellement élevé, notamment à cause des anticipations d’immatriculations liées à l'annonce du gouvernement sur le durcissement de la fiscalité automobile et le score environnemental qui s'applique depuis le 15 décembre 2023, pour l'octroi du bonus automobile. Ce phénomène rend très peu lisible le marché du dernier trimestre 2023. L’heure de vérité arrivera au bilan du premier trimestre 2024.

 

J.A. : Le niveau des commandes a-t-il été boosté par cette communication ?

M.B. : Oui, mais sur le global de l'année, le niveau des commandes est très inquiétant. Ce dernier atteint 1 637 138 véhicules, soit 100 000 unités de moins qu’en 2020. Or, en 2020, nous avons connu trois mois de confinement qui pouvaient expliquer ce faible volume. Les commandes de 2023 se situent donc au niveau le plus bas depuis 2015, date à laquelle le baromètre de la PFA a été mis en place. Nous ne sommes plus dans une crise de l’offre comme les années précédentes. Nous sommes véritablement entrés dans une crise de la demande.

 

J.A. : Dans ce cadre, quelles prévisions de marché établissez-vous pour 2024 ?

M.B. : Le marché va se situer encore une fois sur un volume de 1,8 million de véhicules particuliers neufs. Le rebond ne sera pas visible avant 2025. Le premier trimestre de cette année devrait être bon à cause de la livraison des commandes passées par anticipation l'année dernière et que nous devrons livrer avant le 15 mars prochain. Après, tout va dépendre de la position tarifaire des constructeurs.

 

J.A. : La baisse des prix déjà observée chez certains constructeurs suffira-t-elle à faire repartir la demande ?

M.B. : La baisse des prix, même si parfois c’est un effet d’annonce, est importante pour le moral des consommateurs. Nous ne sommes pas en récession. La croissance du PIB atteint 1 % en 2023 et sera sans doute identique en 2024. L'Insee fait état de gains de pouvoir d’achat en 2023 (+0,8 %) et sans doute +1 % en 2024, même si ce gain n’est pas ressenti comme tel par les ménages, ni par les entreprises. Enfin, le taux d’épargne des ménages reste élevé, de l'ordre de 17-18 % soit trois points au-dessus de la moyenne d’épargne dite normale des Français. Il n’en faut pas beaucoup pour déclencher un acte d’achat. Les constructeurs vont être condamnés à baisser leurs tarifs en 2024.

 

J.A. : Pourquoi seraient-il obligés de le faire au delà du phénomène classique de concurrence ?

M.B. : Parce que la crise industrielle est terminée. Les usines doivent désormais produire de manière cohérente avec le taux d’utilisation de leur capacité de production. Sinon, les constructeurs vont perdre beaucoup d’argent. Donc les usines vont produire et il va falloir vendre ces voitures. Nous allons revenir à un modèle de volumes. Pour retrouver ce marché, les constructeurs devront baisser leurs prix. Enfin, dernière raison, il est indispensable de baisser les prix des modèles électriques car les constructeurs sont contraints par les normes CAFE à baisser leurs émissions de CO2. Il faut donc redonner confiance et envie au consommateur. Et pour cela, il faut des nouveaux modèles et des prix.

 

J.A. : Le bonus, même si son décret d'application n'est pas encore publié, peut-il répondre à ce besoin de volume ?

M.B. : Les aides à l'achat sont des exercices très périlleux qui doivent concilier des enjeux de nature différente. L'exigence est de décarboner du parc roulant tout en répondant à un impératif qui est d’assurer la mobilité de tous les Français, sans arriver à une mobilité censitaire avec un risque de véritable explosion sociale. Mais ces aides sont soumises également à deux contraintes. Tout d’abord d’ordre financier, car il faut trouver un système qui ne soit pas ruineux pour les finances publiques. Ensuite, il faut préserver le tissu industriel. Je ne suis pas certain que les aides existantes répondent à ces contraintes.

 

A lire aussi : Bonus automobile : et si leasing social rebattait les cartes ?

 

J.A. : Comment concilier tous les enjeux dans ce cas ?

M.B. : Je pense qu'il faut supprimer toutes les aides à l’achat aux véhicules électriques. Car la corrélation entre l’achat d'un véhicule électrique et son prix est évidente. Si l’objectif est bien de baisser le prix des véhicules pour les rendre plus accessibles, le bonus est contre-productif. C'est une aide que je compare à la baisse de la TVA pour la restauration. Elle n'a jamais fait baisser les prix des menus mais a juste permis de restaurer les marges des restaurateurs. Nous n’avons pas besoin de ce système pour baisser les prix car il n’y a plus de crise industrielle. Il faut vendre. Et pour cela, les prix doivent baisser.

 

J.A. : Vous souhaitez donc la fin des aides ?

M.B. : Oui, en tout cas celles qui existent, mais à deux conditions. Il faut utiliser et même élargir le mécanisme de la prime à la conversion sous conditions de ressources en incluant les véhicules affichant des vignettes Crit’Air 1 et Crit’Air 2, et donc les modèles diesel de dernière génération. C’est impératif. La seconde condition est, plutôt que de mettre de l’argent en pure perte, mieux vaut construire une véritable planification industrielle cohérente au niveau européen, comme l'a récemment réclamé Luca de Meo. J’ai conscience que ce sera difficile car nous ne sommes pas dans un État fédéral.

 

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J.A. : Le score environnemental français a pour objectif justement de servir une localisation industrielle en Europe. Va-t-il atteindre ce but ?

M.B. : La mesure est compréhensible. En France, 35 % des véhicules électriques vendus sont des productions chinoises. Cela veut dire que le contribuable français a subventionné des usines chinoises, qui appartiennent ou pas d'ailleurs à des marques chinoises. Mais le système est faible si les autres pays européens ne nous emboîtent pas le pas. Nous ne pouvons pas être les seuls en Europe à proposer ce système. Déjà, des stratégies de contournement apparaissent. Tesla a reconverti l’usine de Berlin pour produire des Model Y qui provenaient de Chine avant le mois de décembre. Si la France est seule à proposer un bonus environnemental, elle sera isolée et cela risque d’être contreproductif car les constructeurs chinois qui voulaient s’implanter sur le sol européen iront dans d’autres pays, européens, que le nôtre.

 

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J.A. : Des aides comme le leasing social semblent pourtant efficaces pour soutenir les ventes, compte tenu du nombre de dossiers demandés ?

M.B. : Sans doute, mais le système prévoit la vente d'un véhicule, cher, dont on baisse le prix artificiellement par l’impôt. Le problème est que les véhicules intégrés dans ce dispositif ne sont pas vraiment polyvalents, puisqu'intégrant des petites batteries. Le gouvernement veut équiper des ménages à faibles ressources, avec des véhicules qui ne sont pas polyvalents alors que ce sont des foyers qui ne sont pas multimotorisés. Il faudrait une seconde mouture du dispositif. Ce sera un système qui sera très lourd et dans la pratique, ce sont une nouvelle fois, les distributeurs qui vont devoir faire l’avance de l'aide.

 

J.A. : Quelles sont les conséquences pour les réseaux de distribution ?

M.B. : En dehors de la complexité administrative, c’est un système qui va coûter cher aux distributeurs, sous l’angle de la trésorerie. Même si l'avance de l'aide peut être portée par les réseaux (pour le bonus) mais aussi les loueurs (pour l'aide supplémentaire accordée par l'État), dans la pratique, le client veut un guichet unique : le distributeur. Nous savons que l’ASP (Agence des Services et des Paiements) met du temps à rembourser cette avance, qui je le rappelle s'élève à 13 000 euros par véhicule, dans un contexte, où les taux d’intérêt restent élevés.

 

J.A. : Quel bilan dressez-vous de l'année qui vient de s'écouler pour les distributeurs ?

M.B. : Nous nous adaptons, mais nous allons entamer notre 5e année de crise. C’est assez violent et plutôt lassant. Les réseaux n’ont pas été dimensionnés en France pour vendre 1,8 million de VN mais plutôt 2 millions. On peut revenir en arrière, mais cela va prendre du temps, d'autant que nos frais financiers entre hausse des taux d'intérêt et coût de l’énergie ont été multipliés par 3 ou 4 depuis 2022. C’est juste colossal.

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