Grandir avec ses marques
...du métier de distributeur.
C'est l'histoire d'une saga. Celle de la famille Beke. Originaire du Nord de la France, Gaspard Beke, le père, s'installe en 1952 à Thiais, sur la mythique Nationale 7, la route du soleil, qui relie Paris à la Côte d'Azur. A l'après-guerre, Gaspard Beke récupère tout ce qui reste de matériels de guerre, Jeep, pièces de chars, de canons et autres, laissés par les troupes américaines. L'homme se spécialise en pièces détachées et en recyclage de matériel. "Il faut savoir qu'à l'époque, la nationale 7 était un véritable monument. On y trouvait sur des dizaines de kilomètres des casses et des vendeurs de pièces détachées à la pelle", se souvient Jean-Marie Beke, fils de Gaspard et aujourd'hui un des deux dirigeants, avec son frère Jean-Luc, du groupe Beke. L'affaire prend de l'essor, se spécialise dans la vente de voiture accidentée et devient "incontournable", selon les dires du dirigeant. Dans les années 80, c'est le négoce en voitures d'occasion qui devient la première activité de la famille. "Nous étions au premier plan dans ce domaine. Nous allions chercher une soixantaine de voitures dans le Nord que nous acheminions ici, et en l'espace de quelques heures, elles étaient toutes vendues", se remémorent les deux frères. "Une époque révolue", ajoutent-ils avec un brin de nostalgie. Les années 90 et les juppettes et balladurettes vont sonner le glas de ce négoce. "Ces mesures vont favoriser la vente de véhicules neufs au détriment du VO, et nos affaires vont s'en sentir directement touchées. Nous avons ainsi dû évoluer avec notre temps et trouver une solution. Celle-ci s'est imposée presque d'elle-même. Nous voulions également nous différencier de nos activités qui prenaient du plomb dans l'aile avec l'essor des centres-autos", explique Jean-Marie Beke avec cet accent de titi parisien qui le caractérise et renforce sa personnalité.
Fiche signalétiqueGaspard Beke Automobiles |
En prenant la marque Suzuki, point de départ de notre ère moderne, il a fallu apprendre un autre métier : la vente de véhicules neufs
C'est ainsi qu'en 1997, les frères Beke choisissent de s'investir dans la distribution de VN avec la marque Suzuki. "Cet investissement signe un tournant dans notre histoire et le début de notre ère moderne", souligne le dirigeant. Pourquoi Suzuki ? Jean-Marie Beke n'avance pas vraiment d'explications concrètes. Cela s'est plutôt joué au feeling et au relationnel entre les dirigeants de Suzuki, notamment Jean-Luc de la Ruffie, et les deux frères. Parallèlement, un investissement de 300 000 euros est consenti (tout compris) pour construire la concession. Un investissement nécessaire. "Le fait de mettre sur pied un bâtiment entièrement dédié à la marque donnait une certaine confiance aux clients quant à notre engagement et un gage d'un bon accueil et de qualité", se rappelle Jean-Marie Beke pour qui l'ouverture d'une concession automobile représentait une première.
Les dirigeants vont faire accélérer les choses. En mars 2003, ils reprennent la marque Kia pour la distribuer aux côtés de Suzuki. "Nos ventes Suzuki étaient en chute et il fallait une seconde marque pour les soutenir. En outre, la marque coréenne se développait et il ne fallait pas louper ce train qui était en marche", justifie le dirigeant francilien. Un an après, la marque Isuzu va même les rejoindre, sur un autre site, à quelques centaines de mètres plus loin, toujours sur la Nationale 7. Ainsi, en l'espace de huit ans, les frères Beke ont repris 3 marques automobiles et sont devenus des distributeurs VN à part entière, "dans le neuf", comme le dit Jean-Marie Beke. Un apprentissage difficile ? "Il a bien fallu se rôder au départ et reconnaître que la vente de véhicules neufs était complètement différente de ce que nous faisions jusqu'alors. Mais le fait que nous nous lancions dans la distribution automobile avec deux marques en plein essor nous a facilité la tâche. Nous avons grandi avec nos marques."
La renommée de la famille aide beaucoup l'affaire à se développer
Aujourd'hui, la concession Gaspard Beke s'en sort plutôt bien. Le site est cependant loin des standards modernes de la distribution automobile. Loin de certaines cathédrales à la mode dans certains réseaux. Avec 2 000 m2 de superficie dont un showroom de 200 m2 et 13 personnes employées (25 dans tout le groupe), l'entreprise réalise toutefois des scores honorables : en 2004, 220 Suzuki et 156 Kia ont été vendues. Mais la performance de Gaspard Beke Automobiles se situe surtout au niveau du VO : 1 300 occasions ont été vendues l'an passé. La spécialité du groupe. D'ailleurs, le CA VO atteint 13,7 millions d'euros sur un CA total de 16,7 millions d'euros !
Le relationnel tient une place prépondérante dans la vie de la concession. Cinquante ans d'histoire ont fini par tisser des liens entre une population locale et la famille Beke. D'une génération à l'autre, les clients ont appris à connaître les Beke, le bouche à oreille a fonctionné, une relation de confiance s'est installée. "Les clients viennent avant tout pour acheter des véhicules Beke plus que pour une marque en particulier", confie volontiers le dirigeant francilien. Bien qu'en région parisienne, les relations existantes, entre la concession et les clients, sont aussi fortes que dans un petit village de province où tout le monde se connaît.
Pour Jean-Marie Beke, le métier de concessionnaire évolue négativement
A observer Jean-Marie Beke au travail, on reste ébahi par son implication dans la vie du site. Malgré son statut de dirigeant, l'homme est au four et au moulin. Il interpelle les clients pour que ceux-ci n'hésitent pas à franchir le seuil de sa porte et à lui poser des tas de questions. Il les renseigne, les aide. Les appels téléphoniques d'autres clients se succèdent pour une carte grise à délivrer, pour un conseil sur un véhicule… "Un client vient de m'appeler pour s'excuser de ne pas avoir acheté un Grand Vitara chez moi. Nous nous sommes croisés plusieurs fois, mais nos emplois du temps n'ont pu coïncider. Il s'est rendu à l'évidence et a été voir la concurrence. Comme une façon de s'excuser, il a toutefois acheté des housses où figure le nom de la concession et m'a dit : je vous ferai au moins de la pub…", raconte Jean-Marie Beke. L'homme est très proche du terrain. La concession compte deux commerciaux dont l'un est… Jean-Marie Beke lui-même ! Après des années à côtoyer les clients, il refuse l'idée de rester coincer dans un bureau : "J'ai toujours aimé la vente, j'aime connaître les clients, leur parler, leur montrer les produits. Il faut que je sois à leur contact." Un contact qui pourrait se perdre, selon le dirigeant. En effet, celui-ci craint les dernières évolutions du métier de distributeur automobile. "Aujourd'hui, nous sommes submergés de paperasse, de mails, de contacts, chargés de complexité administrative par les constructeurs qui nous obligent à rester dans un bureau. Or, notre métier se trouve sur le terrain et pas ailleurs. Avec le temps, on s'éloigne du client", s'inquiète-il. Il poursuit : "Par ailleurs, on assiste de plus en plus à une réduction des marges, à des achats sur écran, à une minimisation de notre profession. Qui nous dit que l'avenir d'un distributeur automobile ne sera pas réduit à un simple bureau et à un ordinateur ?"
L'avenir, pour Gaspard Beke Automobiles, se résumera à un développement sûr et à la consolidation des structures de la société. S'il reste encore une dizaine d'années aux frères Beke pour poursuivre leur passion, il n'est cependant pas certain que la 3e génération suivra, ce qui n'empêche pas Jean-Marie Beke d'être serein : "J'ai confiance en mon équipe pour préparer la suite de cette histoire."
Tanguy Merrien