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Distribution

Distribuer une marque de luxe : est-ce vraiment si rentable ?

Publié le 3 avril 2015

Par Christophe Jaussaud
8 min de lecture
Certaines marques emblématiques sont sur le retour. Ainsi, Lotus ou Maserati ont lancé, à des niveaux différents, un vaste plan de reconquête. Les produits, bien sûr, sont primordiaux, comme les réseaux de distribution. Mais cela vaut-il vraiment le coup de distribuer de telles marques ?
Paul et Karine Chedid distribuent maintenant Lotus sur leur site de Ballainvilliers.

La distribution d’une marque de luxe est-elle si rentable que cela ? Les faibles volumes peuvent-ils assurer une existence pérenne au point de vente ? Est-ce un pari risqué de distribuer ces marques ? Autant de questions auxquelles nous allons essayer de répondre. Sans aller jusqu’à la fine fleur automobile que sont Rolls-Royce ou Bentley, les principaux blasons luxueux ont déjà un réseau solide et efficace, Porsche en étant un exemple (38 points de vente en France, N.D.L.R.). Nous allons plutôt nous pencher sur la distribution de marques “en devenir”, comme peuvent l’être Lotus ou Maserati, qui ont d’ailleurs été particulièrement actives dans les recrutements ces derniers mois. En effet, Maserati vient d’inaugurer son 19e showroom, à Lille, grâce à l’investissement du groupe Dugardin, et Lotus vient de faire signer six nouveaux investisseurs pour sept nouveaux points de vente. Ainsi, en plus des concessions de Colomiers (Marcassus Sport), Lille (Verbaere), Saint-Etienne (TLA) et Tours (Chassay), la marque britannique pourra compter sur le groupe Chedid et son site de Ballainvilliers, le groupe Cavallari à Cannes et Monaco, VS Automobile à Bayonne, M-Automobile à Brest, le groupe Capel à Montpellier ou encore le groupe Andréani à Mulhouse.

Lotus : une activité complémentaire

En 2014, Lotus, qui comptait seulement quatre points de vente, a immatriculé 78 véhicules en France. Qu’est-ce qui a donc motivé les nouveaux entrants ? Gabriel Cavallari, président du groupe Cavallari, qui est en train d’implanter la marque à Monaco et Cannes, indique que son investissement sera de l’ordre de 50 000 euros car il dispose déjà de l’immobilier qui abritera les showrooms Lotus. Des showrooms partagés car “le potentiel actuel de Lotus ne peut pas faire vivre une structure dédiée”, selon le dirigeant. “Ensuite, naturellement, il y a de l’immobilisation financière pour constituer le stock”, précise-t-il. Karine et Paul Chedid, démarchés par le constructeur britannique pour distribuer sa marque, voient en Lotus une activité complémentaire avec un réel potentiel car il s’agit d’une offre appréciée par leur fidèle clientèle. “En outre, c’est une marque historique, emblématique, qui correspond tout à fait à notre savoir-faire Premium”, poursuit Karine Chedid. Un savoir-faire et un soin du client qui méritent une petite anecdote. Ainsi, actuellement, Paul et Karine Chedid refusent de livrer à leurs clients des Cadillac Escalade boîte 6 alors qu’au quatrième trimestre de cette année, une nouvelle version du fameux SUV américain arrivera avec une boîte 8 bien plus agréable et efficiente. Cadillac n’apprécie pas vraiment, mais la dirigeante préfère privilégier ses clients “plutôt qu’une marge à court terme”. Mais revenons à Lotus. Le couple de distributeurs parisiens reste réaliste sur la performance commerciale à venir car “nous allons vraiment évoluer sur une niche”. Karine Chedid estime en effet que 50 à 60 Lotus pourraient quitter les locaux de Ballainvilliers dans les mois à venir. Lotus, une marque que connaît bien Jean-Charles Verbaere, P-dg du groupe éponyme, qui distribue 11 marques dans la métropole lilloise, dont Lotus et Caterham. Pour lui, l’année 2014 n’a pas été excellente avec 25 Lotus livrées. Impossible de faire vivre d’une manière rentable cette marque avec un tel volume. C’est pour cela que le groupe Verbaere a complété son offre “Luxe et Sport” avec la marque Caterham, mais aussi par un centre VO créé en 2009 et baptisé “Verbaere Occasion Prestige”. Un ensemble d’activité haut de gamme qui est une vitrine pour le groupe, Jean-Charles Verbaere confiant que, sans être négligeable, cette partie haut de gamme de l’activité ne représente pas le gros du chiffre d’affaires. Pour contre, le dirigeant souligne que ce sont des marques “faciles” à travailler car les maisons mères laissent une certaine latitude, comme par exemple sur la gestion des stocks. Karine Chedid abonde en ce sens, mettant en avant l’esprit d’indépendance et de confiance qui a teinté les rencontres avec l’équipe du constructeur. “J’ai ressenti une vraie confiance en notre savoir-faire”, explique-t-elle.

Une marge unitaire de 10 à 15 %

Alors que se profilent l’Evora 400, dévoilée à Genève par Jean-Marc Gales, le directeur général de Lotus Cars, et une augmentation de la production pour atteindre 70 voitures par semaine, pour l’heure, l’essentiel des ventes Lotus est assuré par le binôme Elise-Exige. Une gamme cohérente, selon les distributeurs, avec des prix qui s’échelonnent entre 30 000 et 60 000 euros selon les versions. Mais combien cela rapporte-t-il au juste de vendre une Lotus ? La marge unitaire serait comprise entre 10 et 15 % du prix HT. La somme peut donc apparaître comme conséquente, mais elle est la seule pour faire vivre le business. En effet, sans prime de volume ou autre aide du constructeur, la rentabilité de l’affaire doit, en très grande partie, se faire sur ce seul processus de vente. Et des ventes quasi systématiquement accompagnées de reprises aujourd’hui. En effet, pour Gabriel Cavallari, “avant, nous avions environ une reprise pour cinq ventes de ce type, aujourd’hui ce n’est plus du tout le cas avec quasiment une reprise à chaque vente VN. Tout ceci a également un coût”. Le VO est donc l’autre pilier d’un tel commerce.

Maserati : un ROI assez rapide

Concernant Maserati, la problématique est quelque peu différente car ce ne sont pas les mêmes investissements et pas les mêmes gains potentiels non plus. En effet, là où le groupe Cavallari a investi 50 000 euros, le groupe Dugardin a injecté plus de 300 000 euros pour son site Maserati. “Maserati nous avait contactés un peu avant l’été 2014 afin de reprendre le panneau dans le nord de la France. Or, vu les ambitions de la marque, ses produits avec notamment la Ghibli et le futur SUV Levante, nous nous sommes lancés dans l’aventure car cela s’inscrit également dans notre stratégie désormais plus orientée vers le Premium”, avait expliqué Philippe Dugardin, le président du groupe du même nom, lors de l’inauguration du centre Maserati lillois. Et cette réorientation va encore prendre une nouvelle dimension avec l’inauguration prochaine d’un nouveau centre Jaguar Land-Rover, flambant neuf, de 1 800 m2. Rappelons que le pôle Premium-Luxe du groupe Dugardin s’appuie sur les marques Infiniti, Volvo, JLR et Maserati. Mais revenons à la marque italienne, dont l’année 2014 a témoigné de la pertinence de sa relance. En effet, au niveau mondial, Maserati, qui vise plus de 75 000 ventes à terme, a écoulé durant l’année 2014 plus de 36 500 véhicules, dont 23 500 Ghibli, soit une croissance de 136 % ! La France est au diapason avec 149 % de progression et 429 immatriculations. Ces dernières devraient encore croître en 2015 avec la densification du réseau et sa montée en puissance. Philippe Dugardin a un contrat de 56 unités pour 2015, ce qui devrait permettre à l’activité Maserati d’être rentable dès cette première année. “Notre point mort est compris entre 46 et 48 voitures”, admet le dirigeant, qui vise, avec l’arrivée du SUV Levante, environ 80 unités en 2016. Bien que la prudence reste de mise, des évolutions du marché ou de la fiscalité pouvant contrecarrer les meilleurs plans, le dirigeant table sur un retour sur investissement après un peu plus de trois ans.

Le VO en renfort

Comme peut en témoigner l’activité de Christian Chassay à Tours, où il distribue notamment Lotus, l’offre VO apparaît comme essentielle avec un stock de pas moins de 170 voitures prêtes au départ. Nous l’avons aussi vu avec le groupe Verbaere, qui a fait de Verbaere Occasion Prestige un maillon essentiel dans son offre haut de gamme. Ce sera bientôt le cas pour Philippe Dugardin, qui va profiter de sa diversification pour lancer une entité spécialisée dans le VO Premium. Elle prendra place, sous peu, dans l’ancien showroom Land-Rover. L’après-vente est un autre aspect important dans la distribution de ces marques atypiques. “Les clients de ces marques sont plus fidèles”, affirme Gabriel Cavallari. Jean-Charles Verbaere va encore plus loin en précisant qu’il y avait deux typologies de clientèle dans cet univers “avec les passionnés purs et durs, qui font eux-mêmes l’entretien et les préparations, puis ceux qui sont extrêmement fidèles, mais qui attendent en retour une large offre de notre part sur les prestations qui vont des préparations aux échappements en passant par les jantes ou encore les réglages châssis”. Même si le business laisse peu de place à la passion en général, celle-ci transpire toutefois dans cet univers mariant un certain luxe et la sportivité. “S’il n’y a pas de passion, ça ne vaut pas le coup !”, conclut Gabriel Cavallari.

Au final, ces marques en devenir ou en reconstruction sont souvent attirantes car le potentiel paraît important. Toutefois, comme dans une pépinière de start-up, toutes n’arrivent pas à éclore. Un pari manqué pour le distributeur monégasque ? Sans doute Fisker car, bien que la marque ne soit pas morte, elle est pour le moins en stand-by. “C’était un vrai pari sur l’avenir, il y avait en plus un vrai intérêt technologique, mais…” Mais les Fisker Karma n’ont pas eu le succès espéré. Gabriel Cavallari reste néanmoins optimiste, il parle de “marque en veille”, mais quoi qu’il arrive il lui reste encore trois modèles en stock. Il fera les comptes de l’aventure Fisker après les avoir vendues.

 

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