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Distribution

Bonus/malus : entre interrogations et colère

Publié le 8 février 2008

Par Benoît Landré
10 min de lecture
A l'image des ménages français, le moral des professionnels de l'automobile n'est pas au plus haut en ce début d'année en raison de la mesure sur l'éco-pastille qui sème encore la confusion et alimente les interrogations....

...Retour sur la mesure du gouvernement français et son impact sur le marché de l'occasion et du neuf.

Dresser un bilan du marché français de l'occasion en 2007 alors que les interrogations n'ont rarement été aussi grandes quant à l'évolution du marché relèverait presque du hors sujet. Lorsque l'on évoque 2007, on répond 2008. Chacun préfère en effet évoquer l'avenir et les incertitudes qui pèsent sur le marché du VN et du VO plutôt que de revenir sur l'année écoulée. Une chose est sûre : la mesure sur l'éco-pastille mise en place par le gouvernement en décembre a fait son petit effet. Reste à savoir si ce "coup" n'a pas été lancé un peu trop tôt. Le milieu de l'automobile demeure dans l'expectative. "Il y a actuellement une réflexion sur les répercussions de cette mesure sur, non seulement, les activités VO du réseau mais aussi celles du constructeur. Quel sera l'impact sur les stocks ? Quel mix proposer aux loueurs ? Je constate qu'elle aura un effet négatif sur l'exploitation des concessions qui, pour accompagner la baisse du prix du neuf, doivent diminuer le prix de vente des VO récents pour maintenir le différentiel entre le prix de transaction VN et le prix de transaction VO. Il ne s'agira probablement pas d'une baisse de 1 pour 1 mais elle sera importante. Quant au malus, c'est le marché qui nous dira dans quelle mesure nos clients sont prêts à en supporter une partie…", exprime Pascal Levasseur, directeur VO de Renault. Bien qu'elle concerne avant tout le VN, il est évident qu'elle aura une répercussion notable sur le marché de l'occasion. Reste à savoir si elle sera favorable ou défavorable ? Avec un ratio de 1 VN pour 2,7 VO achetés en 2007, le même qu'en 2006, la France figure parmi les marchés européens où les ventes de VO récents cannibalisent le plus les ventes de VN (ou l'inverse). Pourtant, ce segment, en baisse depuis plusieurs années (- 3,6 % en 2007, - 4,2 % en 2006), du fait de la baisse du pouvoir d'achat des ménages et des remises "agressives" proposées par les distributeurs sur le neuf, reste le cœur d'activité de nombreux négociants et spécialistes indépendants. "Si le marché évolue, nous nous ajusterons. Nous sommes flexibles. Mais je pense qu'il y a encore de la place pour le VO récent. Je n'ai pas l'impression d'être à côté de la plaque. Pour l'instant notre recette fonctionne. Il est beaucoup trop tôt pour envisager un changement de politique commerciale", précise David Rairolle, responsable de VPN (véhicules pratiquement neufs) à Bordeaux. Des certitudes partagées par Dirk van der Werf, cofondateur de la société hollandaise AB Intermédiaires : "Je regarde ce qui se passe en France et je constate qu'il y a une grande concurrence sur les VO récents. Malgré ceci, nous croyons que ce sera possible de trouver notre place sur ce marché grâce à la qualité des véhicules et de nos services que nous pouvons offrir." Alain de Wagter, directeur d'Interlease en Belgique se veut nettement plus pessimiste : "Le VO de 6 mois à 1 an, pour moi, il est mort. Aujourd'hui, on observe des remises de 25 %, voire 30 % sur des VN, au final on arrive à la valeur d'un buy-back de six mois".

A quel marché profite l'éco-taxe ?

En outre, deux versions ressortent. L'attrait du bonus pourrait reporter certains achats sur des véhicules neufs. De la même manière que le malus pourrait inciter des consommateurs à se diriger plutôt vers du VO récent, non taxé, que vers du VN. C'est du moins la "thèse" soutenue par Philippe Peyrard, directeur des ventes aux entreprises et VU de GM : "Certains véhicules qui feront l'objet d'un malus en neuf ne seront pas concernés par la taxe en occasion, donc il n'est pas impossible que l'on assiste à une baisse de certains modèles sur le marché du neuf au bénéfice du marché du VO récent. Ce qui est certain est que cette mesure va amplifier la différence entre le prix des transactions. Je regrette surtout que le bonus ne s'applique pas aux véhicules d'occasion récents." A l'heure actuelle, il a été statué que le malus est payable en une seule fois à la première immatriculation du véhicule. Tous les véhicules d'occasion dont la première immatriculation à l'étranger interviendra après le 1er janvier 2008 seront soumis au malus au moment de leur première immatriculation en France selon un calcul spécifique : le montant du malus sera réduit de 10 % par année écoulée depuis la première mise en circulation du véhicule. Néanmoins, il n'est pas exclu que le gouvernement décide d'annualiser la taxe de façon "partielle" pour les véhicules neufs les plus polluants. Un durcissement qui pourrait commencer à faire grincer des dents les consommateurs et les professionnels concernés.

"Nous sommes dans le flou artistique le plus total"

Des questions subsistent encore quant à l'application du bonus plus d'un mois après son officialisation. Qui paie quoi ? Qui rembourse ? "Initialement, j'avais compris que c'était le constructeur qui réduisait sa facture à hauteur du bonus et qui se retournait ensuite vers Bercy pour se faire rembourser la différence, mais il s'avère au final que c'est le distributeur qui fait l'avance de trésorerie. Mais combien de temps va-t-il falloir attendre pour récupérer cette avance ?", s'interroge Alain de Wagter. Même inquiétude du côté de David Rairolle : "Nous en sommes encore à la période du questionnement, dans le flou artistique le plus total. Tu ne sais pas si tu vas perdre ou gagner. En décembre, nous avons immatriculé nos modèles potentiellement malussables. Les constructeurs, les concessionnaires ont fait la même chose, voire même quelques distributeurs indépendants. C'est pour cette raison que les chiffres de décembre étaient si bons. Aujourd'hui encore, nous faisons attention à ce que l'on achète même si 80 % du marché n'est pas concerné. Il est possible que notre activité souffre pendant quelques semaines mais les choses devraient se recadrer progressivement", souligne-t-il.

Le Cnasea : l'interlocuteur bonus

A la mi-janvier, le cabinet de Jean-Louis Borloo indiquait que les remboursements des "bonus" seraient effectifs au cours du moins de février. Le système informatique du CNASEA, établissement public national, dont la mission est de gérer le fonds d'aide à l'acquisition de véhicules propres (article 7 du décret), devrait permettre aux distributeurs, après validation au 5 de chaque mois des dossiers en cours, d'être indemnisés sous dix jours (voir entretien). Une promesse qui pour l'instant ne semble pas soulager les distributeurs d'autant que les sommes avancées sont considérables puisqu'une bonne partie des véhicules qui se vendent actuellement sont éligibles au bonus. "C'est encore pire pour les négociants, ajoute Alain de Wagter. Ils sont obligés d'avancer l'argent au risque de perdre un client. Seulement, aujourd'hui, ils partent à l'aventure". "Ma première démarche a été de me présenter à la préfecture qui m'a répondu qu'elle n'était au courant de rien concernant le bonus et qu'elle n'était pas, pour le moment, concernée. Lorsqu'il s'agit de payer le malus, les choses vont très vite et on ne vous demande aucun justificatif, par contre pour le bonus je ne vous raconte pas les dossiers qu'il faut constituer. En ce moment, le marché est tellement calme que l'on n'est pas trop confronté à ce problème, mais si un client me pose la question sur le bonus, je réponds qu'il n'est pas encore mis en place", confirme Valérie Iaquinta, mandataire et responsable de Trets Auto Import.

Le gouvernement français chamboule la définition d'un VN et d'un VO

Autre élément qui prête à confusion : qu'est-ce qu'un VO et qu'est-ce qu'un VN selon la mesure du gouvernement Français ? Si sur le plan fiscal et selon la 7e directive européenne un VO est reconnu comme ayant à la fois plus de 6 mois et plus de 6 000 km, la mesure "eco-pastille" se préoccupe plutôt de la première immatriculation. Ainsi, tout véhicule neuf immatriculé dans un pays européen, sera automatiquement considéré comme un véhicule d'occasion lors de sa première immatriculation sur le sol français et par conséquent ne bénéficiera pas du bonus. Les professionnels perdent du coup leur cadre et repère habituel. "Tous les véhicules que l'on exporte en France ont déjà été immatriculés, pourtant ils ont moins de 6 mois, moins de 6 000 km, certains n'ont même jamais roulé, et par conséquent il n'est pas normal qu'ils ne puissent pas bénéficier du bonus. Le gouvernement français a instauré sa propre règle, c'est du protectionnisme et donc c'est discriminatoire. Je ne peux pas l'accepter et je ne me laisserai pas faire", colère Alain de Wagter. "A un moment donné, la Commission européenne va se positionner sur la question en se disant : "Il y a un bug, ce n'est pas logique". C'est pour cela que l'on préfère ne pas s'affoler car ça paraît trop gros pour que les choses continuent comme ça", juge pour sa part David Rairolle.

Photo : Les répercussions de la mesure sur le marché du VO récent devraient se faire ressentir dans les semaines à venir.

3 QUESTIONS À

Raymond Vié - Président du conseil des régions du CNPA.

Journal de l'Automobile. Quelle analyse faites-vous du marché 2007 de l'occasion et plus particulièrement du mois de décembre ?
Raymond Vié. Sur le mois de décembre 2007, dans la région Midi-Pyrénées comme en France, nous avons assisté à une évolution supérieure du marché du VN par rapport aux autres mois de l'année. Inversement, pour le marché de l'occasion, le mois de décembre n'a pas été bon et a baissé par rapport à décembre 2006. Cela s'explique par l'application de la mesure Eco-pastille - certaines personnes ont profité des derniers jours de l'année pour acheter des VN et faire la carte grise avant le 31 décembre - ainsi que par l'épouvantail agité sur le contrôle technique. Autrement, 2007 était une année de bons résultats pour le marché de l'occasion. Par ailleurs, les 15 premiers jours de janvier 2008 n'ont pas été très fameux mais le sont d'ailleurs rarement. Nous recommençons souvent à travailler après le 15 janvier, voire en février.
JA. Que pensez-vous du bonus-malus ?
RV. Le CNPA et moi-même ne sommes pas opposés à une démarche environnementale. Ma région a créé en 1991 le Plan Vert Midi-Pyrénées destiné à inciter tous les automobilistes à apporter dans des centres spécifiques tous les déchets issus de l'automobile. C'était également la première région de France à disposer d'une agence régionale pour l'environnement. Donc c'est un sujet qui me touche de près. Seulement, nous sommes opposés à la pratique discriminatoire qui est faite à l'automobiliste. Untel est riche, il peut donc payer la taxe, par contre untel n'est pas riche et ne peut pas la régler. On vous jette la mesure à la figure de cette manière-là. L'amendement indique également qu'il y a une aide de 300 euros pour les véhicules de plus de 15 ans. Une sorte de prime à la casse. Est-ce que vous croyez que ces 300 euros vont changer quoi que ce soit ? N'aurait-il pas été plus intelligent que les VO bénéficient eux aussi d'une aide ?
JA. Pensez-vous que cette mesure a été conçue en concertation avec les constructeurs français ?
RV. Aujourd'hui, ceux qui vont bénéficier de cette mesure sont les constructeurs généralistes. Les voitures dites de "spécialistes", comme Audi, BMW, Mercedes, sont pénalisées, c'est clair. Pour cette raison-là, également, la mesure est discriminatoire. Mais de là à dire qu'elle a été mise en place en concertation avec les constructeurs français, à titre personnel, je ne le pense pas. Car, aujourd'hui, les stocks des constructeurs sont composés en majorité de grosses cylindrées, et non de petites qui, elles, se vendent très bien et continueront à se vendre.

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