S'abonner
Constructeurs

Takashi Yamanouchi, CEO et président de Mazda Motor Corporation.

Publié le 9 octobre 2009

Par Alexandre Guillet
8 min de lecture
"Nous ne sommes pas candidats à une fusion"De passage à Francfort, Takashi Yamanouchi nous a accordés un entretien exclusif. Où il est bien sûr question de la crise, de l'adaptation...
...de Mazda à ces conditions exceptionnelles pour retrouver vaille que vaille la voie du profit, mais aussi de ce drôle de yen, d'un marché japonais promis à des heures sombres et des nouvelles alternatives environnementales. Rencontre avec un patron peu connu en Europe, volontiers précis et non dénué d'humour.

Journal de l'Automobile. Quel regard portez-vous sur la façon dont Mazda traverse et fait face à la crise qui sévit désormais depuis de longs mois sur tous les marchés ?
Takashi Yamanouchi. Nous avons naturellement ressenti l'impact de la crise, comme en attestent nos résultats en volume. Toutefois, nous tirons notre épingle du jeu dans la mesure où nos parts de marché progressent dans de nombreuses régions clés. Au 1er semestre 2009, nous avons notamment obtenu nos meilleurs résultats des dix dernières années au Royaume-Uni, au Danemark, en Suisse, en Russie, mais aussi au Mexique et en Nouvelle-Zélande. Par ailleurs, en Chine, un marché névralgique, la croissance est de 17 % et nous nous situons à 22 %. En Australie et en Israël, nous enregistrons une pénétration record, respectivement 8,5 % et 13 %. Simultanément, comme l'ensemble des constructeurs, nous avons beaucoup travaillé sur nos stocks, tout en réduisant notre production, et nous sommes aujourd'hui revenus à un niveau satisfaisant, notamment aux Etats-Unis et en Europe.

JA. Ces bonnes performances s'expliquent notamment par le succès de la Mazda3 : quels marchés représentent vos principales sources de satisfaction pour ce modèle ?
TY. Pour l'heure, c'est effectivement une grande satisfaction puisque la Mazda3 dépasse ses objectifs initiaux et trouve un grand écho auprès des clients. Elle progresse au Canada, pour une part de marché de 12,3 % sur son segment, mais aussi aux Etats-Unis avec 5,4 % et en Australie avec 18,3 %. En outre, au Japon, malgré la concurrence de la Prius, la Mazda3, ou Axela en l'occurrence, résiste bien. C'est donc l'une des explications à nos bonnes performances d'ensemble. Performances d'autant plus réjouissantes que nous ne sommes pas rentrés dans la surenchère des remises, préférant contrôler nos coûts d'incentive et nous centrer sur la marque et les clients avec un renforcement de nos programmes de CRM. D'une manière générale, tous les lancements que nous avons effectués depuis la Mazda6 en 2002 ont été couronnés de succès. J'en veux pour preuve le fait que sur tous les segments clés, nos valeurs résiduelles sont à la hausse en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Et le taux de satisfaction de nos clients est aussi au diapason.

JA. D'un point de vue financier, vous rencontrez toutefois des difficultés, n'est-ce pas ?
TY. Avant que la crise n'éclate, nous dégagions des profits conséquents, mais il est vrai que lors du second semestre 2008, nos ventes ont commencé à baisser et notre situation financière s'est dégradée. De surcroît, le problème du yen est parfois pénalisant. En outre, les mesures d'urgence que nous avons prises pour affronter la récession ont un coût. Cependant, vu que nous sommes un groupe somme toute de taille réduite, nous avons pu faire preuve d'une grande réactivité et malgré la conjoncture, nous sommes à nouveau sur la voie de la rentabilité. Nous nous sommes paramétrés dans l'optique d'une crise longue et cela porte déjà ses fruits.

JA. Juste une parenthèse : quel est le réel impact du jeu monétaire sur vos résultats et comment voyez-vous le yen évoluer à l'avenir ?
TY. Cela nous renvoie à des facteurs économiques très complexes, mais aussi à des facteurs politiques. On ne peut pas isoler les taux de change de la sphère politique. Dès lors, il est difficile de prévoir comment les choses peuvent évoluer car nous ne sommes pas sur le seul terrain de l'économique. Ainsi, ces derniers temps, nous avons assisté à un renforcement du yen, mais sans lien avec la situation économique du Japon… C'est superficiel en fait. Donc, du point de vue d'un industriel, il ne sert à rien de se lamenter sur une variable non maîtrisable et nous devons travailler à nos profits quel que soit l'état du yen. Cependant, vous avez raison, l'impact du change sur nos résultats est important : cette année, le rapport yen-dollar a pesé 2,4 milliards de yen sur nos profits et le rapport yen-euro 1,5 milliard de yen ! C'est considérable.

JA. Qu'en est-il au niveau de votre cash flow qui fut problématique courant 2008 ?
TY. Au troisième trimestre 2008, nos résultats étaient effectivement mauvais, mais il faut comprendre que c'était alors l'impact des stocks. La situation s'est d'ailleurs améliorée dès le trimestre suivant. Désormais, les choses sont stabilisées et le groupe doit présenter un cash flow positif à la fin de l'année. Dès à présent, nous disposons de 200 milliards de yen de cash disponible et de la même somme par le biais de lignes de crédit. On peut donc affirmer que tout est sous contrôle.

JA. Diriez-vous que votre équilibre financier est garanti ?
TY. Effectivement, mais nous avons beaucoup travaillé pour cela. Tout d'abord, comme je l'indiquais précédemment, nous avons assuré les liquidités disponibles, ce qui est essentiel pour un groupe industriel. Simultanément, nous avons revu notre organisation, afin de l'alléger pour assurer le maintien des profits. A titre indicatif, nous avons encore réduit nos frais fixes d'environ 100 milliards de yen lors de cette année fiscale. Par ailleurs, et c'est très important dans le contexte actuel, nous n'avons pas bloqué nos investissements, notamment par rapport aux enjeux environnementaux. Ainsi, entre 2001 et 2008, nous avions par exemple réduit nos émissions de CO2 de 16 % en Europe et avec les nouveaux programmes que nous avons lancés, nous allons encore réduire ces émissions de CO2 de 23 % entre 2008 et 2015.

JA. A propos d'environnement, comment envisagez-vous l'avenir, notamment l'hybridation qui connaît un franc succès au Japon, et l'enjeu du véhicule électrique ?
TY. Si nous nous fions aux études réalisées par différents organismes, force est de constater que ces technologies sont prometteuses, mais que leur impact sur le parc mondial restera mesuré au moins jusqu'en 2020. Dans un premier temps, il faut se focaliser sur les moteurs thermiques traditionnels qui peuvent être largement améliorés. Par le biais de cette optimisation, les moteurs traditionnels afficheront des performances comparables à celles des hybrides dès 2011, on ne saurait le négliger. Des systèmes comme le Stop&Go ou la récupération d'énergie au freinage vont se développer massivement d'ici 2015-2020. En 2009, la Mazda3 i-stop a d'ores et déjà représenté la moitié des ventes du modèle. Bref, nos équipes travaillent actuellement sur de nouvelles générations de moteurs, essence comme diesel, qui généreront des gains de consommation et d'émissions significatifs, surtout que de nouvelles transmissions, notamment automatiques, sont à venir. Simultanément, le coût des moteurs sera revu à la baisse. Toutefois, nous ne négligeons pas pour autant la recherche fondamentale pour des solutions à plus long terme, comme le prouvent le Premacy Hy RE Hybrid ou le Mazda5 Hy qui sont en test dans des flottes au Japon depuis cette année. C'est valable aussi pour le véhicule électrique. Mais il convient d'avancer pas à pas car le problème des coûts demeure important. Je ne suis pas certain qu'actuellement, les clients soient enclins à assumer le surcoût des ces technologies, celui des batteries par exemple. Quand les choses évolueront, nous apporterons rapidement des réponses. En outre, nous devons prendre en considération les différentes orientations prises par les pays et l'état d'avancement des infrastructures disponibles et réellement opérationnelles. Toutes les nations ne sont pas comparables à la Norvège par exemple. Mais le moment venu, nous serons prêts.

JA. Dans ce contexte de crise, on parle beaucoup de la juste taille des groupes automobiles : diriez-vous que Mazda a la bonne taille, même réduite, ou pourriez-vous être impliqué dans une fusion à l'avenir ?
TY. Avant la crise, nous avions publié des résultats commerciaux et financiers records. Après la crise, comme je l'ai déjà évoqué, nous avons allégé notre structure et nous avons revu notre capacité de production. Cette année, notre échelle, c'est environ 1,1 million de véhicules, pour une exploitation de 80 % de notre capacité de production et pour environ 2 % du marché automobile global. Nous ne sommes pas un acteur majeur, mais un acteur global, avec un ADN très marqué, à la fois exclusif et sportif. C'est une spécificité que nous voulons conserver et que nous pouvons conserver en toute indépendance. D'autant que notre situation financière est saine, comme je l'ai expliqué. Bref, nous ne sommes pas candidats à une fusion…

JA. Nous avons beaucoup évoqué la crise, mais partagez-vous la prévision qui veut que le marché retrouvera son niveau de 2006-2007 en 2015 ?
TY. Il y aura des différences de timing selon les marchés. Au Japon, la situation s'annonce excessivement compliquée, surtout par rapport aux indices démographiques du pays. La société vieillit et le marché aura bien du mal à se redresser. Aux Etats-Unis, vu la culture du pays et les mesures qui ont été prises par la nouvelle administration, nous sommes plus optimistes. Le rebond devrait se faire sentir plus rapidement. En Europe, la plupart des prévisions convergent pour dire que le niveau de 2006-2007 sera retrouvé d'ici quatre à cinq ans.

Vous devez activer le javacript et la gestion des cookies pour bénéficier de toutes les fonctionnalités.
Partager :

Sur le même sujet

Laisser un commentaire

cross-circle